Ce dimanche 13 octobre, le pape François canonise le cardinal Newman (1801-1890). Sa conversion au catholicisme en 1845 bouleversa la vie religieuse de l’Angleterre, entraînant des milliers d’autres conversions, célèbres ou anonymes.
Un excellent hors-série de l'Homme Nouveau : Canonisation John Henry Newman
Entretien avec Richard Bastien dans le Présent du 12 octobre 2019 :
— Le cardinal Newman était l’un des « héros » de votre ouvrage Cinq défenseurs de la foi et de la raison(éditions Salvator, cf. Présentdu 29 septembre 2018). Rappelez-nous à quel titre.
— L’originalité de Newman est de fonder la connaissance de Dieu que nous procure la religion naturelle sur l’expérience de la conscience, plutôt que sur l’argument des causes finales, qui était largement utilisé par les apologètes de son époque. Il ne nie pas la valeur de l’argument des causes finales, mais il ne croit pas à son pouvoir de persuasion auprès des intellectuels. Il s’emploie à démontrer que la foi, loin d’être une croyance irrationnelle ou a-rationnelle à la Kierkegaard, est un assentiment qui, sans être purement rationnel, ne peut être accordé sans l’intervention de la raison. Autrement dit, la foi a beau ne pas être le simple produit d’une série de syllogismes, elle n’en demeure pas moins éminemment raisonnable. Newman se trouvait ainsi à donner la réplique à la tradition empiriste anglaise (John Locke, David Hume, John Stuart Mill), pour qui la foi est dépourvue de toute rationalité. Pour l’empirisme, tout ce qui ne relève pas de l’expérience sensible échappe au champ de la connaissance rationnelle. Et puisque les croyances religieuses ne sont pas fondées sur l’expérience sensible, elles ne sauraient être considérées comme une connaissance véritable. Elles ne sont que des hypothèses ou des mythes. Depuis un siècle, cette conception empirique de la vérité a essaimé du monde anglo-saxon dans tout l’Occident.
— Peut-on dire qu’il sera un saint « ratzingerien » ?
— Si vous entendez par là que ce qui primait chez lui, c’était le souci de la vérité, alors l’expression est très juste. Newman reconnaît que les raisons qu’un chrétien invoque pour rendre compte de sa foi peuvent ne pas être parfaitement certaines et laisser subsister une marge de doute. Mais, contrairement aux sceptiques qui affirment que l’esprit saisi d’une proposition comportant une marge de doute doit donner à cette proposition un assentiment tempéré par un coefficient d’incertitude proportionné à ce doute, Newman soutient que l’assentiment ne peut être que total ou nul. En d’autres termes, l’esprit qui donne son assentiment à une proposition, par exemple que Jésus-Christ est Dieu, est certain de la véracité de cette proposition à 100 % ou il ne l’est pas du tout. Les sceptiques disent qu’à une proposition que la raison juge probable ne peut correspondre qu’une adhésion probable de l’esprit. Newman n’admet pas cette équation de proportionnalité et affirme, au contraire, qu’à une telle proposition ne peut correspondre qu’une adhésion totale ou un rejet total de l’esprit. Newman est ici en parfaite harmonie avec saint Thomas d’Aquin, pour qui « l’assentiment appartient en propre à l’intelligence parce qu’il implique l’adhésion absolue à ce à quoi on le donne ».
— Comment fut perçue sa conversion par les anglicans, en 1845 ?
— Elle provoqua une onde de choc dans le monde anglican, car elle ne pouvait que semer le doute sur les fondements et les préjugés de l’anglicanisme. Quelque trois cents anglicans, dont plusieurs de haut rang, choisirent de suivre Newman dans son passage à Rome. Des milliers d’autres firent de même dans les décennies subséquentes. Dans la foulée de sa conversion, le catholicisme a connu au Royaume-Uni un nouvel essor culturel qui allait durer plus d’un siècle. Sur le plan littéraire, cet essor s’est manifesté par les écrits de grands auteurs convertis au catholicisme, comme Gerard Manley Hopkins – considéré comme le plus grand poète de l’époque victorienne –, Oscar Wilde, Ronald Knox, Robert Hugh Benson, G. K. Chesterton, Evelyn Waugh, Graham Greene et J. R. R. Tolkien. Il est difficile d’imaginer que, en l’absence de la conversion de Newman, ces écrivains aient pu susciter les résonances profondes que l’on sait dans le monde anglophone du XXe siècle. Pas étonnant donc que l’Eglise l’ait porté sur les autels en 2010.
— Et aujourd’hui sa canonisation ?
— L’annonce de sa canonisation a été accueillie très positivement tant pas les anglicans que par les catholiques. L’évêque anglican Christopher Foster, coprésident du Comité anglais anglican-catholique, a déclaré récemment que « l’apport de Newman à la théologie, à l’éducation et à la formation à la sainteté trouve un bon écho encore aujourd’hui partout dans le monde et dans les différentes églises ». L’ambassadrice du Royaume-Uni auprès du Vatican, Mme Sally Axworthy, s’est également réjouie de l’annonce de la canonisation, affirmant que celle-ci « sera un moment important pour la Grande-Bretagne et pour les relations entre le Royaume-Uni et le Saint-Siège ».
— Le cardinal Newman s’était choisi comme épitaphe : Ex umbris et imaginibus in veritatem(Des ombres et des apparences vers la vérité). Comment faire nôtre cet itinéraire intellectuel et spirituel ?
— Dans une lettre à son ami William Froude, Newman a résumé sa pensée comme suit : « Ce n’est pas par des syllogismes ou autres procédés de la logique que l’on tire les conclusions dignes de foi qui appellent notre assentiment, mais par un minutieux et continu raisonnement expérimental qui fait mauvaise figure sur le papier, mais qui grandit silencieusement en une accumulation écrasante de preuves, et qui, lorsque notre point de départ est vrai, nous porte jusqu’à un résultat vrai. C’est ainsi que quelqu’un peut être amené du scepticisme, du déisme, du méthodisme, de l’anglicanisme dans l’Eglise catholique. » Cela signifie que ce qui est le plus propice à une vie de foi, c’est une attitude de réceptivité à la vérité. Newman disait que « dix mille difficultés ne constituent pas un doute… difficulté et doute sont sans commune mesure ». Ce qui importe donc, c’est une ouverture de l’esprit à la vérité.
Bibliographie : Sur Livres en Famille