Par Bernadette Sauvaget — 13 août 2019 - Libération
Se repentir de ses péchés est l’une des pratiques les plus anciennes du catholicisme et l’Eglise défend farouchement la confidentialité des conversations entre le fidèle et son prêtre. Mais lorsque la justice des hommes s’en mêle, parfois les verrous du confessionnal sautent.
Vacances obligent, il n’y a pas foule, ce matin d’août, à l’église Saint-Louis d’Antin, à Paris, dans le quartier des grands magasins du boulevard Haussmann (IXe arrondissement). Une poignée de personnes âgées attendent le début de la messe de 11 heures. Pour tuer le temps peut-être, quelques-unes égrènent silencieusement un chapelet et d’autres prient devant un grand crucifix. Au bord d’être en retard, Emilie entre précipitamment. «Non, cette fois-ci, je ne viens pas pour me confesser», dit la septuagénaire qui craint de louper le début de l’office. Comme beaucoup d’autres catholiques, elle a pourtant ses habitudes à Saint-Louis d’Antin pour recevoir le sacrement de la confession. Parce que c’est très commode. «J’y viens quand je passe à ma banque qui est dans le quartier», précise-t-elle. Sinon, elle se rend à la chapelle Notre-Dame de la Médaille miraculeuse, dans le VIIe arrondissement, un des grands pèlerinages populaires de la capitale. Mais qu’a-t-elle donc à confesser ? Motus. Secret.
A Paris, l’église Saint-Louis d’Antin est très connue pour son service (presque) continu de confesseurs. A l’entrée, en bas de la nef, les horaires sont affichés. Et pourraient donner le tournis. C’est quasiment non-stop et tous les jours, de 10 heures à 19 h 45. Le dimanche, l’église a même adapté ses plages de confessions. S’ils font relâche, l’après-midi, les confessionnaux sont, ce jour-là, ouverts jusqu’à 21 h 30. «C’est le cardinal Jean-Marie Lustiger [mort en 2007, ndlr] qui avait désigné Saint- Louis d’Antin pour ce service spécifique», explique le théologien Laurent Lemoine, lui-même confesseur dans cette église. Lustiger souhaitait que le fidèle puisse trouver facilement à qui se confesser, se laver de ses péchés. En fait, «les personnes nous parlent beaucoup des souffrances qu’elles traversent, raconte Laurent Lemoine. Au-delà de l’absolution de leurs péchés, elles ont une demande de paix intérieure.» Depuis quatre ans, le jésuite Miguel Roland-Gosselin, ancien aumônier de l’Ecole polytechnique, est confesseur à l’église Saint-Ignace, celle de son ordre religieux. «Ce qui m’a frappé le plus depuis que je suis ici, c’est les grandes solitudes urbaines», dit-il.
Point de friction
Ce qui en revanche reste immuable, c’est le secret. Encore aujourd’hui, qui dit confession dit secrets, ceux que l’on vient confier et ceux que le confesseur doit strictement conserver pour lui… Du point de vue juridique, ce secret a été formellement reconnu, en droit français, par un arrêt de la Cour de cassation du 4 décembre 1891, secret d’ailleurs qui ne se limite pas à la confession catholique (lire page 15). L’affaire suscite bien des fantasmes. Et des conflits. Entre la République et l’Eglise, le secret de la confession et les batailles qu’il provoque sont une vieille histoire. Longtemps, les anticléricaux ont férocement combattu pour le faire abolir. Ils reprochaient notamment aux prêtres d’exercer une trop grande influence en dirigeant secrètement (justement !) les consciences. En particulier celles des femmes (1). «Sous la Troisième République, il valait mieux, pour beaucoup d’hommes politiques, que les femmes soient sous la tutelle de leur mari ou de leur frère plutôt que sous celle des prêtres», explique l’historienne Caroline Muller, spécialiste du catholicisme. Ce débat n’a pas été sans conséquence. Il a longtemps entravé l’octroi du droit de vote aux femmes, suspectées d’être sous la coupe de curés à même d’influencer leurs choix électoraux.
Depuis que les scandales d’abus sexuels ont éclaté en France au début des années 2000, la question du secret de la confession a été à nouveau posée, devenant un point de friction entre l’Eglise et la société civile. Ce qui est suspecté là, c’est la tolérance dont pourraient bénéficier les pédocriminels, voire l’encouragement à l’omerta de la hiérarchie catholique, enterrant sous le tapis ces dossiers. A tort ? «Il ne faut pas imaginer des hordes de prédateurs sexuels venir se confesser», remarque Laurent Lemoine. Ce qu’appuie Miguel Roland-Gosselin. «Comme confesseur, il est rarissime d’être confronté à des personnes qui relèveraient de la justice», explique-t-il.
Parmi les confesseurs que nous avons interrogés, un seul nous a mentionné un cas mais qui était facilement soluble puisque la personne concernée, un pédophile, était déjà sous le coup d’une procédure judiciaire. Quoi qu’il en soit, l’absolution des péchés n’est pas systématique. Elle est corrélée à la démarche de repentir du pénitent, à son désir de changer de comportement. Avec humour, l’ancien évêque d’Amiens, Jacques Noyer, aujourd’hui à la retraite, qui fut confesseur à Lourdes, raconte qu’un homme s’apprêtant à se rendre à un rendez-vous galant avait sollicité, par avance, l’absolution de son adultère. «Je ne pouvais l’absoudre d’un péché qui n’avait pas encore été commis», plaisante l’évêque émérite. Quoi qu’il en soit, le mari adultère n’aurait obtenu quitus qu’en renonçant à ses projets d’infidélité…
On ne s’agenouille plus
Inviolable vraiment, le secret de la confession ? «C’est la garantie pour que la confiance s’établisse», plaide Roland-Gosselin. L’Eglise catholique y tient mordicus. En Australie, le débat a été ouvert sur l’obligation de lever le secret de la confession en cas d’affaires pédocriminelles. Quelques voix en France, au sein même de l’Eglise, ont plaidé pour une telle mesure, si elle était strictement encadrée. En retour, elles se sont attiré les foudres d’une majorité de pratiquants. Et pourtant. Il y a eu quelques cas. Ainsi Jacques Noyer se souvient d’une affaire qui fit grand bruit, il y a une quarantaine d’années. En Italie, un prêtre avait décidé, en conscience, de briser son obligation de secret pour alerter les autorités d’un attentat qui se préparait à la gare de Milan. L’un des protagonistes s’était confié à lui dans son confessionnal…
Une exception qui confirme l’immuable règle. L’actuel pape François, en bon jésuite (l’ordre religieux dans lequel il a été formé est connu pour être le champion de l’accompagnement spirituel), a lui aussi une attention particulière pour ce rituel. Le 9 mars 2018, il avait organisé une soirée de confessions à la basilique Saint-Pierre du Vatican. A cette occasion, on l’avait vu, donnant l’exemple, aller s’agenouiller lui-même dans un confessionnal. Début juillet, il a réaffirmé solennellement le secret, selon lui inviolable, de ce sacrement de la théologie catholique, d’essence divine, si l’on en croit le texte publié à cette occasion par le Vatican.
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, la confession n’est pas totalement tombée en désuétude dans le monde catholique. «C’est vrai, en particulier, chez les croyants qui ont une approche beaucoup plus rigoriste de la pratique religieuse», remarque l’historienne Caroline Muller. Le retour de cette pratique, le prêtre Laurent Lemoine l’a surtout constaté, en France, depuis que les Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) ont eu lieu à Paris, en 1997. Initiés par Jean Paul II, ces immenses rassemblements de jeunes catholiques ont promu la confession. Rares sont ceux qui ne se souviennent pas des photos montrant ces enfilades de confessionnaux en plein air.
Mais la confession a changé (peut-être provisoirement…). Dans la forme, déjà. Beaucoup de paroisses ont bazardé leurs vieux confessionnaux. On ne s’y agenouille plus, attendant avec une certaine anxiété dans une semi-obscurité, qu’une petite grille s’ouvre et qu’un prêtre se mette à parler. Après le concile Vatican II, qui a réformé l’Eglise catholique dans les années 60, des petits espaces où le pénitent et le curé se retrouvent face à face ont été peu à peu aménagés. A Saint-Louis d’Antin, ils ont la taille d’un cagibi. Ici, pendant l’été, pour éviter les chaleurs étouffantes, les confessions ont été transférées dans les espaces d’écoute.
(1) A lire à ce sujet, l’ouvrage de Caroline Muller, Au plus près des âmes et des corps, une histoire intime des catholiques au XIXe siècle, PUF, 2019.