Bienheureux Noël Pinot
Un prêtre sous la Terreur,
fidèle jusqu’à l’échafaud
UN MOINE BÉNÉDICTIN
Noël Pinot voit le jour à Angers, le 19 décembre 1747. Tandis que son père lui inculque le goût du travail bien fait, le jeune garçon apprend de sa mère à prier. En 1765, à 18 ans, Noël entre au séminaire. Le 22 décembre 1770, il est ordonné prêtre. Au cours des dix années qui suivent, l’abbé Pinot exerce le ministère de vicaire dans différentes paroisses. Partout où il passe, il manifeste une charité attentive aux pauvres et aux malades, si bien qu’en 1781, son évêque le nomme aumônier des Incurables d’Angers. Cette maison accueille des malheureux qui, bien souvent, n’y sont conduits que pour attendre la mort.
Déchargé de toute préoccupation matérielle par de charitables chrétiennes, il se donne corps et âme à son nouveau ministère : son grand souci, c’est la sanctification et le salut de ses malades.
Un curé dévoué
L’évêque d’Angers nomme Noël Pinot à la cure du Louroux-Béconnais. Il en prend possession le 14 septembre 1788.
Cette paroisse, la plus étendue de toutes celles du diocèse d’Angers, se compose de petits hameaux assez éloignés les uns des autres et reliés par de mauvais chemins. Bien qu’il soit assisté d’un vicaire, le curé doit accomplir un travail
considérable, mais son dévouement pare à tout. Deux ans se passent ainsi, mais, après le déclenchement de la Révolution,
l’orage gronde au ciel de l’Église de France : après la nationalisation des biens du clergé (2 novembre 1789) et l’abolition des voeux solennels des religieux (15 février 1790), intervient le vote de la Constitution civile du clergé, sanctionnée par Louis XVI le
24 août 1790.
Une loi du 27 novembre décide que seront obligés à prêter serment de fidélité à la Constitution civile du clergé les évêques, curés, vicaires, supérieurs de séminaires et tous les autres ecclésiastiques fonctionnaires publics. Bien que le pape ne se soit pas encore prononcé, le curé du Louroux a pris sa résolution : il ne prêtera pas le serment. Sans attendre, le curé monte en chaire le dimanche 27 février, à l’issue de la messe. Il se met à expliquer dans un discours longuement médité devant le tabernacle, pourquoi, en tant que prêtre catholique rattaché par son évêque au successeur de Pierre, chef unique de toute l’Église de Jésus- Christ, il s’est refusé à prêter le serment constitutionnel, qui est attentatoire aux droits de Dieu et de l’Église. Le maire, présent au premier rang de l’assistance, interrompt le prêtre d’une voix irritée : « Descends de cette chaire ! Tu nous dis que c’est une chaire de vérité, et tu ne débites que des mensonges ! ». Les fidèles se dressent, suffoqués d’une pareille insolence. Une voix forte domine les
/« En tant que prêtre catholique, il se refuse
à prêter le serment constitutionnel, qui est
attentatoire aux droits de Dieu et de l’Église. »
autres : « Restez en chaire, Monsieur le Curé ! Vous parlez bien, nous vous soutiendrons ! ». Dès le soir, les habitants
des paroisses voisines témoignent autour d’eux de ce qui s’est passé. La municipalité a rédigé, séance tenante, un rapport au
Tribunal révolutionnaire d’Angers où elle réclame l’arrestation de ce « curé incendiaire » et « perturbateur du repos
public ». Le vendredi suivant, un détachement de la garde nationale arrive au bourg, pendant la nuit, par crainte de la population, pour arrêter le curé.
Les juges le condamnent à rester, pendant deux ans, éloigné de sa paroisse d’au moins huit lieues (trente kilomètres). Noël Pinot se retire à l’hospice des Incurables, où il est accueilli avec joie. Mais les révolutionnaires prennent vite ombrage de sa présence ; l’abbé se retire donc, en juillet 1791, dans le pays des Mauges, proche de Beaupréau, et vit là en proscrit, se dévouant avec zèle pour les âmes. En 1793, les évènements de la guerre de Vendée lui donnent l’occasion de rentrer dans sa paroisse.
Sous la garde de ses fidèles
La vaste étendue de sa paroisse, permet à l’abbé Noël Pinot de se cacher dans des fermes isolées. L’affection vigilante
et la discrétion absolue des fidèles font bonne garde autour de ses cachettes ; il doit cependant en changer souvent car la garde nationale soupçonne sa présence et les perquisitions sont fréquentes. Durant le jour, il demeure enfermé dans des greniers ou des étables. La nuit venue, il sort pour aller administrer les sacrements aux malades. Il baptise les nouveau-nés, instruit les enfants, reçoit les fidèles, les confesse, les réconforte. À minuit, on prépare le nécessaire pour la célébration de la messe, et les fidèles peuvent participer au Saint Sacrifice et communier. La vie religieuse continue, digne de celle des
catacombes.
L’année 1794 commence dans le sang et les larmes. Le Comité de salut public applique impitoyablement le décret du 21 octobre 1793, qui punit de mort tout prêtre réfractaire non expatrié dans le délai de dix jours. Les mailles du filet se resserrent autour de Noël Pinot. On lui propose de se retirer dans un lieu éloigné plus tranquille, mais il refuse.
Chaque jour, il se prépare à la mort. Le 8 février, à la nuit tombante, il prend l’air dans le jardin d’une pieuse veuve
qui l’héberge, lorsqu’un ouvrier, surnommé Niquet, le reconnaît malgré l’obscurité. Niquet court dénoncer Noël Pinot. Immédiatement, la garde nationale se met en route. Chez la veuve, on a juste le temps de cacher le prêtre dans un grand coffre. Comme la vaillante veuve refuse de parler, on fouille la maison sans rien trouver. Un des gardes, en passant près du coffre soulève le couvercle d’un air distrait puis le laisse retomber en pâlissant. Il vient de découvrir le proscrit et hésite à le dénoncer. Mais Niquet a tout remarqué : « Tu as trouvé le curé, lui crie-t-il, furieux, et tu veux le cacher ? ».
Il soulève le couvercle et le prêtre sort, le visage grave et tranquille. Injurié, frappé, Noël Pinot se laisse lier sans résistance. Ses ornements sacerdotaux sont saisis avec lui. Il est conduit au Louroux, puis à Angers, où il comparaît devant le Comité révolutionnaire. Taxé de « très contre-révolutionnaire », le curé est jeté dans un cachot et condamné au pain et à l’eau.
Le 21 février, le réfractaire est introduit devant le tribunal révolutionnaire. La commission est présidée par le citoyen Roussel. La sentence prononcée, Roussel, regardant les ornements de la messe exposés devant le tribunal, propose au condamné par dérision : « Ne serais-tu pas bien aise d’aller à la guillotine avec tes habits sacerdotaux ? – Oui, acquiesce sans hésiter le confesseur de
la foi, ce sera pour moi une grande satisfaction. – Eh bien, réplique l’autre, tu en seras revêtu et tu subiras la mort dans cet accoutrement. »
L’exécution a lieu le jour même. Ce vendredi, à trois heures de l’après-midi (heure de la mort du Seigneur en croix), Noël Pinot se retrouve au pied de l’échafaud. On lui retire sa chasuble ; l’étole croisée sur la poitrine, il se présente au bourreau. De loin, l’abbé Gruget lui donne l’absolution. Un roulement de tambour… Le couperet tombe… Le sacrifice est consommé : l’âme du bon pasteur a atteint l’autel de Dieu ! Ainsi meurt, le 21 février 1794, à l’âge de 48 ans, l’abbé Noël Pinot.
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L’Homme Nouveau
N° 1609 du 27 février 2016