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Jean-Claude Romand, de la prison à l’abbaye (Paris Match)
par Bernard Joustrate 2019-07-20 21:38:22
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Jean-Claude Romand, de la prison à l’abbaye

Paris Match | Publié le 20/07/2019 à 06h25
Par Raphaël Meyer

Après 26 ans de prison, le faux médecin qui avait assassiné toute sa famille a été accueilli dans une abbaye bénédictine.

Romand s’est dit « très touché » par l’attention : un simple bouquet de fleurs posé sur le petit bureau de sa nouvelle cellule, celle-là monacale. Une vingtaine de mètres carrés, parquet, tapis, mobilier d’époque, prie-Dieu, salle de douche et, s’est-il presque étonné, « un vrai lit ». Sous sa fenêtre, un ravissant jardin à la française, où l’ordre triomphe. A sa gauche, le majestueux chevet de l’abbaye, au-delà duquel on aperçoit des vignes. Et, devant lui, un petit bois où les moines aiment se promener pendant leur unique « récréation », deux heures dans l’après-midi.

Le vendredi 28 juin, à 4 heures du matin, au cœur de la canicule, ils dorment tous, ou presque, lorsqu’une escorte de la centrale de Saint-Maur dépose discrètement Jean-Claude Romand, 65 ans, aux portes de ce qui sera désormais son domicile officiel : Notre-Dame de Fontgombault, dans l’Indre. L’escorte franchit le portail blanc de la clôture, enclos réservé aux seuls moines. Dom Jean Pateau, élu père abbé en 2011, attend derrière. Chez les bénédictins de la congrégation de Solesmes, le supérieur monastique, père et guide de la communauté, tient la place et le rang du Christ. C’est dire la lourdeur de sa tâche. Sitôt dans sa cellule, Romand actionne son bracelet électronique. L’engin, très précis, lui commande d’y demeurer chaque jour de la semaine, de 21 h 30 à 7 h 30, ainsi qu’après le déjeuner, de 13 h 55 à 14 h 05. A ce règlement de sa liberté conditionnelle, prévue pour deux ans, s’ajoute l’interdiction de quitter les 6 hectares de la clôture. Les moines ne franchissent jamais cette limite, si ce n’est pour de brèves courses d’intendance ou un enterrement familial. Eux vivent tout près de leurs tombes.

Le lendemain de son arrivée, à l’heure du déjeuner, en jean bleu et veste beige, Jean-Claude Romand pénètre entouré de moines dans le sombre réfectoire voûté du XVe siècle, long de 23 mètres. Son visage n’a pas vraiment changé, ont pu observer des hôtes en retraite. A peine plus épais. Le crâne est entièrement chauve. Un ou deux regards furtifs, insondables, sur la salle imposante, avant de se placer debout derrière sa chaise, comme la cinquantaine de moines, le temps des bénédicités chantés en latin. Il écoute recueilli, tête baissée, doigts croisés. Sa place est à l’extrémité de la longue table centrale, la seule où les moines sont en vis-à-vis. Le père abbé règne à l’autre bout de la salle. Les premiers jours, pendant les repas pris en silence, Romand est resté de marbre, comme prostré ; on aurait dit un enfant puni, les yeux plongés dans son assiette. A sa plus ancienne visiteuse de prison, âgée de 85 ans, qu’il appelle souvent au téléphone, il a attribué cette « tristesse » à une promenade solitaire dans le bois de la clôture qui l’aurait replongé dans le passé : les longues balades en famille, l’odeur des arbres… « Jean-Claude, nous dit-elle, ne pourra jamais dire : “Je suis heureux.” Il sera en deuil jusqu’à son dernier jour. Dans cette abbaye, il veut expier. » Elle a hâte de rendre visite à cet ami qui, la première fois qu’il l’a vit en prison, lui lança : « Vous ressemblez à ma maman. »

Dom Jean Pateau a présenté Jean-Claude Romand à l’ensemble de la communauté. L’échange, que Romand qualifiera de « chaleureux », fut assez bref. Car tous ont des journées chargées. La quête permanente de Dieu laisse peu de temps aux bavardages. D’autant que tous prient aussi pour ceux qui n’en prennent pas la peine. Les moines de chœur se consacrent à l’œuvre liturgique. Ils ont des CV prestigieux et variés. Dom Jean Pateau, agrégé de physique lors de sa vie civile, a effectué de savants calculs qui ont augmenté le rendement de la véritable petite centrale électrique de l’abbaye, alimentée par la Creuse. Avant leur ordination, tous ont étudié pendant six ans la philosophie et la théologie. La bibliothèque compte 75 000 ouvrages. Chaque jour, cinq à sept heures de chants grégoriens. Ceux de Fontgombault, qu’accompagne l’orgue, léger comme un ange, sont célèbres ; leur beauté invite le mystère. Sept offices, dits et chantés en latin. Le premier est à 8 h 15. Le dernier, à 20 h 35, baigné d’encens, marque la dernière vibration avant le silence imposé de la nuit. Seul dans l’une des cinq chapelles absidiales, Jean-Claude Romand assiste à la plupart d’entre eux. « Il se plie par conviction religieuse et par respect aux règles de vie de l’abbaye », soulignent ses avocats, Jean-Louis Abad et son fils Adrien.

Les frères convers, eux, font tourner l’abbaye. Fontgombault vit presque en autarcie. Une ferme et ses animaux, un vaste potager, des serres nombreuses, un champ de blé, domaine du frère boulanger, et, dans le verger, tous les arbres de la création. On s’active dans la buanderie et en cuisine, où l’on possède l’art d’accommoder les restes. Des repas simples, copieux. Potage midi et soir, puis légumes variés avec tantôt des œufs, tantôt du poulet, du boudin, un pâté. Suivent une salade verte, servie avec une sauce aux noix, et le dessert, pommes, tarte ou flan. « Plus qu’une libération, c’est une retraite, une existence monacale très encadrée, avec ses règles assez dures, que va vivre Jean-Claude Romand pendant deux ans », poursuivent ses avocats. C’est par l’intermédiaire d’un « ami » de l’abbaye, un général récemment décédé, visiteur de Romand à Saint-Maur, qu’a mûri le projet Fontgombault. Il avait d’abord été question de la Bergerie de Berdine (Vaucluse), puis de la communauté Emmaüs de Déols (Indre). Deux lieux trop exposés au public.

L’idée de l’abbaye voit le jour en septembre 2018. Une demande de remise en liberté conditionnelle est alors déposée aux juges de l’application des peines de Châteauroux. Dans l’intervalle, un tête-à-tête de deux heures au parloir de Saint-Maur va permettre à Dom Jean Pateau de sonder Romand et d’évaluer ses motivations. Le père abbé donne son accord, se réservant le droit de reconsidérer la situation. Il n’oublie pas une seconde la gravité des faits et la douleur des proches. Dans un communiqué, il a évoqué l’Evangile : « Souvenons-nous du regard du Christ sur le bon larron, sur Marie-Madeleine et sur tant d’autres pécheurs. Saint Benoît demande à ses moines d’honorer tous les hommes. Un mot résume notre démarche : miséricorde. » Cette hauteur de vue n’empêche pas l’abbaye, qui déguisa le milicien Paul Touvier en moine dans les années 1970, d’avoir des positions très arrêtées contre le mariage pour tous, sujet qui ferait peut-être sourire le Christ, ou contre la sédation profonde et assistée. A entendre les intéressés, l’argument n’est, sur cette question, ni moral ni politique : la mort, ce rendez-vous divin espéré toute une vie, doit être offerte.

Dans un premier temps, Romand n’était pas très « partant » à l’idée d’une abbaye. Puis il s’est rallié au projet, porté aussi par l’administration pénitentiaire. L’expertise psychiatrique effectuée en 2016 n’est pas tendre, même si elle considère que « l’intéressé ne présente pas de dangerosité criminologique significative » et que son risque de récidive « semble très peu probable ». Mais elle décrit « une personnalité pathologique intriquant des éléments narcissiques et pervers, qui n’a que peu évolué depuis son incarcération ». Et s’il manifeste des « regrets », ceux-ci ne sont « ni explicites ni imprégnés d’émotion repérable ». Il commente lui-même cette froideur : « La réalité du deuil, je n’ai pas pu la faire. Je n’ai pas pu aller sur la tombe. Je sais bien qu’ils ne sont plus de ce monde. » Romand confirme son « besoin constant de gratification narcissique » ; à ce propos, les juges de Châteauroux ont mesuré lors d’une audience « la satisfaction teintée d’orgueil qui était la sienne de pouvoir se prévaloir du soutien de l’abbé Pateau, un véritable érudit, venu le rencontrer en civil, ce qu’il n’avait pas fait depuis vingt ans, le plaçant ainsi à égalité ». Une « vraie rencontre sur le plan humain », ajoutera Romand, et « de nombreux points communs, comme la pratique du chant grégorien ». En 2017, la seconde expertise, diligentée par le Centre national d’évaluation (CNE), dépendant du ministère de la Justice, sera plus indulgente. Malgré son côté « stratège » et sa difficulté « à verbaliser ses émotions, notamment négatives », le CNE l’estime « authentique et sincère, avec une culpabilité plus prégnante que ce qui est ressorti des expertises ». En résumé, « son modèle social est plus adapté et conforme à la réalité ».

Le 8 février dernier, le tribunal avait rejeté sa demande de liberté conditionnelle, au motif que le projet de Fontgombault avait été construit dans la précipitation. Quelque trois mois plus tard, la cour d’appel de Bourges infirmait ce refus. Une décision que ne digère pas Emmanuel Crolet, un des deux frères de Florence, l’épouse assassinée. « L’arrêt n’est nullement motivé », s’indigne-t-il. Romand ? « Il est resté un être opportuniste et manipulateur. Il a charmé et berné ses visiteurs de prison pendant vingt-six ans, comme il a agi avec nous tous. Il a embarqué dans son projet prétendument pieux un tas de gens qui y ont naïvement cru. Romand est une coquille vide qui se remplit du regard des autres. Il a surjoué le repenti à l’audience de Bourges. S’il avait un tant soit peu de cœur ou d’empathie, il n’aurait pas fait appel, il aurait accompli la totalité de sa peine : trente ans de réclusion. Et dans deux ans, que fera-t-il ? Personne n’en sait rien. »

Dans sa cellule, Romand a terminé de vider ses cartons. « Il a beaucoup de papiers administratifs à remplir, raconte sa visiteuse. Une fois par semaine, il reçoit la visite d’une psychologue. Elle lui fait dire des choses importantes. » Lesquelles ? « Je ne lui pose pas ce genre de questions. Cela ne regarde que lui. » Dom Jean Pateau a attribué à Romand un bureau dans lequel il sera chargé de numériser les archives de l’abbaye. Il semble avoir pris ses marques ; on l’a même vu entrer (faute corrigée par nos soins) au réfectoire, tout sourire avec un moine. Le père abbé est convaincu que Jean-Claude Romand a trouvé le chemin de la foi. « Et si c’est faux, alors Dieu le jugera. »

source : https://www.parismatch.com/Actu/Societe/Jean-Claude-Romand-de-la-prison-a-l-abbaye-1638044

     

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