CHAPITRE XIII
Suite du discours commencé
(...) Elle pouvait bien dire : Mon bien-aimé est comme un faisceau de myrrhe qui demeure entre mes mamelles. (Cant. I, 12.) Il y demeurait, non pas comme un bouquet de croix pour un jour, mais pour toute sa très innocente vie. Et après toutes ces souffrances, son amour dans les Cantiques est comparé à la mort et à l'enfer ; à la mort (Cant. VIII, 6), pour faire voir l'excessive grandeur de ses tourments, comme étant la chose la plus terrible de tout ce qu'il y a de plus terrible en ce monde. Mais il est dit encore semblable à l'enfer, pour nous marquer par son éternité les désirs que cette reine des martyrs avait de la continuation de ses peines. Toute la vie donc du Chrétien est une vie de croix, et c'est une très grande misère de s'en voir exempt.
Saint Ambroise s'affligeait lorsqu'il passait un jour sans affliction : et saint Cyprien est obligé de consoler des Chrétiens, qui dans une occasion d'une maladie contagieuse se voyant tous les jours exposés à la mort, étaient sur le point d'être privés de tourments horribles que la rage des tyrans faisait endurer aux fidèles.
Tous ces désirs font trouver la vie bien courte à l'âme : et quand elle en considère la durée, qui n'est que d'un moment, et le poids immense d'une gloire éternelle qui la doit suivre, elle est obligée de s'écrier : Oh ! Que les peines de cette vie passent bien vite ! Et que les récompenses que Dieu leur donne, sont longues ! Ah ! Quil est doux, mais qu'il est utile et avantageux, mais qu'il est glorieux de vivre et de mourir dans l'accablement des croix ! Nous sommes, dit-elle encore, les pierres vives dont doit être bâtie la grande citée du paradis, dans laquelle tous les élus auront une demeure divine. Si nous qui sommes ces pierres mystiques, sommes coupés et taillés par un grand nombre de tourments, c'est une marque évidente que notre maison céleste doit être ample et magnifique : car à proportion que le bâtiment doit être grand et élevé, à proportion le travail que les ouvriers emploient à polir les pierres, doit être grand : celles qui ne sont pas mises en oeuvre, ne sont pas taillées et coupées, mais on les jette aux ordures : il en va de même des réprouvés, qui sont laissés à leurs désirs, et abandonnés aux joies et aux honneurs du monde.
Oh ! Que la grâce des croix est donc précieuse, et qu'il la faut conserver chèrement ! Que nous devons prendre garde à ménager tous les moments de peines qui nous sont donnés ! Et que nous devrions être convaincus, que d'en perdre un instant, c'est faire une perte qui ne se peut comprendre ! Cet ermite savait bien cette vérité, qui voyant les vers qui rongeaient son corps, et qui tombaient par terre avec les lambeaux de sa chair, les ramassait avec grand soin pour les appliquer tout de nouveau sur son corps demi-pourri, prenant bien garde qu'il ne s'en perdît pas un seul. Nous voyons tous les jours les avares être attentifs à ne pas perdre un écu, être dans la gêne s'ils perdent une pistole, et nous ne pensons pas aux trésors inénarrables dont nous nous privons, lorsque nous ne faisons pas un usage fidèle des croix. Si l'on mettait une personne attachée au bien dans une chambre pleine de pistoles, pour en prendre à son aise durant une heure, perdrait-elle un quart d'heure de ce temps, et laisserait-elle même un moment sans rien faire ? Mais voici que le temps de la vie présente nous est donné pour amasser des biens infinis par notre fidélité à la mortification, et nous nous reposons comme si nous n'avions rien à faire. Les moindres petites parcelles de la véritable croix sont enchâssées dans de précieux reliquaires, et on ne peut jamais assez les honorer : s'il en tombe par mégarde la moindre, partie, aussitôt l'on se jette à genoux pour la recueillir avec un profond respect : et c'est ce que doivent faire tous les Chrétiens, à moins que d'être impies. Mais ne devons-nous pas aussi nous souvenir que les croix que nous portons sont vénérables, et qu'il faut les soutenir avec honneur, sans en laisser perdre la moindre chose ?
Source : Livres-mystiques.com
Que Jésus Miséricordieux vous bénisse
ami de la Miséricorde