Au tout début de l’année 1977, je rentrais juste du Nord-Vietnam où je venais de passet dix-huit mois comme adjoint au Conseiller Commercial de l’Ambassade de France à Hanoï.

Un jour un ami me téléphone me disant qu’un ami commun, que nous appelions toujours de son prénom, Tran et qui était d’évidence Vietnamien, voulait me faire rencontrer une dame de haut rang qui venait tout spécialement de Rome pour me voir car j’avais, disait-elle, des choses extrêmement précieuses à lui montrer.

Cela m’intriguait beaucoup car je me demandais ce qu’une dame de haut rang avait bien à demander à un ancien petit diplomate, venant certes d’un pays extrêmement fermé. Des objets précieux, j’avais bien quelques statues bouddhiques et des jades mais je ne leur voyais que peu d’intérêt et de toutes façons j’en avais offert la plupart à de amis comme souvenirs de voyage.

Cet ami m’avait également précisé que Madame avait l’habitude des restaurants sélects et que je ne devais pas lésiner sur mon choix auquel elle se fierait. Il se trouve que rentrant de Hanoï, j’avais récemment été invité par le Conseiller Commercial de la République Socialiste du Vietnam. Un restaurant du quartier discret extérieurement mais éblouissant à l’intérieur, service impeccable et plats exquis qui pouvait rivaliser avec la grande cuisine impériale de Hué. Comme quoi les communistes ont parfois du goût !

Réservation faite, nous nous retrouvons tous au restaurant à l’heure exacte convenue. L’exactitude dont on dit qu’elle est politesse des rois, est la qualité précise des Extrême-Orientaux qui arriveront un quart d’heure en avance et préfèreront attendre pour sonner juste quand il convient. On est loin du quart d’heure prétendu « de politesse » des Parisiens …

Madame nous précède pour entrer, une dame de grande prestance, Vietnamienne de toute évidence, je m’y attendais (pourtant elle m’a dit plus tard qu’elle était Chinoise d’origine) :



Madame avait, de toute évidence, comme Winston Churchill, des goûts très simples : elle se contentait de ce qu’il y avait de meilleur ! Et rien n’était trop beau pour ses invités, vins et champagnes de très haut de gamme, mets délicieux …

Mais depuis le début de la soirée, je me demandais où je pouvais l’avoir déjà vue … j'avais bien remarqué le regard totalement sidéré du personnel vietnamien (ils chuchotaient du reste entre eux en la regardant).

Et puis, à un moment donné, cela m’est revenu, quand j’ai senti en elle la main de fer dans un gant de velours, avec ce flash :



Accompagné du souvenir d'un drapeau disparu depuis bientôt trois ans :



C’est ainsi que j’ai compris que Madame n’était autre que Madame Ngô Dinh Nhu qui avait été la belle sœur de Ngô Dinh Diem, président depuis 1955 jusqu’en 1968 de la République du Vietnam, qui s’étendait sur la zone au sud du dix-septième parallèle. Pour en savoir davantage je me permet de vous renvoyer à l’article de Wikipédia :

Madame Ngo Din Nhu


Maintenant le personnel du restaurant devait se demander quel jeu je jouais en venant chez eux d'abord en compagnie de diplomates communistes, puis de la très sulfureuse, à leurs yeux sans doute, ancienne Première Dame de Saïgon. Cela n'a cependant pas compromis la suite de ma carrière, même si je devais rester une de ces énigmes d'entremetteur mystérieux dont raffolent les Asiatiques !

Wikipédia ne développe pas suffisamment la sensibilité très catholique de Madame Nhu, famille ultra-traditionnaliste :





En fait, quand elle tenait le rôle de facto de Première Dame du Sud-Vietnam, elle avait eu un rôle plutôt sombre dans la politique du pays. On l’accuse d’avoir utilisé son pouvoir d’égérie du régime pour persécuter les non-catholiques, Bouddhistes et Caodaïstes (une secte syncrétiste datant de la colonie française, développée essentiellement au sud). Certain se souviennent peut-être de ces photos horribles de bonzes bouddhistes s’immolant par le feu dans les rues de Saïgon au milieu des années 1960 .

Ce n’était pas tout à fait faux car l’objectif de Madame Nhu n’était pas moins que de faire élire son autre beau-frère, Monseigneur Ngô Dinh Thuc comme Pape lors du prochain Conclave au Vatican !

Voici un lien Wikipédia qui peut nous éclairer :

Monseigneur Ngô Dinh Thuc

La suite de la soirée fut extrêmement agréable. Le souhait de Madame était de regarder mes albums photos que j’avais prises au Nord-Vietnam durant mon séjour. J’étais donc passé en vitesse chez moi (rue de Saïgon, cela ne s’invente pas), récupérer tous les documents. Il s’avaient cette particularité d’être en couleurs … à l’époque, les photos en couleur étaient interdites au nord, car il n’existait pas de laboratoire capable de les développer. Or, j’avais apporté dans mes cantines un appareil Polaroïd qui fut autorisé par la douane de l’aéroport à Hanoï.

Mon studio était trop petit pour y accueillir huit personnes et nous nous sommes rendus à Neuilly chez des amis qui avaient un très grand appartement. Madame était très émue en voyant ces photos, car elle était native de Hanoï. Elle avait une immense culture sur le Tonkin. J’ai appris énormément de choses que j’ignorais, car la très grande bibliothèque de l’ambassade avait été pulvérisée par une bombe américaine en 1973. En outre, et était incollable sur l’histoire de l’évangélisation du pays. Mes photos de pagodes bouddhistes ne l’intéressaiten pas du tout, mais le reste si et on pouvait percevoir beaucoup d’émotion dans ses yeux !

Tard dans la nuit, tout le monde s’est séparé et Madame Nhu m’a fait promettre de lui rendre visite à Rome où elle avait rapporté bien des trésors qu’elle tenait à me montrer.

Je n’ai hélas pas pu tenir ma promesse, ce que je regrette beaucoup encore aujourd’hui.

Pierre.

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