CHAPITRE VIII
Les croix sont le paradis de la terre
C'est pourquoi nous disons que la félicité de la vie présente consiste dans les souffrances, puisqu'elles nous font jouir de Dieu seul d'une manière plus pure et plus parfaite. Il est vrai que souvent la douceur de ce bonheur n'est pas goûtée dans les sens, ni connue dans la partie inférieure raisonnable, de peur que l'amour-propre et la propre satisfaction ne s'y mêlent ; mais ce bien ne laisse pas d'être véritablement dans l'âme, qui jouit de son véritable bonheur quand elle est dans son centre, c'est-à-dire dans l'union avec son Dieu.
Elle le voit bien, quand il plaît à son Souverain de le lui manifester ; ce qu'il fait quelquefois avec des douceurs sensibles si charmantes, ou, si les sens n'y ont pas de part, avec des lumières si vives et si certaines, qu'il lui semble être dans les avant-goûts de la joie des bienheureux, parmi les croix les plus pénibles à la nature.
Mais enfin ces douceurs sensibles et ces lumières aperçues ne sont que de petits rejaillissements de la grâce sur la partie sensitive, ou quelque connaissance réfléchie du bien que l'on possède, qui est l'union avec Dieu seul. Or cette union, en ce monde, est d'autant plus pure et plus parfaite, quelle est moins connue. Pourvu que l'on soit très uni à son centre, on possède la félicité dont on peut jouir. On peut ici remarquer la raison par laquelle de saintes âmes se sont trouvées dans une grande tristesse, lorsque les croix qui les affligeaient étaient sur le point de finir.
Quelquefois même elles étaient tout étonnées d'où leur pouvait provenir une tristesse si extraordinaire ; car, ordinairement, on sent de la joie dans la délivrance des peines. C'est que ces âmes ayant rencontré leur bonheur dans l'union avec Dieu seul par le moyen des croix, et connaissant qu'elles allaient perdre ce moyen, se trouvaient dans la peine, appréhendant, dans sa privation, de ne pas jouir de leur centre parfaitement.
Nous disons ensuite qu'il est plus doux de souffrir que de penser à la souffrance. Cela peut encore paraître surprenant, et cependant cela est très vrai. La raison est que la pensée de la souffrance ne nous unit pas à Dieu seul comme la souffrance actuelle. Le chemin qui mène au lieu où l'on va est le moyen nécessaire pour y arriver ; mais il y a bien de la différence de la pensée de se mettre en chemin, ou bien de le prendre.
Vous voyez bien que la pensée d'aller au lieu ne nous y conduit pas ; de même les sentiments, les vues ou pensées des croix ne nous conduisent pas à l'union avec Dieu seul, comme les croix mêmes, et par conséquent ne nous font pas jouir du bonheur qui se rencontre dans cette union comme les souffrances actuelles. Ô âme chrétienne, fais ce que tu voudras, tourne-toi de quel côté que tu pourras ; quand tu jouirais de tous les honneurs, plaisirs et richesses du monde, tu ne trouveras ton repos qu'en Dieu seul : Dieu seul est ton principe, ta fin et ton centre. Voyez-vous cet homme qui, par quelques faux pas, s'est disloqué un os ; il souffre de grandes douleurs, et crie. Mais si on lui disait : Eh ! pauvre homme, pourquoi cries-tu ?
Source : Livres-mystiques.com
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