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A propos de la prière par Louis Jugnet
par Diafoirus 2018-08-13 19:07:07
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L’utilité, et même la nécessité, de la prière repose sur deux fondements, l’un ontologique, accessible à la raison philosophique elle-même, l’autre proprement religieux, appuyé sur le concept du surnaturel au sens strict.

1) Fondement philosophique : l’être créé dépend toujours de l’être incréé
Ontologiquement, le fini a besoin de l’Infini, l’imparfait du Parfait, le contingent du Nécessaire [1]. C’est la prière qui souligne le mieux l’insuffisance radicale de l’être fini, sa totale dépendance dans l’être par rapport à l’«Ipsum Esse Subsistens ». La prière n’est que la prise de conscience d’une disproportion foncière entre l’absolu et le relatif, le Créateur et la créature.

2) Fondement théologique : l’ordre surnaturel
Mais surtout la prière concerne le Dieu de la Sur-Nature [2], du Mystère, du Sacré, de la Grâce, de la Révélation (processus « descendant » de Dieu à l’homme – début de l’Épître aux Hébreux : « Après avoir, à plusieurs reprises et en diverses manières, parlé autrefois à nos Pères par les prophètes, Dieu, dans ces derniers temps, nous a parlé par son Fils qu’il a établi héritier de toutes choses, et par lequel il a aussi créé le monde »).
Ces réalités suprêmes, dépassant toutes les conceptions et toutes les forces de n’importe quelle nature (ou essence) finie, ne peuvent être atteintes que grâce à un éclairage surnaturel, au sens fort du terme.
Puisque nous sommes des descendants d’Adam, pécheurs et rachetés, nous ne pouvons être greffés sur la vie même de Dieu que par un don gratuit. Mais il y a ici une réciprocité causale entre notre appel – ou notre demande – et le don divin. Nous devons prier pour être sauvés.

3) Objection : Dieu change d’avis ?
Et qu’on ne dise pas : la prière suppose en Dieu une succession (temporalité) et une vertibilité (il se laisse fléchir, donc change d’avis). Tout cela n’est dit que dans le mode discussif qui est celui de notre entendement lié au sensible, mais en Dieu lui-même, il n’y a pas de succession : tout est « simul » et nos prières, elles-mêmes, sont pour ainsi dire un élément, ou un ingrédient, du panorama total en fonction duquel Dieu juge et décide.

4) Difficulté : Prier pour obtenir la foi ?
Reste alors une réelle difficulté pour ceux qui n’ont pas encore la foi surnaturelle, sans être de vrais incroyants, puisqu’ils sont séduits, les uns de façon purement spéculative (« c’est vraiment bien construit, ça a de réelles chances d’être vrai »), les autres, avec un commencement de réalisation pratique ou de « mise en marche », mais tâtonnante et incertaine.

Que peuvent-ils faire ? S’ils ne prient pas pour obtenir la conversion, Dieu ne leur « doit » aucunement de les éclairer de façon décisive. Ils resteront comme des statues devant l’univers de la foi, peut-être jusqu’à la mort… S’ils prient, ils risquent d’éprouver une impression d’insécurité ou d’autosuggestion…
Cependant, cette difficulté est assez éristique [3], et fait penser aux objections de Zénon d’Elée contre le mouvement. Si elle était fondée, comment y aurait-il des conversions ? Or, il y en a [4]. La vérité, c’est que l’incroyant « en marche » (même simplement esquissée) peut faire la fameuse prière indiquée par Newman aux incrédules, avec un humour bien britannique : « O mon Dieu – s’il y a un Dieu – sauve mon âme – si j’ai une âme », et qui n’est choquante qu’à première vue : chacun est appelé avec la dose de lumière du moment, si l’on peut dire. On ne lui demande pas d’avancer en violentant et brusquant sa conscience, mais d’être réceptif, ouvert, de ne rien opposer d’opaque entre lui et la grâce, sur le plan éthique (sensualité, orgueil, haine, intérêts matériels) ni sur le plan spéculatif (préjugés empiristes, scientistes, etc.) : « Ne pas pécher contre la lumière » (Newman) souvent fine et délicate, facile à méconnaître, et qui ne reviendra peut-être pas si on l’a mal reçue.

Sur le philosophe thomiste Louis Jugnet (1913-1973), voir le dossier dans Le Sel de la terre 47.

[1] Voir la troisième preuve de l’existence de Dieu, par exemple dans Garrigou-Lagrange : « Dieu, Son Existence, Sa Nature » tome I ou, plus sommairement, dans la « Métaphysique » de Jolivet.
[2] « Deus sub ipsa ratione Deitatis » – Dieu considéré sous la raison même de la déité.
[3] Difficulté éristique : suscitée par la controverse, et non par la pratique.
[4] « Ab esse ad posse valet illatio » – l’existence d’une réalité suffit à prouver sa possibilité.

http://www.dominicainsavrille.fr/a-propos-de-la-priere/#more-3424

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