Latin

Georges Brassens a tout dit en une chanson « Sans le latin... » , et le latin liturgique qu'on a liquidé il y a un peu plus de cinquante ans, avec une légèreté si effrayante et si obstinée, ce « latin mystique » dont Remy de Gourmont s'était fait l'anthologiste ébloui, trésor commun de quinze siècles de chrétienté dont on a soudain privé les fidèles, rien ne l’a remplacé, rien n'a atténué le scandale étrange de cette abolition qui est un suicide, et il suffit que quelques bribes de ce qu'on appelle désormais la forme extraordinaire du rite romain, le Regina cæli oule simple Sanctus par exemple, s'insinuent dans l'ordinaire français pour condamner sans appel la fadeur et la niaiserie de cet ordinaire. « Envoie ton esprit sur la coupe...,» : il y eut quelqu'un, un clerc sans doute, pour oser écrire cela, puis il y eut d'autres clercs, au-dessus de lui, pour oser l'imposer aux fidèles, et il y a des fidèles, depuis cinquante ans, qui poussent l‘obéissance jusqu’à le chanter et le faire chanter sans honte ni le moindre soupçon de ridicule. Les clercs qui ont introduit une telle indigence dans les églises, que d'ailleurs ils ont vidées, n'ont pas même l'excuse de l'ignorance des clercs actuels, élevés dans ce désert : eux ont été nourris aux splendeurs, les derniers, splendeurs qu'ils ont mises ensuite sous le boisseau. On leur demande du pain et ils donnent des pierres. Le mot de l'Idiot de Dostoïevski, si rebattu qu'il en est devenu un pont aux ânes des amateurs de spirituel, « La beauté sauvera le monde » a un corollaire implacable : que si la beauté sauvera le monde, alors la laideur le perdra, et ceux qui l’auront propagée auront été des ouvriers de perdition.

Philippe Barthelet

26 AVRIL 2018

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