“L'Église est prête à soutenir le développement de la société saoudienne“
PROPOS RECUEILLIS PAR NICOLAS FELDMANN publié le 26/12/2017
L’épisode serait presque passé inaperçu dans une Arabie Saoudite engagée dans une campagne d'arrestations de masse au nom de la lutte contre la corruption, et soupçonnée de retenir un premier ministre libanais démissionnaire. Les 13 et 14 novembre derniers, le cardinal libanais Mgr Béchara Boutros Raï, patriarche des maronites, rencontrait successivement à Riyad le roi Salmane d'Arabie Saoudite, et son fils, le prince héritier Mohammed Ben Salmane. La première visite officielle d'un responsable catholique en Arabie Saoudite.
Le 13 et 14 novembre, vous étiez le premier responsable catholique invité en visite officielle en Arabie Saoudite. Peut-on qualifier cette rencontre d’ historique ?
Oui, c’est une première à la fois dans l’histoire de l’Église Maronite et dans celle du royaume. Mais la rencontre illustre les relations établies tout au long de l'Histoire à travers les correspondances échangées entre les Rois et les Patriarches. Cette visite revêtait aussi une portée historique car elle coïncidait avec la démission, le 4 novembre du premier ministre Saad Hariri annoncée depuis l’Arabie Saoudite, suivie de sa « permanence » à Riyad. J’ai abordé cette question avec les autorités saoudiennes en vue du retour de premier ministre au Liban et pour résoudre la crise constitutionnelle et politique. Ce qui a été fait avec des résultats positifs. (ndlr : le Premier ministre libanais rentrait au Liban le 22 novembre, avant d’annoncer renoncer à sa démission le 5 décembre)
Le prince héritier Mohammed Ben Salmane se lance dans une transformation de la société saoudienne et prône un « islam modéré ». L’Église a-t-elle un rôle à jouer ?
L'Église est prête à soutenir tout pas entrepris pour le développement de la société saoudienne. La présence dans le royaume d’un nombre important de Libanais (ndlr : ils seraient quelque 160.000 sur une population de 32 millions d’habitants), parmi lesquels beaucoup de chrétiens, joue un rôle important, qui favorise cette transformation, parce qu’ils sont formés à la démocratie, aux droits de l’homme, et au pluralisme. Ils contribuent à l’essor social et au développement du royaume. Les guerres dans la région ont affaibli la présence chrétienne, son efficacité et l’une des ses principales forces : celle de prôner la modération de l’Islam. Un rôle que l’Église a toujours assumé dans la région.
Les guerres dans la région ont affaibli la présence chrétienne, son efficacité et l’une des ses principales forces : celle de prôner la modération de l’Islam.
La construction d’églises ou l’importation d’accessoires liturgiques sont toujours interdites en Arabie Saoudite. Est-ce qu'une nouvelle page s’ouvre entre l’Arabie Saoudite et les chrétiens ?
Le dialogue est le seul moyen de résoudre les différences et les problèmes. Le prince héritier parle d’une ouverture de l’islam, c’est encourageant. Des célébrations religieuses sont organisées dans le royaume par des chrétiens et d’autres communautés dans des lieux privés. Les responsables saoudiens le savent et ferment les yeux. On ne peut pas tout changer brutalement. Il faut respecter les traditions, et ce changement se fera progressivement. Cette ouverture existe par ailleurs partout dans la région à travers une série de congrès islamo-chrétiens. L’Université d’al-Azhar en Égypte qui était parmi l’une des plus dures, joue aujourd’hui un rôle très important dans ce sens.
La création d'un Centre international permanent de dialogue religieux a été annoncée suite à votre visite en Arabie Saoudite. Quelle va être sa mission ?
Le dialogue entre les religions, les civilisations et les cultures est au cœur de nos préoccupations. L'Église ne cesse d’appeler à l’acceptation de l'autre avec toutes ses différences et l'écouter. Le dialogue est le seul moyen de surmonter les obstacles et de résoudre les problèmes. Ce Centre trouverait au Liban sa place naturelle car le dialogue entre le christianisme et l’islam y est pratiqué dans ses trois formes : dialogue de vie, de culture et de destin. Ce dialogue est consolidé par la convivialité islamo-chrétienne organisée par le Pacte national et la Constitution libanaise qui offre à chacun une participation égalitaire au pouvoir, tout en reconnaissant la séparation entre la religion et l’État.
La démission du premier ministre libanais Saad Hariri le 4 novembre dernier plongeait le Liban au cœur des rivalités entre l’Arabie Saoudite et l’Iran. Quel peut être le rôle des responsables des chrétiens d’Orient dans ce face-à-face ?
Les rivalités entre l’Arabie Saoudite et l’Iran sont d’ordre religieux, politique, économique et stratégique. Le rôle des responsables chrétiens se limite à appeler à la réconciliation et à la collaboration pour le bien de ces deux puissances régionales et celui de la région. D’ailleurs, le conflit entre elles s’étend au pays sunnites et chiites de la région. Les responsables chrétiens du Liban font appel à respecter la souveraineté du Liban et veillent à l’éducation nationale des nouvelles générations.
Nous n’avons aucun besoin d’être protégés. Seuls nos droits de citoyens dans nos pays nous protègent.
L’Iran se pose en protecteur des minorités dans la région. L’Arabie Saoudite peut-elle être aussi au côté des responsables catholiques et assumer ce statut ?
Je refuse ce discours. Personne n’a demandé à l’Iran d’être le protecteur des « minorités », ni même à l’Arabie Saoudite. En outre, qui sont les « minorités » ? Certainement pas les chrétiens originaires de tous les pays de la région depuis 2000 ans. Sur le plan théologique, c’est l’Église Universelle du Christ et le corps mystique du Christ, dont ils sont les membres, qui est présent dans cette région, comme c’est le cas à Rome et partout dans le monde. Nous chrétiens, vivons dans le respect des autres. Nous croyons en la collaboration pour le bien commun et la paix. Nous n’avons aucun besoin d’être protégés. Seuls nos droits de citoyens dans nos pays nous protègent.
Quel est votre position suite à la décision de Donald Trump de reconnaitre Jérusalem comme capitale d’Israël ?
Nous refusons la décision de Donald Trump. On ne peut pas « judaïser » Jérusalem. C’est une décision contre les chrétiens. Toute l’histoire du Salut, du Nouveau Testament est liée à Jérusalem. C’est dans cette ville que s’inscrit la manifestation du Christ, l’incarnation, la rédemption, la crucifixion, la résurrection, la Pentecôte et le début de l’Église. Dans notre liturgie nous appelons Jérusalem « la mère des Églises ». Notre position en tant qu’Église libanaise est celle du Saint-Siège depuis 1948 basée sur la résolution de l’Onu 181 qui parlait d’un corpus separatum pour Jérusalem. La ville doit avoir un statut international, sous la tutelle des Nations Unies et conserver sa liberté religieuse, le droit d’accès aux lieux saints du judaïsme, du christianisme et de l’islam, ainsi que la sauvegarde des biens propres à chaque communauté. Nous devons préserver cette ville sainte qui est un trésor pour l’humanité.La Vie