Comme BK le souligne, on voit dans ce texte que le pape ne peut être hérétique si c'est lui qui enseigne (surtout dans certaines circonstances) . En revanche, il peut parfaitement errer dans la Foi à titre personnel (par exemple quand il indique par une lettre privée quel sens il entend donner à AL aux évêques Maltais). Il ne peut professer en toute connaissance de cause une doctrine hérétique. Or justement, dans AL , lui-même rappelle que cette exhortation est la somme des compte-rendus et de ce qui s'est dit pendant le Synode. En outre Mgr Schönborn semble avoir eu une influence décisive quant à l'écriture de AL. Ce que rappelle parfaitement Mgr Burke aussi. A partir du moment où l'on admettrai donc que AL se dit exhortation Apostolique mais que le contenu n'est pas vraiment l'enseignement propre du pape.. Alors tout se tient!
L’impeccabilité et l’omniscience du pape
Si le pape est tenu pour infaillible en matière de dogme et de mœurs, il n’en reste pas moins qu’il est peccable. Sur ce point tous nos auteurs sont du même avis, citons simplement Mgr Fessler : il ne faut pas « confondre avec l’omniscience ou même avec l’impeccabilité le privilège que le divin fondateur de l’Église a accordé à son représentant sur la terre de ne point se tromper en définissant d’après l’Écriture et la Tradition, les vérités révélée […] ». Et cela se conçoit assez aisément : le souverain pontife est, et reste un homme. Par conséquent, il est toujours soumis à la nature de l’humanité et aux tentations du Prince de ce monde. En outre, les écritures nous donnent une preuve de la peccabilité du pape lorsque S. Paul reprend S. Pierre à propos de son comportement en présence des juifs à Antioche : « Mais quand Céphas [Pierre] vint à Antioche, je lui résistais en face, parce qu’il s’était donné tort. En effet, avant l’arrivée de certaines gens de l’entourage de Jacques, il prenait ses repas avec les païens ; mais quand ces gens arrivèrent, on le vit se dérober et se tenir à l’écart, par peur des circoncis » [Galates, II, 11-12] [23]
Le pape peut être hérétique en tant que docteur privé
L’hérésie affirmant que le successeur de Pierre peut être hérétique en privé est un peu plus sensible. Ici, il nous faut définir clairement ce qu’est qu’être hérétique tant le vocabulaire est important dans cette controverse. Un hérétique n’est pas seulement quelqu’un qui professe de fausses doctrines, encore faut-il qu’il le fasse en toute connaissance de cause, volontairement et qu’il persiste dans son erreur [24]. De plus, il faut faire la distinction entre un pape qui aurait pu être hérétique et un pape qui n’aurait pas condamné une hérésie la laissant ainsi se propager. Quelle que soit la thèse défendue à propos de l’infaillibilité pontificale et le magistère ordinaire, deux papes sont cités à chaque fois. Commençons par Honorius premier du nom qui a été anathémisé par Léon II et le troisième concile de Constantinople – qui s’était ouvert sous le règne d’Agathon. La cause ? Dans des écrits et des lettres, le pape a approuvé la doctrine de Sergius ne reconnaissant qu’une seule volonté en Jésus. Pour sa défense, le pape aurait été trompé dans le but de Sergius : celui-ci ayant présenté sa lettre comme résultant de la volonté d’éviter des querelles de vocabulaires, notamment en affirmant les deux natures de Jésus, mais en affirmant une seule volonté : « Confessons une seule volonté dans le Christ, parce que la divinité n’a pas pris notre péché, mais notre nature, telle qu’elle était avant d’avoir été corrompue par le péché. […] Nous savons qu’il n’y a qu’un seul acteur, agissant par la divinité et l’humanité [donc deux volontés], mais doit-on dire qu’il y a une ou deux actions, peu nous importe, laissons chicaner aux écoles des philosophes. » [25]. La question est encore extrêmement fine, car si le pape a clairement pu errer dans sa foi et professer une erreur, l’a-t-il fait en « remplissant sa charge de pasteur et de docteur de tous les chrétiens » [26] ?
Honorius(625-638)
En outre, peut-on réellement dire qu’il fut hérétique ? L’on retrouve différentes analyses sur cette question, certains défenseurs de la faillibilité du pape prétendent qu’il fut hérétique. D’autres arguent que des faux ont été utilisés contre Honorius pour justifier qu’il soit présenté comme hérétique [27]. Enfin certains affirment que le magistère infaillible ne s’exerce que par des formes définies ou une volonté précise et par conséquent qu’Honorius n’a fait que dévier de sa foi sans être à proprement parlé hérétique. Quoiqu’il en soit, il semble assez clair qu’il fut trompé plus ou moins malgré lui et que le qualificatif d’hérétique lui correspond assez mal comme le prouve le docteur de l’Église S. Alphonse : « Cette déclaration a été regardée par les hérétiques et quelques écrivains orthodoxes comme l’écueil d’Honorius, une preuve de monothélisme. Ils sont certainement dans l’erreur […] » Néanmoins, ce même docteur affirme que le pontife a « été coupable en imposant le silence à qui parlait d’une ou de deux volontés ; quand il s’agit d’erreur, c’est la favoriser que de se taire ». Et le grand saint d’affirmer que Léon II en confirmant la condamnation d’Honorius par le concile de Calcédoine, l’anathémisa « non pour avoir adopté le faux dogme des hérétiques, mais pour n’avoir pas voulu qu’on en fit justice ».
Deuxième exemple assez tendancieux : le pape Jean XXII. Il aurait affirmé que les âmes des justes ne rencontrent pas Notre Seigneur après leurs morts, mais attendent le jugement dernier. Ce sont surtout des arguments historiques qui sont avancés pour défendre chaque thèse. Certains affirment qu’il n’aurait pas professé cette doctrine mais qu’il aurait simplement cité ladite hérésie pour la soumettre au jugement des théologiens. Ce qui est certain, c’est qu’il n’a pas ouvertement condamné cette doctrine, ce qui est la preuve que le pape peut faire des erreurs sans être hérétique.
Jean XXII(1316-1334)
Enfin, ladite doctrine, ne fut ouvertement déclarée comme dogme de foi par Benoit XII que deux ans après la mort de Jean XXII. Peut-on être hérétique avant même qu’un dogme ne soit établi ? Quoiqu’il en soit, le souverain pontife Jean XXII professa avant sa mort la véritable doctrine et remit son âme au Père comme catholique.
Sans trop nous avancer sur une question difficile qui nécessiterait de plus longs développements, nous pourrions dire que le pape – en tant que personne privée ou que pasteur de tous les chrétiens - ne peut être hérétique ;id est qu’il ne peut professer volontaire, en toute connaissance de cause et de manière entretenu une doctrine hérétique. En revanche rien ne l’empêche de faillir personnellement, d’errer dans sa foi et de pécher.
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