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Pour la Vie, Léon Bloy est trop catholique et encombrant
par Jean Kinzler 2017-09-19 16:12:56
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Cet encombrant monsieur Bloy
Jérôme Anciberro


publié le 13/09/2017


Trop catholique pour les milieux artistiques (et désormais, sans doute, pour une bonne partie du grand public cultivé), trop libre et anticlérical pour les milieux catholiques, Léon Bloy demeure, 100 ans après sa mort, un écrivain irrécupérable.

« Tout ce qui n'est pas strictement, exclusivement, éperdument catholique doit être jeté aux latrines. » Cette note du Mendiant ingrat, titre sous lequel Léon Bloy (1846-1917) publie son journal des années 1892-1895, donne une idée de l'intransigeance du personnage, face à laquelle le lecteur du XXIe siècle, auquel on répète depuis la maternelle que « l'ouverture » constitue l'alpha et l'oméga de la sagesse universelle, hésite souvent entre la fascination et le rire nerveux. Mais ce genre de déclaration n'était pas forcément mieux accueilli en son temps. Les « toléranciers du monde » n'y voyaient déjà que de l'arriération religieuse confinant à la folie. Et du côté des catholiques, de la Bonne Presse ou même des traditionalistes à la Veuillot, on se méfiait aussi. À bon droit, l'écrivain n'hésitant jamais à exécuter d'une de ses formules assassines les « têtes de veaux ecclésiastiques » qui ne lui revenaient pas ou à se désoler de « l'abortive culture des séminaires ».
Prophète et pamphlétaire

C'est que Léon Bloy, comme il aimait à le rappeler, n'écrivait « que pour Dieu ». Cette crâne ambition lui a permis d'ignorer les inévitables compromissions du journalisme (« la grande vermine ») aussi bien que les coquetteries de l'art pour l'art ou les règles de bienséance de la littérature catholique, dont la médiocrité le stupéfiait (« Ah ! la littérature catholique ! C'est en elle, surtout, que se vérifie, jusqu'à l'éblouissement, le stupre inégalable de la décadence ! »). Il l'a payé, vivant toute sa vie dans une pauvreté profonde, littéralement obsédé par le manque d'argent, comme en témoigne son journal. « Il nous reste à peine 20 francs pour attendre le Jugement dernier », note-t-il à la date du 1er mai 1894.

Sa vie quotidienne est faite d'écriture, de privations, mais aussi de prière. Chaque matin, il se rend à l'office et il médite la Parole tout au long de la journée, suivant le calendrier liturgique. Son foyer est une véritable église domestique. On apprendra beaucoup de choses de cette vie intime et familiale dans Jeanne et Léon Bloy, une écriture à quatre mains, la belle biographie de couple que publie Natacha Galpérine, arrière-petite-fille de l'écrivain. Il sera désormais difficile d'écrire sur Bloy et son œuvre sans intégrer la place fondamentale qu'a occupée sa femme, Jeanne Molbech, protestante danoise devenue catholique, dans sa vie intellectuelle et spirituelle.

C'est en prophète, au sens biblique du terme, en « pèlerin de l'Absolu », que Bloy se présente au monde. On ne fait pas plus intempestif, que ce soit en 1884, année de publication de ses Propos d'un entrepreneur de démolitions, premier écrit de combat qui ouvre sa riche production en la matière, ou aujourd'hui, en 2017, alors que Robert Laffont réédite ses Essais et pamphlets. Sa radicalité, vécue intimement, n'a donc rien d'une posture. Il n'en demeure pas moins, comme le montre avec finesse Emmanuel Godo dans Léon Bloy, écrivain légendaire (Cerf) que, « auteur de son œuvre, Léon Bloy l'est aussi de la légende qui en commande l'approche », tout particulièrement à travers son Journal, dans lequel ce fils spirituel de Barbey d'Aurevilly tient le compte des turpitudes de son époque et des avanies qu'il lui faut supporter, prenant ainsi la postérité à témoin.
Symbolisme biblique et universel

Tout entier tourné vers Dieu et ses signes, Bloy constate avec dégoût « la reculade continuelle des soldats sans testicules » dont se rendent coupables selon lui ses contemporains dans leur majorité. Pour lui, rappelle Emmanuel Godo, « il n'y a pas de demi-mesure, on vit dans l'absolu ou dans la lie ». Forcément, cela ouvre des horizons infinis en matière de critique, qu'elle soit littéraire, artistique, sociale, religieuse, voire – plus rarement – politique.

D'autant plus que Bloy, qui est un lecteur assidu de la Bible (dans sa version latine de la Vulgate, qu'il préfère à toutes les traductions modernes), a été initié par un prêtre assomptionniste, l'abbé Tardif de Moidrey, à l'exégèse symbolique et qu'il en fait un usage assez personnel. Cette méthode consiste classiquement à trouver et méditer des correspondances de formules, de paroles ou de situations entre différentes parties du texte biblique, souvent entre l'Ancien et le Nouveau Testament. Grand spécialiste de Bloy – il a notamment établi une édition de son journal – Pierre Glaudes montre dans Léon Bloy, la littérature et la Bible (les Belles Lettres), ouvrage qui rassemble une vingtaine de ses articles consacrés à l'écrivain, comment ce dernier, ébloui par les possibilités offertes par l'étude du symbolisme scripturaire, lui donne une extension inédite, finissant par considérer que l'exégèse symbolique, « loin de devoir être limitée au texte de la Bible, peut également être employée pour lire l'histoire humaine comme un équivalent du Livre sacré ».

On est ici à l'exact opposé des méthodes alors émergentes de l'exégèse historico-critique ou des sciences sociales... Ce « symbolisme universel », comme l'appelle Bloy, nourrit de manière décisive sa lecture du monde. Tout ou presque devient signifiant dans la perspective du plan de Dieu : les grands événements internationaux, les faits divers, le développement de l'aviation, et même nos façons de parler... Dans sa fameuse Exégèse des lieux communs, il veut ainsi montrer que les pensées toutes faites, qui forment la base du langage de son époque (« le mieux est l'ennemi du bien », « les affaires sont les affaires », « rien n'est absolu »...), révèlent en creux quelque chose de la Parole. Sa démonstration, d'une rare cruauté, renverse pour le moins les perspectives...
La violence du Verbe

S'il s'intéresse à la langue du bourgeois (« c'est-à-dire, dans un sens moderne et aussi général que possible, l'homme qui ne fait aucun usage de la faculté de penser »), c'est qu'il voit en elle le résultat d'une entreprise d'étouffement. Les mots, pour Bloy, ont un poids, potentiellement celui de l'Absolu. La langue agit sur les consciences, la plupart du temps pour les endormir, bien plus rarement pour les éveiller. Il faut donc faire éclater la gangue qui l'enferme et « inventer des catachrèses qui empalent, des métonymies qui grillent les pieds, des synecdoques qui arrachent les ongles »... En d'autres termes, si Bloy écrit, c'est pour déplaire. D'où la violence de son verbe, qui confine parfois au grand-guignol, et une inventivité qui demeure aujourd'hui proprement stupéfiante, que ce soit dans ses essais historico-théologiques, ses pamphlets ou ses deux romans que sont le Désespéré et la Femme pauvre. C'est qu'il n'en faut pas moins, sans doute, quand le salut du monde est en jeu.

À lire :
Essais et pamphlets, de Léon Bloy, Robert Laffont, Bouquins, 34€.
Léon Bloy, écrivain légendaire, d'Emmanuel Godo, Cerf, 24€.
Léon Bloy, la littérature et la Bible, de Pierre Glaudes, les Belles Lettres, 35€.
Jeanne et Léon Bloy. Une écriture à quatre mains, de Natacha Galpérine, Cerf, 29€.
LV

     

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 Pour la Vie, Léon Bloy est trop catholique et encombrant par Jean Kinzler  (2017-09-19 16:12:56)
      rappelons quand même le premier discours du pape par Cathether  (2017-09-19 19:35:37)
          Merci beaucoup par Naamatallah  (2017-09-19 20:43:48)
               Une citation ? par Steve  (2017-09-19 22:05:42)
                  Oui mais par Naamatallah  (2017-09-19 22:40:31)
      C'est quoi, ce titre ? par Marchenoir  (2017-09-19 21:00:57)
          non, car s'il l'avait lu par FerdinandP  (2017-09-20 08:42:38)
      Pour rappel par Bernard Joustrate  (2017-09-19 21:24:17)


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