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Que penser du film : Silence ?
par Diafoirus 2017-02-03 08:42:17
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Que penser du film Silence ?


Synopsis du film sur les persécutions des chrétiens au Japon de Martin Scorsese, au cinéma le 8 février :
"XVIIème siècle, deux prêtres jésuites (Andrew Garfield et Adam Driver) se rendent au Japon pour retrouver leur mentor, le père Ferreira (Liam Neeson), disparu alors qu’il tentait de répandre les enseignements du catholicisme.
Au terme d’un dangereux voyage, ils découvrent un pays où le christianisme est décrété illégal et ses fidèles persécutés. Ils devront mener dans la clandestinité cette quête périlleuse qui confrontera leur foi aux pires épreuves."
Plusieurs critiques estiment que ce film est un plaidoyer pour l'apostasie (voir ici). Ce film, de grande facture sur le plan cinématographique, distribué par Saje, soulève de très nombreuses questions.
Le père Pascal Ide, de l'Emmanuel et par ailleurs critique de cinéma, commente :

"La thématique du silence de Dieu fait aujourd’hui partie d’une vulgate véhiculée par certains courants théologiques. L’origine plus lointaine est la théologie de la mort de Dieu. Se croisent ici plusieurs influences : certains passages de la métaphysique hégélienne ; la théologie négative (depuis le Pseudo-Denys) ; l’influence d’une notion née de la kabbale de Luriah, le tsimtsoum ou « retrait » divin (« Dieu crée comme les océans le font avec les continents : en se retirant ») ; surtout, l’impact de la shoah qui a conduit les théologiens protestants et catholiques à s’interroger sur ce qu’ils interprètent comme un silence de Dieu pendant que le peuple élu se faisait massacrer.

En donnant très intentionnellement à son livre le titre Silence, plus encore, en en faisant un thème récurrent de la méditation du journal personnel tenu par Sébastien Rodrigues (ce journal occupe la première moitié du roman), Shūsaku Endō signale implicitement que le silence en question est celui de Dieu même. S’y ajoute-t-il une influence spécifiquement venu de la culture japonaise, à savoir le zen et son amentalisme ? En tout cas, le film reprend cette thématique et il y a fort à parier que le réalisateur se retrouve aussi en elle.

Dieu se tait-il ? Je ferai seulement deux remarques. D’abord, la théologie négative ne caractérise pas tant la Bible que le paganisme. En effet, la prodigalité des récits mythiques ne doit pas masquer la conviction plus profonde des Grecs et des Latins : Dieu est inaccessible et donc incompréhensible ; de plus, si nous tendons vers lui, lui vouons un culte, voire nous l’aimons, Dieu ne nous aime pas et ne s’intéresse pas directement à nous – il y perdrait sa béatitude. En revanche, la nouveauté radicale de la Révélation vétérotestamentaire et plus encore néotestamentaire est que, justement, elle est une Révélation, une « levée du voile » : Dieu se dit, en ses actions et même, peu à peu, en son être, voire en son intimité trinitaire. Donc, la théologie issue de la Bible est beaucoup plus une théologie positive, affirmative qu’une théologie négative – même si le Juif comme le chrétien n’ignore en rien que Dieu « habite une lumière inaccessible » (1 Tm 6,16. Cf. Ex 33,20). Plus encore, en Jésus, Dieu est Verbe, Parole qui nous le fait connaître (cf. Jn 1,18).

Donc, souligner unilatéralement le silence de Dieu est, pour un chrétien, concéder à la vision païenne de l’Absolu, régresser vers le paganisme. Sur tous ces points, je renvoie à l’admirable conférence de Joseph RATZINGER, lors du colloque 2000 ans après quoi ?, tenu à la Sorbonne, 25-27 novembre 2000 (« Vérité du christianisme ? », La Documentation catholique, n° 2217, 2 janvier 2000, p. 29-35. Repris dans Christianisme. Héritages et destins, éd. Cyrille MICHON, Paris, Librairie générale française, Le livre de poche. Biblio essais, 2002, p. 303-324).

Ensuite, la notion apparemment évidente de « silence de Dieu » mérite d’être interrogée. Autant le mutisme d’un homme ou de la nature (dans le désert) est patent, autant l’affirmation d’un prétendu silence de Dieu ne l’est pas. En effet, Dieu est infini (cf., par exemple, Ps 145,3). Or, l’infini n’est pas commensurable avec le fini. Mais, comme créature, je n’ai accès qu’à ce qui est limité. Donc, comment Dieu se donnera-t-il à moi ? Il ne peut le faire que par des signes, des médiations.

Par conséquent, lorsque j’affirme que Dieu se tait, je ne peux que dire : j’estime que les signes qui m’entourent ne me parlent pas de Dieu ou ne sont pas des paroles de Dieu. Mais quelle certitude puis-je avoir que Dieu se tait ? Autrement dit, nous sommes renvoyés non pas à l’objectivité ici inaccessible du divin Interprété, mais à la subjectivité de l’interprète. Ainsi, ce que Sébastien Rodrigues déchiffre comme silence veut seulement dire que lui, missionnaire jésuite, assailli par le doute, n’y voit pas un signe de Dieu. Mais cela ne veut pas dire que Dieu se soit tu.
Est-ce à dire que nous sommes renvoyés à l’arbitraire du subjectivisme ? À la subjectivité, oui, au subjectivisme, nullement. Car l’accueil des signes dépend de la lumière de la foi que Dieu dispense.

Ajoutons aussi l’objectivité du témoignage des martyrs dont atteste une tradition fiable. Enfin, certains signes expriment mieux que d’autres l’intervention divine. Par exemple, nul homme ne peut trouver en soi la force de mener le bon combat jusqu’au bout, si Dieu ne le lui donne pas. Alors, pourquoi le courage admirable du petit peuple japonais, sa persévérance dans la foi jusqu’au martyr, n’ont-il pas parlé de leur divin Auteur au père Rodrigues ?"

La tentation de l'apostasie :

"Comme son autre film religieux, La dernière tentation du Christ (1988), Martin Scorsese met en scène les tentations, ici celles auxquelles sont soumis les villageois et, plus encore, les différents jésuites. Notamment la diabolique torture du tsurushi ou « pendaison inversée », inventée et employée par les Japonais du XVIIe siècle pour contraindre les kirishitan (« chrétiens ») à abjurer leur foi.



Synopsis du film sur les persécutions des chrétiens au Japon de Martin Scorsese, au cinéma le 8 février :
"XVIIème siècle, deux prêtres jésuites (Andrew Garfield et Adam Driver) se rendent au Japon pour retrouver leur mentor, le père Ferreira (Liam Neeson), disparu alors qu’il tentait de répandre les enseignements du catholicisme.
Au terme d’un dangereux voyage, ils découvrent un pays où le christianisme est décrété illégal et ses fidèles persécutés. Ils devront mener dans la clandestinité cette quête périlleuse qui confrontera leur foi aux pires épreuves."
Plusieurs critiques estiment que ce film est un plaidoyer pour l'apostasie (voir ici). Ce film, de grande facture sur le plan cinématographique, distribué par Saje, soulève de très nombreuses questions.
Le père Pascal Ide, de l'Emmanuel et par ailleurs critique de cinéma, commente :

"La thématique du silence de Dieu fait aujourd’hui partie d’une vulgate véhiculée par certains courants théologiques. L’origine plus lointaine est la théologie de la mort de Dieu. Se croisent ici plusieurs influences : certains passages de la métaphysique hégélienne ; la théologie négative (depuis le Pseudo-Denys) ; l’influence d’une notion née de la kabbale de Luriah, le tsimtsoum ou « retrait » divin (« Dieu crée comme les océans le font avec les continents : en se retirant ») ; surtout, l’impact de la shoah qui a conduit les théologiens protestants et catholiques à s’interroger sur ce qu’ils interprètent comme un silence de Dieu pendant que le peuple élu se faisait massacrer.

En donnant très intentionnellement à son livre le titre Silence, plus encore, en en faisant un thème récurrent de la méditation du journal personnel tenu par Sébastien Rodrigues (ce journal occupe la première moitié du roman), Shūsaku Endō signale implicitement que le silence en question est celui de Dieu même. S’y ajoute-t-il une influence spécifiquement venu de la culture japonaise, à savoir le zen et son amentalisme ? En tout cas, le film reprend cette thématique et il y a fort à parier que le réalisateur se retrouve aussi en elle.

Dieu se tait-il ? Je ferai seulement deux remarques. D’abord, la théologie négative ne caractérise pas tant la Bible que le paganisme. En effet, la prodigalité des récits mythiques ne doit pas masquer la conviction plus profonde des Grecs et des Latins : Dieu est inaccessible et donc incompréhensible ; de plus, si nous tendons vers lui, lui vouons un culte, voire nous l’aimons, Dieu ne nous aime pas et ne s’intéresse pas directement à nous – il y perdrait sa béatitude. En revanche, la nouveauté radicale de la Révélation vétérotestamentaire et plus encore néotestamentaire est que, justement, elle est une Révélation, une « levée du voile » : Dieu se dit, en ses actions et même, peu à peu, en son être, voire en son intimité trinitaire. Donc, la théologie issue de la Bible est beaucoup plus une théologie positive, affirmative qu’une théologie négative – même si le Juif comme le chrétien n’ignore en rien que Dieu « habite une lumière inaccessible » (1 Tm 6,16. Cf. Ex 33,20). Plus encore, en Jésus, Dieu est Verbe, Parole qui nous le fait connaître (cf. Jn 1,18).

Donc, souligner unilatéralement le silence de Dieu est, pour un chrétien, concéder à la vision païenne de l’Absolu, régresser vers le paganisme. Sur tous ces points, je renvoie à l’admirable conférence de Joseph RATZINGER, lors du colloque 2000 ans après quoi ?, tenu à la Sorbonne, 25-27 novembre 2000 (« Vérité du christianisme ? », La Documentation catholique, n° 2217, 2 janvier 2000, p. 29-35. Repris dans Christianisme. Héritages et destins, éd. Cyrille MICHON, Paris, Librairie générale française, Le livre de poche. Biblio essais, 2002, p. 303-324).

Ensuite, la notion apparemment évidente de « silence de Dieu » mérite d’être interrogée. Autant le mutisme d’un homme ou de la nature (dans le désert) est patent, autant l’affirmation d’un prétendu silence de Dieu ne l’est pas. En effet, Dieu est infini (cf., par exemple, Ps 145,3). Or, l’infini n’est pas commensurable avec le fini. Mais, comme créature, je n’ai accès qu’à ce qui est limité. Donc, comment Dieu se donnera-t-il à moi ? Il ne peut le faire que par des signes, des médiations.

Par conséquent, lorsque j’affirme que Dieu se tait, je ne peux que dire : j’estime que les signes qui m’entourent ne me parlent pas de Dieu ou ne sont pas des paroles de Dieu. Mais quelle certitude puis-je avoir que Dieu se tait ? Autrement dit, nous sommes renvoyés non pas à l’objectivité ici inaccessible du divin Interprété, mais à la subjectivité de l’interprète. Ainsi, ce que Sébastien Rodrigues déchiffre comme silence veut seulement dire que lui, missionnaire jésuite, assailli par le doute, n’y voit pas un signe de Dieu. Mais cela ne veut pas dire que Dieu se soit tu.
Est-ce à dire que nous sommes renvoyés à l’arbitraire du subjectivisme ? À la subjectivité, oui, au subjectivisme, nullement. Car l’accueil des signes dépend de la lumière de la foi que Dieu dispense.

Ajoutons aussi l’objectivité du témoignage des martyrs dont atteste une tradition fiable. Enfin, certains signes expriment mieux que d’autres l’intervention divine. Par exemple, nul homme ne peut trouver en soi la force de mener le bon combat jusqu’au bout, si Dieu ne le lui donne pas. Alors, pourquoi le courage admirable du petit peuple japonais, sa persévérance dans la foi jusqu’au martyr, n’ont-il pas parlé de leur divin Auteur au père Rodrigues ?"

La tentation de l'apostasie :

"Comme son autre film religieux, La dernière tentation du Christ (1988), Martin Scorsese met en scène les tentations, ici celles auxquelles sont soumis les villageois et, plus encore, les différents jésuites. Notamment la diabolique torture du tsurushi ou « pendaison inversée », inventée et employée par les Japonais du XVIIe siècle pour contraindre les kirishitan (« chrétiens ») à abjurer leur foi.
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http://pascalide.fr/cinema/

     

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