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Un couvent, des condos
par Alonié de Lestre 2016-01-08 07:49:00
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C’était il y a quelques heures. Je soupais avec mon meilleur ami dans le quartier. En sortant du restaurant, il ne faisait pas trop froid. L’hiver, en un mot, demeurait à peu près vivable pour peu qu'on s'y résigne. Nous avions encore beaucoup à nous dire alors nous décidons de marcher. Un peu naturellement, nous nous dirigeons vers l’église de mon quartier, qui est absolument splendide, et qui m’émeut chaque fois. Une fois arrivés, spontanément, nous désirons nous y recueillir. Pas de chance. Elle est fermée. Comme d’habitude, je devrais ajouter. J’aurais dû m’en souvenir.

Tant pis. La discussion se poursuit, nous marchons encore et nous en trouvons une autre, presque aussi belle. À tout hasard, nous essayons encore une fois d’entrer. Même situation. La porte est barrée. Chaque fois que l’envie me prend d’aller à l’église, ou du moins, de méditer devant la croix, l’église est inaccessible. Cela m’est arrivé assez souvent, en fait. Sauf à l’étranger, bizarrement, où généralement, les églises sont ouvertes. Et quand j’y entre, jamais, cela ne me laisse indifférent. Il m’arrive d’y prier, ou du moins, d’essayer de le faire.

À chacun ses aspirations secrètes: je m’imagine de temps en temps rencontrer un prêtre, et lui demander comment il fait pour croire. Aussi bien rêver. Comme la majorité des Québécois, les prêtres, je les vois aux baptêmes et aux funérailles. Faut-il ajouter qu’il y en a de moins en moins? La vocation religieuse n’a plus vraiment la cote. Mais à quoi ressemblera un monde où plus personne n’entendra ce que certains nomment l’appel de Dieu ou du moins, l'attrait de la transcendance? Encore une culture doit-il le rendre audible. Encore doit-elle être connectée, au moins minimalement, à ses sources religieuses.

Je dis tout cela sans trop savoir ce à quoi je crois. Un temps, j’ai cru que je parviendrais à croire. Plus maintenant. Je me dis que je tournerai autour de cette question toute ma vie. Mais si je ne sais pas trop ce que veut dire avoir la foi, mais je me méfie de ceux qui tournent en ridicule la quête religieuse, comme s’ils pouvaient, avec l’arrogance propre aux modernes, décréter l’insignifiance d’une aspiration qui traverse l’histoire de l’humanité. Avons-nous vraiment gagné quelque chose en arrachant furieusement nos racines chrétiennes?

Une culture peut-elle vraiment survivre sans ouvrir à une forme de transcendance religieuse, inscrite dans une tradition, qui façonne d’une manière ou d’une autre son paysage physique et mental? À l’échelle de l’histoire, cela me semble à peu près impossible. Une culture, en un mot, a besoin d’un culte, ou du moins, elle a besoin de rituels pour baliser la quête spirituelle qui la traverse. À tout le moins, elle a besoin de faire une place honorable à ceux qui croient la chose nécessaire. La religion catholique, malgré tout ce qui peut nous exaspérer chez elle, et malgré tout ce qu'on lui reprochera légitimement, a été, dans l’histoire, une force profondément civilisatrice.

J’ai souvent l’impression que si la foi existe, au Québec, elle s’est repliée dans les marges, dans des petites sociétés confidentielles qui veulent la garder vivante, comme si la religion catholique était trop précieuse pour être une fois pour toutes sacrifiée. Je connais quelques catholiques. Des vrais. Des catholiques qui croient en Dieu, et pas seulement des catholiques culturels. Ils sont souvent d’autant plus ardents qu’ils sont conscients d’être minoritaires. Me permettra-t-on de dire que je les admire? Ils gardent, envers et contre tout, ce que je crois être un trésor.

Je me trompe peut-être, mais j’ai l’impression que l’Église catholique, au Québec, a consenti une fois pour toutes à son déclassement historique. Elle gère ses derniers biens et ses derniers fidèles tout en se laissant mourir, en cherchant seulement à rappeler, de temps en temps, qu’elle n’a pas fait que du mal au peuple québécois, qu’elle a même semé, ici et là, et de bien des manières, un peu de bonté et de beauté. Les rares fois où je suis allé à la messe, j’ai eu l’impression d’entrer dans une cérémonie sans vie, associée à une civilisation crépusculaire.

Tout cela pour dire autre chose. On apprenait cette semaine que le couvent des Sœurs des Saints-Noms-de-Jésus-et-de-Marie, que l’Université de Montréal avait acquis il y a quelques années et qui est situé sur le Mont-Royal, a été vendu à un promoteur immobilier. Il y avait un couvent, il y aura désormais des condos. Surprise! Rien ne sert de maudire l’époque. Personne n’a la nostalgie des soutanes, même si les curés ont été remplacés par des milliers de militants qui veulent aussi sauver notre âme pour peu qu’on suive les milliers de consignes qu’ils nous destinent.

N’empêche. Je ne peux m’empêcher de trouver cela un peu minable. Un édifice religieux, devenu un édifice patrimonial sera pour de bon privatisé et transformé en projet commercial. Ce ne sera plus qu’un beau décor avec une ambiance d’époque pour millionnaires ayant les moyens de se le payer. On me répondra que nous avons l’habitude de cette dépossession et que nous liquidons comme jamais notre patrimoine religieux. Nous y sommes tellement habitués qu’elle ne nous indigne plus vraiment. Sommes-nous néanmoins capables de comprendre que la beauté des vieux bâtiments est indissociable de la foi qui en est à l’origine?

Un jour, nous nous lasserons peut-être de notre sécheresse spirituelle. N’est-ce pas déjà le cas, quand on pense à la fascination qu’exerce sur plusieurs les religions orientales qui se présentent ici à la manière de sagesses traditionnelles, porteuses de toutes les vertus? On imagine difficilement, pourtant, une renaissance du catholicisme tellement nous nous y sommes arrachés violemment. Malgré tout, les Québécois savent, au fond d’eux-mêmes, que le mauvais sort qu’ils réservent à leurs vieilles églises n’est pas à leur honneur.

Un peuple qui n’a plus de lieu pour prier et de cimetières où s’agenouiller est condamné au désarroi existentiel. Ce soir, mon ami et moi avions besoin d’une église. Non pas un besoin ardent. Mais au moment où elle nous interpellait, elle était fermée. On dira qu’une vraie prière n’a besoin de rien d’autre que d’un désir de recueillement. Peut-être. Il se pourrait aussi que la prière, pour le commun des mortels, ait besoin d’autre chose. D’un lieu qui lui soit dédié. D’une liturgie qui la mmagnifie. D’hommes de foi à rencontrer pour nous accueillir malgré nos doutes. À tout le moins, l’humanité l’a toujours cru. Je le crois aussi.

Mathieu Bock-Côté
http://www.journaldemontreal.com/2016/01/07/un-couvent-des-condos

     

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 Un couvent, des condos par Alonié de Lestre  (2016-01-08 07:49:00)


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