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Titre trompeur !...
par Sacerdos simplex 2015-04-27 10:28:10
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J'ai cru au début que vous faisiez allusion à la Constitution Apostolique Fluctuat nec mergitur (voir à partir de 2' 40"), que vous considériez comme paranoïaque.

J'ai hâte de découvrir les autres "constitutions", car il ne fait aucun doute que j'en suis certainement affecté aussi, jusqu'au bout des ongles (inclusivement), selon le schéma explicité par ce cher Jerome K. Jerome dans son récit autobiographique, qui doit s'appeler quelque chose comme "Trois Boat-people" :

Nous étions quatre : George, William Samuel Harris, moi-même, et Montmorency. Réunis dans ma chambre, nous fumions et causions de nos misères – nos misères physiologiques, bien entendu.

Il est vrai que nous nous sentions plutôt patraques et cela ne manquait pas de nous inquiéter. Harris déclara qu’il éprouvait parfois de tels accès de vertige qu’il ne savait presque plus ce qu’il faisait, et George nous assura qu’il en allait de même pour lui, à cette différence près que lui ne savait plus du tout ce qu’il faisait. Chez moi, c’était le foie qui n’allait pas. J’en étais convaincu parce que j’avais lu une réclame pour un produit pharmaceutique contre le mal de foie. On y détaillait tous les symptômes susceptibles de vous apprendre que vous avez le foie détraqué. Je les présentais tous.

C’est une chose des plus curieuses, mais je n’ai jamais pu lire ce genre de littérature sans être amené à penser que je souffre du mal en question sous sa forme la plus pernicieuse. Le diagnostic me semble chaque fois correspondre exactement aux symptômes que je ressens.

J’ai toujours en mémoire cette visite faite un jour au British Muséum. Je voulais me renseigner sur le traitement d’une légère indisposition dont j’étais plus ou moins atteint – c’était, je crois, le rhume des foins. Je consultai un dictionnaire médical et lus tout le chapitre qui me concernait. Puis, sans y penser, je me mis à tourner les pages d’un doigt machinal et à étudier d’un œil indolent les maladies, en général. J’ai oublié le nom de la première sur laquelle je tombai – c’était en tout cas un mal terrible et dévastateur – mais, avant même d’avoir lu la moitié des « symptômes prémonitoires », il m’apparut évident que j’en souffrais bel et bien. Un instant, je restai glacé d’horreur. Puis, dans un état de profonde affliction, je me remis à tourner les pages.

J’arrivai à la fièvre typhoïde… m’informai des symptômes… et découvris que j’avais la fièvre typhoïde, que je devais l’avoir depuis des mois sans le savoir. Me demandant ce que je pouvais bien avoir encore, j’arrivai à la danse de Saint-Guy… et découvris – comme je m’y attendais – que j’en souffrais aussi. Je commençai à trouver mon cas intéressant et, déterminé à boire la coupe jusqu’à la lie, je repris depuis le début par ordre alphabétique… pour apprendre que j’avais contracté l’alopécie et que la période aiguë se déclarerait dans une quinzaine environ. Le mal de Bright – je fus soulagé de le constater – je n’en souffrais que sous une forme bénigne, et pourrais vivre encore des années. Le choléra, je l’avais, avec des complications graves. Quant à la diphtérie, il ne faisait aucun doute que j’en étais atteint depuis la naissance. Consciencieux, je persévérai tout au long des vingt-six lettres de l’alphabet et, pour finir, il s’avéra que la seule maladie me manquant était bel et bien l’hydarthrose des femmes de chambre.

J’en éprouvai quelque dépit, tout d’abord. Cela me paraissait tenir d’une injustice. Pourquoi n’avais-je pas l’hydarthrose des femmes de chambre ? Pourquoi cette restriction ? Mais au bout d’un moment, je me montrai moins exigeant. N’étais-je pas atteint de toutes les autres maladies connues de la pharmacopée ? Je refrénai mon avidité et résolus de me passer de l’hydarthrose des femmes de chambre. La goutte, sous sa forme la plus pernicieuse, semblait-il, s’était emparée de moi à mon insu ; et la zymosis, j’en pâtissais naturellement depuis mon enfance. La zymosis, d’ailleurs, clôturait la liste des maladies : j’en conclus qu’après elle je ne pouvais plus rien avoir d’autre. Je restai là, pensif. Quel cas intéressant que le mien, d’un point de vue médical ! Quel sujet d’étude pour un cours de médecine ! Nul besoin aux étudiants de courir les hôpitaux ; j’étais une compilation vivante de toutes les maladies. Il leur suffirait de m’étudier sous tous les angles et sous toutes les coutures, puis de passer tranquillement leur diplôme.

Je m’interrogeai ensuite sur mon espérance de vie. Je tentai de m’examiner moi-même et pris mon pouls : néant, pas la moindre pulsation. Puis, tout d’un coup, il parut démarrer. Je consultai ma montre et chronométrai les battements. Cent quarante-sept à la minute ! J’essayai alors de sentir battre mon cœur, et ne découvris qu’un vide accablant. Il s’était arrêté. J’ai fini depuis par me dire qu’il devait sans doute se trouver là malgré tout et battre comme celui de tout un chacun, mais je n’en mettrais pas ma main au feu. Je me tâtai le devant du corps, depuis ce que j’appelle ma taille jusqu’à la tête et fis une incursion sur les côtés, ainsi que dans le dos. Mais je ne sentis ni n’entendis rien. Je me lançai dans l’examen de ma langue, la tirant aussi loin que possible et fermant un œil, pour l’examiner de l’autre. Je ne pus, hélas ! en voir que le bout, et le seul bénéfice qui m’en échut fut d’avoir plus que jamais la conviction d’être atteint de la fièvre scarlatine.

J’étais entré dans cette salle de lecture avec l’enthousiasme que confèrent la jeunesse et la santé. J’en ressortis tel un vieillard décrépit.

J’irais consulter mon médecin. C’est un vieil ami à moi. Quand je me figure que je suis malade, il me tâte le pouls, me regarde la langue, et me parle de la pluie et du beau temps, le tout gratis. Sûr que je lui rendrais un fier service en allant le voir. « Un médecin a besoin de pratique, me dis-je. Je me mettrai à sa disposition et il en retirera une expérience supérieure à celle de mille sept cents malades réunis, de ces malades ordinaires qui n’ont qu’une ou deux maladies tout au plus. »

Je me rendis donc chez lui.

« Eh bien, qu’as-tu donc ? m’interrogea-t-il.

– Tu sais, mon vieux, la vie est courte et tu risquerais fort d’avoir achevé la tienne avant que j’aie fini de te raconter ce que j’ai. Je me contenterai donc de te dire ce que je n’ai pas : je n’ai pas l’hydarthrose des femmes de chambre. Pourquoi cette lacune, je ne saurais l’expliquer. Mais le fait est là. Toutefois, je puis t’assurer que les autres maladies, je les ai toutes. De A à Z ! »

Je lui contai alors en détail comment j’en avais fait la découverte.

Il me fit tirer la langue, y jeta un coup d’œil, me prit le pouls, m’assena une claque dans le dos au moment où je m’y attendais le moins – ce que j’appelle un coup en traître – puis y colla brutalement son oreille. Après quoi il s’assit, rédigea une ordonnance, la plia et me la remit. Je la fourrai dans ma poche et m’en allai.

Je ne sortis l’ordonnance que pour la tendre au pharmacien le plus proche. Il la lut et me la rendit en s’excusant de ne pouvoir me satisfaire.

« Vous n’êtes pas pharmacien ? demandai-je.

– Si, précisément : je tiens une pharmacie… mais pas un hôtel-restaurant », me répondit-il.

C’est alors seulement que je lus l’ordonnance. Voici ce qu’elle prescrivait :

« Une livre de bifteck, plus une pinte de bière brune toutes les six heures.

Une promenade de quinze kilomètres chaque matin.

Coucher à onze heures précises, chaque soir. Et ne te bourre donc pas le crâne avec des choses qui te dépassent. »

Je suivis les instructions. Résultat : ma vie fut sauve. Et cela dure toujours.

Pour en revenir à la réclame des pilules pour le foie, j’avais, dans ce cas précis, et sans aucun doute possible, tous les symptômes décrits, en particulier « une répugnance générale au travail sous toutes ses formes ». Les mots me manquent pour dire mes souffrances sur ce plan. Dès ma première enfance, j’endurai le martyre. À l’école, cette maladie ne me quitta pas un seul jour. On ignorait alors que mon foie en était la cause. La médecine était loin d’être aussi avancée qu’aujourd’hui, et on avait coutume d’accuser la paresse.

« Quand vas-tu te secouer, satané petit fainéant ? Aurais-tu l’intention de rester un bon à rien toute ta vie ? » me disait-on, sans savoir, bien entendu, que j’étais malade.

Et, au lieu de me donner des pilules, on me flanquait des taloches. Aussi étrange qu’il y paraisse, ces taloches sur la tête avaient sur moi un effet salutaire ; hélas ! très éphémère. J’ai souvent vérifié qu’elles agissaient sur mon foie et suscitaient en moi le goût de la besogne avec une efficacité bien plus grande que ne le fait aujourd’hui toute une boîte de comprimés.

Il en va souvent ainsi, voyez-vous. Les remèdes de bonne femme sont quelquefois plus efficaces que tous ces produits pharmaceutiques.

Nous restâmes donc là, mes deux amis et moi, pendant une demi-heure, à nous décrire nos maladies respectives. J’expliquai à William Harris ce que je ressentais au lever, et William Harris nous entretint de ce qu’il éprouvait au coucher. Quant à George, il se livra sur le tapis à une démonstration de ce qu’il endurait la nuit.

George, voyez-vous, s’imagine qu’il est malade. En réalité, il n’a rien du tout.

George avait repris sa position assise quand Mme Poppets, notre logeuse, frappa à la porte pour savoir si nous désirions dîner. Nous échangeâmes tous trois des sourires tristes et lui répondîmes que nous ferions l’effort d’avaler une bouchée ou deux. Harris ajouta qu’un petit quelque chose dans l’estomac tient souvent la maladie en échec. Mme Poppets revint avec un plateau et nous nous traînâmes jusqu’à la table pour y grignoter un peu de rumsteck aux oignons et de la tarte à la rhubarbe.

Je devais être très affaibli à ce moment-là, car il ne s’était pas écoulé une demi-heure, que je n’avais plus aucun intérêt pour mon assiette – fait exceptionnel en ce qui me concerne – et que j’allai même jusqu’à me passer de fromage.

Ce devoir accompli, nous remplîmes nos verres, allumâmes nos pipes, et reprîmes la discussion sur notre état de santé. En fait, aucun de nous ne savait ce qu’il avait ou n’avait pas ; par contre, nous avions tous la certitude que le mal – quel qu’il fût – était la conséquence du surmenage.

« Ce qu’il nous faut, c’est du repos, dit Harris.

– Du repos et un changement complet, affirma George. L’excès de travail imposé à nos méninges a entraîné chez nous une dépression générale de l’organisme. Le dépaysement et une bonne grève de notre matière grise auront tôt fait de nous remettre d’aplomb. »

George a un cousin qui s’inscrit toujours comme étudiant en médecine sur les fiches d’hôtel, d’où cette manière doctorale d’exposer les choses, qu’il semble avoir héritée de famille.

J’approuvai l’idée de George et suggérai que nous devions chercher un petit coin tranquille, loin de la foule déchaînée, où nous goûterions une semaine radieuse à flâner dans les ruelles paisibles – un trou perdu, protégé par les fées, à l’abri du tumulte du monde, quelque pittoresque nid d’aigle perché sur les falaises du Temps, où l’on n’entendrait plus qu’à peine, dans le lointain, battre les flots houleux de notre XIXe siècle trépidant.

Harris déclara que nous sombrerions vite dans l’ennui. Il connaissait trop ce genre de patelin où l’on ne trouve plus un chat dans les rues passé huit heures du soir, où il est impossible de se procurer, fût-ce à prix d’or ou d’argent, la moindre gazette du turfiste, et où il faut se taper quinze kilomètres ou plus pour bourrer sa pipe de son tabac favori. « Non, dit-il, quand on cherche le repos et le dépaysement, rien de tel qu’une croisière en mer ! »

Je désapprouvai fortement l’idée. Une croisière en mer n’a d’intérêt que si vous disposez de deux bons mois, mais pour une semaine, c’est raté d’avance.

Vous partez le lundi avec la conviction que vous allez bien en profiter. Vous saluez d’« une main aérienne » les amis restés sur le quai, allumez votre plus grosse pipe, et vous vous mettez à déambuler sur le pont comme si les âmes du capitaine Cook, de Sir Francis Drake et de Christophe Colomb réunis vous habitaient soudain. Le lendemain, vous regrettez déjà d’être venu. Le mercredi, le jeudi, le vendredi, vous souhaiteriez être mort. Le samedi, vous vous sentez en état d’avaler un peu de bouillon, de vous traîner jusqu’à une chaise longue sur le pont, et de répondre avec un sourire pâle à tous les cœurs compatissants qui vous demandent si ça va mieux. Le dimanche, vos jambes vous portent à nouveau et votre estomac accepte une nourriture plus solide. Et le lundi matin, alors que, valise et parapluie en main, vous vous tenez à la coupée, attendant de débarquer, vous commencez enfin à vous sentir le pied marin.



Cependant, c'est quand même un peu dangereux d'utiliser dans ce domaine des documents vieux de 68 ans, car cette science a quand même évolué pas mal depuis 1947, ne serait-ce que dans la terminologie. Je peux me tromper, mais je suppose que plus personne du métier n'utilise l'expression "constitution paranoïaque".




     

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