Je commencerai par cette photo, un peu réduite ici dans sa version internet, datant du 11 octobre 1916, qui montre un des deux métropolites de Bavière, le cardinal-archevêque de Munich & Freising, Franz von Bettinger, en tenue de chœur, mais sans cappa magna, s'apprêtant à entrer dans la collégiale Sainte Gudule de Bruxelles (ou la quittant ? ce n'est pas dit), qui est encore aujourd'hui l'église principale de la capitale belge située dans l'archidiocèse de Malines, en compagnie du baron Moritz von Bissing (s'appuyant sur son sabre), à l'époque gouverneur militaire de la Belgique occupée.
Le jeune ecclésiastique à la chevelure encore abondante qui accompagne le prélat est Mgr. Michael Buchberger, un historien de l'Église reconnu et plus tard (1928-1961) évêque de Ratisbonne (avec le titre personnel d'archevêque depuis 1950), ici en 1916, à 42 ans, chanoine de la cathédrale de Munich.

L'archevêque Franz Bettinger naquit en 1850, fils d'un forgeron.
Prêtre du diocèse de Spire (Speyer, un des huit diocèses que compte la Bavière) en 1873, après des études brillantes aux universités de Wurtzbourg et Innsbruck, il fut nommé en mai 1909 par le Prince-Régent Luitpold (Léopold) archevêque de Munich & Freising (en Bavière le Souverain nommait les évêques jusqu'au concordat de 1924), et confirmé par le Pape Saint-Pie X. Il fut anobli par le Régent en 1910 à titre personnel (Personaladel) afin de pouvoir siéger dans la chambre seigneuriale, le conseil de la couronne de Bavière.
Il reçut le pallium en 1911 et devint en mai 1914, lors du dernier consistoire du saint pape, cardinal-prêtre de San Marcello (le premier cardinal dans l'histoire du siège de Munich, resté cardinalice depuis lors).

En tant qu'évêque militaire (Feldpropst) pour la Bavière il embarqua en 1916 pour une mémorable visite pastorale de plusieurs semaines aux divisions bavaroises déployées sur le front ouest.

Un petit livre de 80 pages amplement illustré, intitulé Im Purpur bei den Feldgrauen, écrit par Mgr. Buchberger, et édité chez Kösel fin 1916, en fait état dans le détail. La photo montrée partiellement ci-haut s'y trouve en face de la page 65 (on voit là aussi le clergé de la collégiale qui reçoit le cardinal, vu les circonstances je suppose plutôt à son corps défendant !).

Le cardinal et sa suite avaient commencé leur voyage le 25 septembre en Alsace, à Strasbourg, où à leur arrivée à la gare l'évêque Adolf Fritzen les accueillit chaleureusement. Suivit la visite de Colmar, avec une grand'messe pontificale avec tous ces éclats pour des centaines de soldats bavarois qui remplissaient la collégiale (un temps aussi cathédrale) Saint Martin, le Martinsmünster, ainsi que la visite de l'hôpital militaire de Türkheim et des cimetières militaires à Sulzbach et Wasserburg. Après un sermon suivi d'une autre messe et d'un défilé militaire à Kaysersberg, et de la visite des hôpitaux de Kienzheim et Ingersheim, du lieu de pèlerinage de Drei-Ähren (Trois Épis), le 28 septembre, le voyage se poursuivit (en automobile) vers la Lorraine via Schlettstadt (Sélestat) et Schirmeck.

Le soir du samedi 30 septembre la suite du cardinal arriva à Metz. Le lendemain, dimanche 1 octobre 1916 le cardinal fit un sermon pour les soldats suivi de la messe pontificale à la cathédrale en présence de l'évêque du lieu, le bénédictin Mgr. Karl (Willibrord) Benzler.
Nous sommes ici encore en Allemagne, mais les jours suivants la suite du cardinal, bien escortée, se rendra dans les environs immédiats du front, sur le territoire français et belge.

D'abord à St. Mihiel (sermon et messe pontificale le 2 octobre dans l'abbatiale partiellement détruite, à 1600 mètres des lignes françaises, précise notre narrateur, Mgr. Buchberger), ensuite visite des hôpitaux militaires et des troupes sur le front ; puis, le 3 octobre, à Brainville : messe pontificale en plein air au matin, l'après-midi, à Olley : salut pontifical à l'église, à Mars-la-Tour au soir : visite de l'hôpital.

L'aventure continuait: le cardinal voulut aussi visiter le grand quartier général allemand sur le front de la Somme, où se trouvait un des commandants, le prince-héritier Rupprecht (Robert) de Bavière. La suite prit le train (un Schnellzug, donc un tgv de l'époque, nous apprend notre narrateur) à Metz, tôt le matin du 5 octobre, pour s'arrêter d'abord à Mézières-Charleville, où allait se tenir une conférence des 50 aumôniers militaires catholiques des troupes allemandes du front ouest. Après la visite du quartier général et du Kronprinz de Bavière le voyage se poursuivit vers Cambrai (jadis ville d'Empire), Douai et Lille, en Flandre.
Le 6 octobre fut consacré entièrement à la visite des infirmes et malades dans les hôpitaux de fortune de la région. Le cardinal y célébra la fête du Rosaire. Suivirent le 8 et 9 octobre des messes célébrées pour une division bavaroise à Haubourdin et Wavrin (cette dernière sous la protection de masques à gaz, à cause de la proximité du front). Une autre conférence des aumôniers à Lille conclut cette étape.





Le mardi 10 octobre arriva dans la gare de Lille la voiture-salon du gouverneur Bissing pour conduire le cardinal et sa suite à Bruxelles. Le cardinal descendit à l'hôtel Astoria (situé rue Royale, l'hôtel existe toujours et à vrai dire il n'est pas mal).
Le lendemain, mercredi 11, eut lieu la fameuse messe pontificale à Sainte Gudule, à partir de 10 heures, devant une foule de militaires surtout bavarois.

On se demande bien ce qu'a pu penser le cardinal Mercier, l’archevêque de Malines très jaloux de son honneur et de ses privilèges, et (pardon my French) grand bouffeur de Boches (et de Flamands), de cette "intrusion" en pleine guerre de son homologue bavarois, sous le chant du Ecce sacerdos magnus et d'un Fest-Präludium à l'orgue sur un thème de Händel, dans une des églises les plus prestigieuses de son diocèse ... même si c'est vrai après tout qu'un cardinal, même allemand, est partout chez lui. Mgr. Buchberger n’en dit pas un mot.

Le 12 octobre fut consacré à la visite d'un autre l'hôpital militaire de fortune installé en pleine ville dans le palais Arenberg qui se trouve au Petit-Sablon (ce palais, d'abord construit par le comte d'Egmont au XVIe siècle, devenu résidence des ducs d'Arenberg dans la capitale des Pays-Bas depuis le XVIIIe siècle, fut exproprié par l'état belge en 1919, un épisode pas très glorieux de vendetta anti-allemande, les Arenberg ayant, en partie, des passeports et des loyautés allemands, à ce jour).

Le 13, en passant par Liège (et après une autre messe pontificale au trône à la cathédrale Saint-Paul, laissant sans doute le pauvre Mgr. Rutten, ordinaire du lieu, se ronger les ongles dans son palais épiscopal) la suite du cardinal regagna Aix-la Chapelle et Cologne. Et ainsi se termina cette odyssée assez singulière.

*****

Le cardinal von Bettinger mourut quelques mois plus tard, à l'âge de 66 ans, le 12 avril 1917, dans sa résidence à Munich, soudainement d'un arrêt cardiaque, après son retour du chevet du nonce en Bavière, Mgr. Giuseppe Aversa, gravement malade et qui allait d'ailleurs mourir plus tard le même jour.
(Le successeur de ce dernier en tant que nonce à Munich fut Mgr. Eugenio Pacelli, bien connu au bataillon, de 1917 jusqu'en 1929. En avril 1919 des révolutionnaires communistes envahirent la nonciature et volèrent la belle Mercédès de Mgr. qui protesta énergiquement contre cet indigne forfait.
Le tout dernier nonce en Bavière, Mgr. Alberto Vassallo di Torregrossa dut quitter Munich en 1936. Fichu métier de nonce.)

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