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par Polydamas 2013-10-22 19:07:39
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Il schématise assez largement la mentalité orthodoxe, puisqu'il met complètement de côté l'idée de "mort morale" du mariage, qui n'est parfois pas moins réelle (notamment dans les troubles psychiques) que la mort physique.

Petit rappel :



Mariage orthodoxe et principe de miséricorde, par Zoé VANDERMERSCH

Il est bien connu que l’Eglise orthodoxe tolère un remariage après un divorce, selon le principe dit « de miséricorde ». Certains théologiens et certains pasteurs dans l’Eglise catholique se penchent sur la conception orthodoxe du mariage et sur ce principe pour trouver une solution à ce qu’on pourrait appeler la « question des divorcés remariés ». Après avoir évoqué rapidement la situation des divorcés remariés dans l’Eglise catholique, nous rappellerons la conception orthodoxe du mariage, puis nous définirons la notion d’ « économie » qui fonde le principe de miséricorde en théologie orthodoxe. Nous verrons alors comment ce principe est appliqué dans les questions de mariage et quelle forme prend le rite de bénédiction d’une seconde union.

L’Eglise catholique et les personnes divorcées remariées

La question des personnes divorcées remariées reste une question très douloureuse, très délicate, voire tabou dans l’Eglise catholique. Les personnes divorcées remariées ne sont certes pas exclues de l’Eglise, comme le rappelle Benoît XVI dans Sacramentum Caritatis au n°29, mais elles sont écartées de la table de la communion, de certaines responsabilités ecclésiales, du sacrement de pénitence et une personne non baptisée ne peut l’être si son conjoint ou sa conjointe est divorcé(e), tout cela à moins que le nouveau couple décide de vivre « comme frères et sœurs », « dans une continence parfaite ». Cette discipline s’appuie sur le caractère indissoluble du mariage chrétien, image de l’alliance éternelle entre le Christ et l’Eglise : « Si les divorcés sont remariés, ils se trouvent dans une situation qui contrevient objectivement à la loi de Dieu. ».[1] Comment des personnes exclues de l’Eucharistie, « source et sommet de la vie chrétienne », exclues du baptême et du sacrement de la réconciliation peuvent-elles vraiment se sentir accueillies, écoutées, comprises, pleinement intégrées ? Il est facile de comprendre qu’elles se sentent bien souvent littéralement « excommuniées », et, en tout cas, jugées. Quand on regarde les statistiques du divorce dans nos sociétés, on perçoit à quel point la question des divorcés remariés est aiguë. De nombreux prêtres, évêques et théologiens se sont penchés sur cette question brûlante, pris de compassion pour tant d’hommes et de femmes blessés, et ont cherché des solutions pour maintenir à la fois l’indissolubilité du mariage et la manifestation de la miséricorde de Dieu envers ses enfants. Plusieurs d’entre eux se sont tournés vers la théologie orthodoxe pour ce faire : ils pensent qu’elle pourrait inspirer sainement la pratique de l’Eglise catholique. Qu’en est-il exactement ?

Le mariage dans la théologie orthodoxe

Olivier Clément, théologien orthodoxe récemment disparu, nous donne quelques fondements théologiques et spirituels concernant le mariage et plus largement la sexualité[2] : « Dans la théologie et la spiritualité orthodoxes, les approches de la sexualité sont complexes. D’une part s’imposent les paroles de re-création du Christ reprenant le texte de la Genèse sur l’homme et la femme qui, s’arrachant à la lignée, iront l’un vers l’autre comme deux personnes pour devenir une seule chair (Gn 2, 24 ; Mt 19, 5-6 ; aussi 1 Co 6, 16 ; Ep 5,31). S’impose aussi la parole de Paul, midrasch chrétien du Cantique des Cantiques, sur le mariage comme symbole de l’union du Christ et de l’Eglise. Le mariage est donc, comme l’a écrit saint Jean Chrysostome, le « sacrement de l’amour » et la sexualité trouve son sens en perdant son autonomie dans la rencontre fidèle de deux personnes, rencontre dont elle devient le langage. La tradition, comme en Occident, insiste sur la fécondité nécessaire du mariage, sans y voir cependant la justification de celui-ci : à Byzance, le mariage des eunuques était autorisé! La thématique du péché originel lié à la sexualité est absente de l’Orient chrétien : l’homme ne naît pas coupable, il naît pour mourir et c’est cette finitude close qui, barrant l’instinct d’éternité de l’image de Dieu en lui, suscite conduites de fuite et déviances. Or, en Christ, la mort est vaincue, la vie surabonde, l’homme naît pour vivre à jamais et c’est pourquoi le rite magnifique du mariage apparaît comme une immense bénédiction de la vie. Cette positivité de la nuptialité explique que l’Eglise ancienne, en Orient comme en Occident, puis l’Eglise orthodoxe jusqu’à aujourd’hui, ait ordonné et ordonne au sacerdoce des hommes mariés. » Ainsi, comme chez les catholiques, le mariage est, dans la perspective orthodoxe, un sacrement et il est également indissoluble, en vertu de l’alliance éternelle du Christ et de l’Eglise dont il est l’image.

Le principe d’économie

Le moraliste Bernhard Häring explique, dans son livre Plaidoyer pour les divorcés remariés, la spiritualité et la pratique de « l’économie » (en grec oikonomia ) chez les orthodoxes.[3] Il la définit ainsi : « Ensemble du projet de Dieu pour le monde qu’il veut mener au salut en bon Père de famille qu’il est. » Selon lui, cette spiritualité se caractérise par « la louange rendue à l’‘administrateur’ très miséricordieux de l’Eglise » ; « la foi au Bon Pasteur », qui n’hésite pas à partir à la recherche de la brebis perdue ; une « foi débordante de confiance dans l’Esprit Saint » et « une foi inébranlable dans la vocation de tous à la sainteté ». Pour B. Häring, l’oikonomia laisse une grande place à cette parole du Christ : « Le sabbat a été fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat » (Mc 2, 27). Autrement dit, « la loi et les préceptes sont pour le bien de l’homme, et non l’homme pour les préceptes comme tels »[4]. Ainsi, « ce principe d’économie, spécifique à l’Église orthodoxe, (…) se veut une image de la miséricorde divine »[5].

Pratique de l’oikonomia concernant le mariage

Selon B. Häring[6], les orthodoxes prennent en compte le concept de « ‘mort morale’ d’un mariage » : « on considère qu’il y a mort morale quand le mariage en question ne laisse plus rien apparaître du caractère salvifique qu’il devrait avoir ; plus encore, quand la vie commune peut être préjudiciable au salut et à l’intégrité de l’un des conjoints. (…) La mort morale n’est diagnostiquée – dans la perspective économique – que lorsqu’il n’est plus possible d’espérer, au vu de la réalité, un nouveau réveil de ce mariage sur le plan économique salvifique. Dans cette perspective, on n’imagine donc pas l’hypothèse d’un second mariage à la hâte. On demande un temps de recueillement, un intervalle pour guérir les blessures ». Un temps de deuil et de pénitence est donc requis. Jean Meyendorff, théologien orthodoxe, précise que depuis saint Basile le Grand (mort en 379), « les personnes qui contractent un second mariage, après veuvage ou divorce, doivent subir une pénitence, c’est-à-dire s’abstenir de la communion pendant un ou deux ans. »[7] Ce temps dure au moins deux ans si une faute éventuelle de la personne n’est pas exclue, selon B. Häring, qui fait remarquer « la dimension thérapeutique de la spiritualité de l’Eglise orientale » : « Qui a perdu son conjoint par mort morale a besoin d’une plus grande compassion, et cette compassion ne doit pas dispenser d’aider éventuellement la personne concernée à reconnaître, face à soi-même et à Dieu, un manque personnel dont il faudrait tirer des leçons. »[8] B. Häring précise aussi qu’une grave maladie psychique de l’un des conjoints peut être un cas de « mort morale » du mariage, dès lors qu’il a été discerné avec grande prudence que cette maladie rendait ce mariage impossible en tant que « relation inter-humaine salutaire ».

L’analyse de B. Häring rejoint les explications de J. Meyendorff, qui s’exprime, lui, en termes d’ « erreur » et de « seconde chance » : « En tant que sacrement, le mariage n’est pas un acte magique, mais un don de la grâce. Les partenaires, étant des êtres humains, peuvent avoir fait une erreur en sollicitant la grâce du mariage, alors qu’ils n’étaient pas prêts pour la recevoir ; ou bien ils peuvent être incapables de faire fructifier cette grâce. Dans ces cas, l’Eglise peut admettre que la grâce n’a pas été « reçue », accepter la séparation et permettre le remariage. Mais, bien évidemment, elle n’encourage jamais les remariages – nous avons vu cela même pour les veuves – à cause du caractère éternel du lien matrimonial ; mais elle les tolère seulement lorsque, dans des cas concrets, ils apparaissent comme la meilleure solution pour un individu donné. »[9] Ces remariages ne sont pas sacramentels, comme l’explique également Olivier Clément dans le livre d’Armand Le Bourgeois.[10]

La bénédiction du second mariage dans l’esprit de l’oikonomia

B. Häring évoque le rite par lequel est bénie une seconde union dans les Eglises orthodoxes : « Cette seconde bénédiction n’est pas comme la première une cérémonie entièrement dominée par la joie des noces, elle commence un peu comme une cérémonie pénitentielle en rappelant avec peine l’échec du premier mariage. L’accent retombe alors sur la magnanimité de Dieu et sa miséricorde. Evidemment, on n’insiste pas sur un droit, mais sur le fait qu’il faut rendre grâce à Dieu pour sa bonté et l’économie salvifique qui ne veut que le salut et le bien de l’homme. Et on prie explicitement pour le don de la paix qui vient d’en haut. »[11] Cela est confirmé par Jean Meyendorff, qui décrit l’ « ordo d’un second mariage » comme « une sorte de courte extension de l’office des fiançailles », complètement différent du rite normal : « la longue ‘prière des anneaux’ est remplacée par une prière de supplication pénitentielle demandant ‘l’oubli des transgressions’, la purification, le pardon. Les personnages bibliques mentionnés ne sont pas les couples pleins de gloire de l’Ancien Testament, mais Rahab, la prostituée (Josué 2, 1-24, Hébreux 11, 31 et Jacques 2, 25), le Pharisien et le Publicain (Luc 18, 10-14) et le Bon Larron (Luc 23, 40-43) : tous trois reçoivent de Dieu le pardon à cause de leur foi et de leur repentir. Une deuxième prière indique que les fiancés ont été ‘incapables de supporter la chaleur du jour et le désir brûlant de la chair’ et que, pour cette raison, ils ont décidé d’accepter ‘le lien d’un second mariage’. Sans procession vers le centre de l’église (donc sans Eucharistie), ni nouveau commencement, le couronnement est alors accompli et ne comporte que la troisième et très courte prière de l’ordo normal. »[12]

Conclusion

Ainsi, nous avons vu que l’Eglise catholique, tout en affirmant l’appartenance des divorcés remariés à l’Eglise et en leur assurant une « attention spéciale » (Benoît XVI), leur refuse les sacrements. Au contraire, l’Eglise orthodoxe, au nom du principe de l’oikonomia, selon lequel la miséricorde prime sur la rigueur en vue du salut des personnes, tolère une deuxième ou une troisième union, lorsque le précédent mariage est en quelque sorte « mort » moralement. Sans encourager la nouvelle union, elle l’accepte et la bénit, au cours d’un rite spécifique, à la tonalité fortement pénitentielle. Beaucoup de catholiques souhaitent que la théologie et la pratique des Eglises orientales puissent inspirer celles de leur Eglise. Ainsi, par exemple, le Père Henri Denis, au colloque « Chrétiens divorcés » de Valpré, a fortement plaidé pour une réintégration sacramentelle, qui passerait par « une célébration pénitentielle » et des « conditions claires de réintégration » telles qu’« un temps d’épreuve de la fidélité du nouveau couple » ; une « justice » vis-à-vis des enfants et du conjoint de l’union antérieure ; le baptême ou en tout cas l’éducation religieuse des enfants nés de la nouvelle union ; une participation à la vie ecclésiale)[13]. On peut aussi citer Mgr Armand Le Bourgeois, fervent défenseur de la cause des divorcés depuis 1973 : « Si nos frères d’Orient, dans le respect de la parole de Dieu et l’analyse plus fine de l’action de l’Esprit, ont trouvé le moyen de sauvegarder à la fois la grandeur du mariage chrétien et la participation effective des divorcés remariés à la vie de l’Eglise, pourquoi ne pourrions-nous pas nous enrichir de cette longue expérience, d’autant plus qu’elle fut celle de notre Eglise pendant les premiers siècles. »[14]

Zoé VANDERMERSCH
Oblate de l’Assomption
Segré

[1] Cf. Catéchisme de l’Eglise catholique n° 2384 et 1650.
[2] Revue Contacts, vol. 42, n°150 (1990). Propos repris sur le site www.orthodoxa.org
[3] Plaidoyer pour les divorcés remariés, Cerf, 1995, chapitre III, p. 45-60.
[4] ibid. p. 48.
[5] Nicolas Senèze, « L'Eglise orthodoxe applique le principe de miséricorde », La Croix, 11 avril 2008.
[6] Op. Cit. p. 51sq.
[7] Le mariage dans la perspective orthodoxe, YMCA-Press / O.E.I.L., 1986, p. 59.
[8] Op. Cit., p. 53.
[9] Le mariage dans la perspective orthodoxe, YMCA-Press / O.E.I.L., 1986, p. 78.
[10] Mgr Armand Le Bourgeois, Divorcés remariés, mes frères, Desclée de Brouwer, 1998, p. 100 ss.
[11] Plaidoyer pour les divorcés remariés, Cerf, 1995, chapitre III, p.57-58.
[12] Le mariage dans la perspective orthodoxe, YMCA-Press / O.E.I.L., 1986, p. 78 Le mariage dans la perspective orthodoxe, YMCA-Press / O.E.I.L., 1986, p. 61.
[13] Cité dans Guy de Lachaux, Accueillir les divorcés : l’Evangile nous presse, Les Editions de l’Atelier, 2007, p. 65-66.
[14] Mgr Armand Le Bourgeois, Divorcés remariés, mes frères, Desclée de Brouwer, 1998, p. 76.



     

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