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Mise en garde énergique d’un journaliste
par Amandus 2013-04-26 14:24:53
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Lettre de Louis Veuillot
sur la veulerie des chrétiens face aux ennemis de Jésus-Christ et de l’Église

À Monsieur [Victor-Charles-Maurice] de Foblant,
Le 8 août 1843


Mon frère Maurice, vous avez du cœur et je conçois ce que vous fait éprouver la courante dont nos catholiques sont malades à Nancy comme partout. Nous avons eu ce spectacle à Paris, nous l’aurons encore ; nous sommes destinés peut-être à voir l’Église de France mourir de ce mal autant qu’Église peut mourir, et cela va loin quelque fois.

J’aimerais mieux une de ces époques où l’on croit qu’elle va disparaître dans les flots de sang. J’aurais meilleure espérance de la voir se relever. Bienheureux ceux qui ont entendu la messe dans les catacombes, bienheureux ceux qui l’ont servie à quelque prêtre fugitif de la Vendée, au milieu des blessés, des orphelins et des veuves ! Ceux-là ont pu prédire des triomphes. Dans nos cathédrales où l’on nous laisse en paix, nous n’avons à compter que sur des abaissements. Ce n’est pas la chair qui vous parle et qui se révolte ; c’est l’esprit. Des abaissements, j’en veux pour moi Dieu merci ; mais je n’en veux pas pour Jésus, et c’est lui que l’on abaisse.

Considérez bien ceci, je ne crois pas que le monde ait vu rien de pareil. On outrage l’Église et nous ne sommes ni fugitifs, ni réduits à nous cacher, ni sans moyen d’agir. Tout au contraire, nous jouissons de nos biens, de notre liberté, nous exerçons les pouvoirs de citoyens, nous sommes gaillards et l’arme au bras pendant qu’on l’outrage. Nous regardons faire et nous allons communier. L’abbé Rohrbacher n’en citerait pas d’autres exemples et, si l’on veut réfléchir, cela est nouveau et cela est effrayant. Je crains moins pour un temple les furieux qui veulent le démolir que les fidèles qui ne songent qu’à leur potage en présence de ce danger. Ceux-là détruisent vraiment l’Église qui ne lui font pas un rempart de leur corps, qui ne se font pas massacrer sur les marches pour la moindre de ses prérogatives.

Jadis les parents chrétiens plutôt que d’abjurer dévouaient leurs enfants à la misère et les voyaient d’un œil ferme massacrer sous leurs yeux : aujourd’hui on s’expose plus volontiers à leur voir perdre la foi qu’à leur voir manquer un diplôme. On achète froidement un titre d’avocat ou de médecin au prix de cent péchés mortels qu’ils pourront commettre avant de l’obtenir. On appelle cela « songer à leur avenir » : ce mot dit tout. Quand on était chrétien, l’avenir était au ciel ; il n’y est plus, il est ici dans les boutiques, dans les négoces, dans les affaires, dans la boue : et pour y arriver, on marche d’abord sur le crucifix. Il n’y a plus de chrétiens, car il n’y a plus de foi. S’il y avait de la foi, on saurait qu’avec tant de lâchetés on expose son âme, et on verrait ce que nous ne voyons pas : des hommes.

Je vous déclare, entre nous, que les sociétés de Saint-Vincent-de-Paul et toute cette charité de bons de soupe et de bons de pommes de terre, réduite aux termes où je les vois, me font pitié ! Je ne comprends rien à ce système de vouloir sauver des âmes moyennant des pièces de dix sous, et de refuser une parole toutes les fois qu’il faut la dire. On a trouvé l’art d’assister les pauvres sans assister Jésus-Christ. Si le Journal des Débats n’avait inventé pour nous le nom de néo-catholique, nous devrions l’inventer, nous, pour cette race poltronne, car elle est en effet nouvelle. Partout où je la tâte, sous la mitre, sous la soutane, et sous l’habit bourgeois, j’y sens des lacunes et des excroissances qui en font une espèce particulière. Ce sont des chrétiens avec beaucoup de ventre en plus et beaucoup de cœur en moins.

Ce qu’il faut faire, cher Maurice ? Prier le Bon Dieu d’abord ; lui demander pour unique grâce de l’aimer follement, sans aucune espèce de prudence ni de raison en ce qui nous concerne ; accepter les croix, les affronts, les solliciter, nous préparer à ne rien craindre et ne point jurer qu’on ne s’appliquera pas un jour quelque peu de discipline. Pour ce qui concerne nos chers frères, aviser le plus tôt possible à les faire rouer de coups, car ce n’est qu’alors qu’ils se défendront et qu’ils se souviendront qu’ils sont ici l’Église militante, non pas l’Église croupissante.

Quand je vois les Évêques supporter l’Université, les laïcs ne songer qu’à leur pot-bouille, les ordres religieux mourir d’inanition au milieu de cette jeunesse qui n’a rien à faire et qui se met à entretenir les pauvres parce que cela coûte moins que les filles et que c’est plus honnête, je dis qu’il n’y a plus qu’un péril : c’est de laisser les choses sur ce pied-là. Cherchez des affaires et poussez-les.

Je n’ai point la vocation monastique, surtout la bénédictine ; mais j’obtiendrai, s’il plaît à Dieu, la vocation du dévouement. Il n’y a que servir Dieu. Tout le reste est par trop misérable et par trop dangereux en un temps comme celui-ci, pour une âme qui a pu entrevoir une fois la Croix où Jésus est mort. Quand je serai de retour à Paris, vous tâcherez de venir me voir, et nous arrangerons une campagne d’hiver. Adieu, cher enfant ; je vous aime dans mon cœur. Présentez mes tendres respects à votre excellente et vénérée mère. Dites-lui que Dieu l’aime et qu’on est heureux d’être du nombre de ses martyrs, à une époque où les chrétiens ne redoutent que la Croix ; c’est-à-dire ce qui est le caractère même du chrétien. (…)



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L’année 2013 marque le deuxième centenaire de la naissance de Louis Veuillot (11 octobre 1813). C’est pour nous l’occasion de jouir de cette plume incomparable mise au service d’un admirable esprit catholique et d’un grand cœur. La correspondance qu’on vient de lire fut écrite lors d’un séjour à l’abbaye de Solesmes. Nul doute que Louis Veuillot s’y fait l’écho d’entretiens qu’il a eus avec Dom Guéranger, et dont sont sorties des vérités qu’eux deux voudraient crier aux familles catholiques. Cette lettre est d’une grande énergie, d’une grande acuité de pensée, d’une franchise qui ne s’embarrasse pas de précautions. Elle mérite quelques explications.

Les catholiques n’ont pas vocation (comme on dit en hexagonal) à être les laissés-pour-compte de la société. Ils doivent plus que tout le monde développer les talents que Dieu leur a impartis, ils doivent occuper des places d’influence pour y faire régner l’Évangile de Jésus-Christ, ils doivent pouvoir jouir d’une modeste aisance pour assurer une éducation chrétienne à leurs enfants.

Il faut que chacun ait ici-bas un devoir d’état précis, il faut que chacun prenne une place dans laquelle il éclose intellectuellement et moralement, il faut que chacun soit apte à travailler au bien commun de la société dans laquelle nous vivons. Il faut qu’il y ait des médecins, des infirmières et des sages-femmes, des avocats et des ingénieurs, des commerçants et des artisans, des chefs d’entreprise et des savants, et tutti quanti, qui soient catholiques, sans quoi la société abandonnera totalement ce qu’elle a reçu de l’Église, et le christianisme ne sera plus qu’un souvenir.

Tout cela est vrai. Mais pas à n’importe quel prix. Pas au prix des âmes, de la vertu, de la rectitude, de la ferveur, de la persévérance. « Que sert à l’homme de gagner l’univers s’il vient à perdre son âme ? » Le problème se pose en ces termes : « Cherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné par surcroît. » Cela veut non seulement dire qu’il faut avoir une confiance filiale et totale en Dieu, cela signifie aussi que les choses d’ici-bas qui ne sont pas ambitionnées comme un surcroît, comme un don de Dieu et un moyen de concourir à son Royaume, deviennent un poison pour la vie chrétienne.

C’est ce qu’exprime vigoureusement Louis Veuillot, c’est l’objet d’une malheureuse expérience mille fois répétée. C’est ainsi qu’on voit des cohortes de jeunes gens partir un à un à l’abattoir ; ils vont faire des études pour conquérir des situations lucratives : ils ne reviennent jamais parce qu’ils perdent la foi, ils perdent la vertu chrétienne, ils perdent le Ciel.

Ou encore, on en voit partir emplis de bonnes intentions, mais sans formation de l’intelligence, sans armature morale, sans crainte du péché : eux aussi, on ne les revoit jamais, englués dans le péché ou la mondanité qu’ils sont, inutiles pour le Royaume de Dieu.

La responsabilité des parents est gravement engagée : au Jugement dernier, il leur sera demandé compte des enfants que Dieu leur a confiés. Et là, les ignobles excuses mondaines ne serviront plus à rien : il gagne beaucoup d’argent, il a une belle situation, il a fait un beau mariage, il s’en est tiré au moindre mal… Et les enfants damnés entraîneront leurs parents dans leur perte.

C’est la triste histoire d’apostasies individuelles, de l’apostasie de la société dans les pays qui ont jadis formé la chrétienté. On a recherché la satisfaction des concupiscences et on a imaginé que le Ciel serait donné par surcroît. Erreur tragique.

Il faut donc que les parents chrétiens mesurent leur responsabilité ; il faut qu’ils étudient les moyens pour établir leurs enfants dans une situation qui conduise au Ciel, qui concoure au règne de Jésus soit par elle-même, soit par la famille qu’elle permet d’élever.

Qui donc y a réfléchi avec la gravité que cela suppose ? Pour traverser une banlieue chaude, on ne s’engage pas seul, on se regroupe. Mais qui y pense pour aborder des études supérieures à l’université qui assassine les âmes ? « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps. Craignez plutôt celui qui peut envoyer le corps et l’âme dans la Géhenne. » N’est-ce pas l’Évangile qu’on a oublié ?

Voici ce que j’écrivais récemment à une jeune personne que ce problème inquiète :

« Mes incursions sur les difficultés que rencontrent les infirmières catholiques tant dans les études que dans l’exercice du métier sont motivées par le fait que c’est un exemple facile à exposer : la gravité des problèmes qu’elles peuvent être amenées à rencontrer, la coopération qu’on sollicite d’elles à jet continu, l’étroitesse de la marge de manœuvre qui leur est laissée, la promiscuité incessante dans laquelle elles doivent travailler : tout cela met bien en lumière combien il est difficile d’exercer un métier dans le monde, combien il faut s’armer et s’entourer de défenses spirituelles et humaines, combien la présomption est suicidaire. Mais en fait, des problèmes analogues se posent dans mille branches professionnelles, de façon moins aiguë souvent, mais beaucoup plus sournoise aussi.

« L’inconscience de nombreux catholiques fait qu’ils ne réfléchissent pas au problème posé, qu’ils n’envisagent pas des solutions moins casse-cou (se réunir à trois pour se lancer dans les études, s’expatrier, entrer par la petite porte, renoncer, faire dans la clandestinité, ou autre) et qu’ils vont chacun à leur tour à l’abattoir. Quelques-uns s’en tirent bien, et c’est miracle, mais beaucoup y laissent leur âme, ou leur candeur, ou leur ferveur.

« C’est un vrai problème pour lequel les familles catholiques doivent se réunir entre elles et réfléchir. Les catholiques, à la mesure des dons qu’ils ont reçus de Dieu, doivent s’efforcer d’avoir une influence sociale bénéfique et efficace : mais pas à n’importe quel prix. Ce serait désastreux, illusoire et dérisoire.

« Cette influence sociale peut d’ailleurs s’exercer d’autres façons que par un métier ad hoc : l’éducation d’une famille, le témoignage de la foi, la conscience dans le devoir d’état sont des “agents sociaux” autrement vrais et profonds que les effets de manche d’un avocat ou que les ronflements d’un député.

« Tout cela demande réflexion, prières et temps. »

NDSE n°279

     

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