A plusieurs reprises, saint Paul parle d’un mystère caché depuis l’origine du monde et maintenant révélé, dont il est le héraut (Col. 1;15 – Ephes. 3;2).
Ce mystère consiste à envelopper les Païens dans le même appel que les Juifs pour les sauver par le Christ en les unissant à lui dans un même corps.
Ce mystère était jusque-là caché aux hommes.
Quand il se réalise, il ne constitue pas à vrai dire, une innovation ; il est l’aboutissement d’un plan providentiel qui manifeste la Sagesse de Dieu.
Dans sa réalisation, l’apparition du Christ marque le point crucial ; de même que l’événement était préparé avant la venue visible du Christ, il se continue après que nous sommes privés de sa présence sensible.
Le Christ continue de s’incorporer les hommes. Jusqu’à quand ? Dirons-nous jusqu’à la fin du monde ? Disons plutôt : Le Christ continuera de s’incorporer les hommes jusqu’à l’achèvement de l’homme parfait, jusqu’à ce que son Corps ait atteint la stature voulue par Dieu.
Ainsi nous voyons comment le Christ est au centre de l’histoire, non pas seulement parce qu’il vient inaugurer une œuvre définitive mais parce que, dans la durée du monde, c’est son corps qui se construit. Là réside pour ainsi dire la réalité solide de l’histoire, sa substance.
Nous sommes appelés a contempler ses réalités merveilleuses dans l’éternité si par la grâce et la miséricorde du Christ nous parvenons à la résurrection bienheureuse. En attendant nous pouvons méditer ce mystère à l’aide de bons guides, je vous propose un extrait du commentaire de saint Thomas sur l’épitre de saint Paul aux Colossiens :
Leçon 5 — Colossiens 1, 18-23 : LE REDEMPTEUR DANS SES RAPPORTS AVEC L’EGLISE
« 1, 18 Et il est aussi la tête du Corps, c'est-à-dire l'Eglise : Il est le Principe, Premier-né d'entre les morts (il fallait qu'il obtînt en tout la primauté),
1, 19 car Dieu s'est plu à faire habiter en lui toute la Plénitude
1, 20 et par lui à réconcilier tous les êtres pour lui, aussi bien sur la terre que dans les cieux, en faisant la paix par le sang de sa croix.
1, 21 Vous-mêmes, qui étiez devenus jadis des étrangers et des ennemis, par vos pensées et par vos oeuvres mauvaises,
1, 22 voici qu'à présent Il vous a réconciliés dans son corps de chair, le livrant à la mort, pour vous faire paraître devant Lui saints, sans tache et sans reproche.
1, 23 Il faut seulement que vous persévériez dans la foi, affermis sur des bases solides, sans vous laisser détourner de l'espérance promise par l'Evangile que vous avez entendu, qui a été prêché à toute créature sous le ciel, et dont moi, Paul, je suis devenu le ministre.
Le Christ, tête de l’Église
Après avoir présenté le Christ par comparaison avec Dieu et avec toutes les créatures, l’Apôtre le présente ici par comparaison avec l’Église.
D’abord d’une manière générale, ensuite d’une manière qui concerne plus spécialement les Colossiens : Vous-mêmes qui étiez devenus, etc... ; en troisième lieu, il le présente par rapport à sa propre personne : car je suis devenu… Sur le premier point, il présente d’abord le statut du Christ par rapport à toute l’Église, ensuite il l’explique : il est le principe.
Il dit donc : Celui par qui nous sommes rachetés, le Christ, est le premier-né de toutes créatures, mais cela relativement au fait qu’il est devenu la tête de l’Église.
Ici il faut expliquer deux choses pour comprendre qu’il est la tête de l’Église.
D'abord, comment l’Église est-elle est un corps ? Deuxièmement, comment le Christ en est-il la tête ?
On dit que l’Église est un corps à cause d’une double ressemblance avec le corps de l’homme :
- comme lui, elle a des membres distincts : "Il a fait les uns apôtres, d’autres prophètes, etc..." (Ephésiens, IV, 11)
- et ces membres se servent l’un l’autre, car bien que distincts, se servent l’un l’autre. "de manière que... les membres aient également soin les un des autres" (1 Corinthiens XII, 25) ; "Portez les fardeaux les uns des autres" (Gal. VI, 2).
Ensuite, de même que le corps est un parce qu’il est constitué d’une âme unique, de même l’Église par un même Esprit. "Il n’y a qu’un seul corps et un seul Esprit" (Ephésiens, IV, 4). Et dans la première aux Corinthiens, X, 17 : "Puisqu’il y a un seul pain, nous formons un seul corps, tout en étant plusieurs, etc...".
Au sujet des membres, il y a une autre considération à faire concernant la tête de l’Église, c'est-à-dire le Christ.
Car c’est le Christ lui-même qui est la tête de l’Église : "Tu m’as fait remonter, etc... " (Ps. IX, 15).
Saint Paul explique ainsi comment le Christ est la tête de l’Eglise :
Il est le principe, etc... La tête a sur les autres membres trois privilèges :
1° elle se distingue des autres dans l’ordre de la dignité, parce qu’elle est le principe, et qu’elle préside;
2° en plénitude de vie, parce qu’elle réunit en elle tous les sens;
3° en influence, parce qu’elle communique aux membres sensation et mouvement.
Autant de motifs de dire que le Christ est la tête de l’Église : à cause de sa dignité, à cause de la plénitude de sa grâce : Dieu s’est plu à faire cohabiter en lui ; et de son influence : et par lui…
La primauté du Christ
L’Église vit en deux états : celui de la grâce dans le temps présent celui de la gloire dans l’éternité.
Toutefois c’est une seule Église dont le Christ est le chef, selon ces deux états, parce qu'il est le premier en grâce et en gloire.
Le premier en grâce: Lui, il est le principe, dit saint Paul, car non seulement il possède la grâce en tant qu’homme, mais c’est par la foi en lui que nous sommes tous justifiés : "par l’obéissance d’un seul tous sont constitués justes" (Romains V, 19). C’est pourquoi Lui, il est le principe de la justification et de la grâce pour l’Église, car même dans l’Ancien Testament c’est par la foi du Christ qu’il y a eu quelques justes. "Moi qui vous parle, je suis le principe, etc... " (Jean, VIII, 25) ; "A toi le principat, etc... " (Ps.CIX, 3).
Le premier en gloire : il est le premier-né d’entre les morts.
La résurrection des morts est comme une seconde génération puisque l’homme y est restauré pour la vie éternelle : "Au jour de la régénération, le Fils de l'homme sera assis sur le trône de sa gloire." (Matthieu, XI. 28).
Le Christ étant le premier entre tous, il est le premier-né entre les morts, c’est-à-dire de ceux qui sont engendrés par la résurrection.
- Mais Lazare ? (Jean XI) dira-t-on. - Lazare et d'autres furent ressuscités, non pour la vie immortelle, mais pour reprendre la vie mortelle, tandis que "Le Christ, ressuscité d’entre les morts ne meurt plus." (Rom. VI, 9). "Le premier-né d’entre les morts" (Apoc I, 5); "Maintenant le Christ est ressuscité d’entre les morts, prémices de ceux qui se sont endormis" (I Corinthiens XV, 20). Et cela, pour qu’il ait la primauté en tout, dans l’ordre de la grâce et de la gloire, puisqu’il est le Premier-né. "J’ai obtenu la primauté sur toute race et sur tout peuple, etc..." (Ecclésistique, XXIV, 9).
La grâce du Christ
Ensuite, quand Paul dit : en lui, etc... il montre la dignité de la tête parce qu’elle est la plénitude de toutes les grâces.
D’autres saints ont reçu partiellement la grâce : le Christ l'a eue sans réserve : car en lui, etc... Chaque parole, ici, a du poids.
Il a plu à Dieu : c’est dire que les dons du Christ homme ne lui sont point venus du destin ou de ses mérites, comme le prétendait Photin, mais du bon plaisir de Dieu élevant cet homme dans l’unité d’une Personne : "Celui-ci est mon Fils bien-aimé, etc..." (Matth., III, 17).
Toute sa plénitude, ajoute l’Apôtre : Ceux-ci reçoivent tel don, ceux-là tel autre. Pour le Christ, dit saint Jean (XIII, 3), "son Père a tout remis entre ses mains".
De même, il dit la plénitude : certains reçoivent un don, mais n’en reçoivent pas la plénitude, ils n’ont pas toute la vertu, car peut-être malgré eux défaillent-ils sur quelque point. Mais le Christ, dit encore saint Jean (I, 14), "nous l’avons vu tout plein de grâce et de vérité". "Je détiens la plénitude des saints" (Ecclésiastique, XXIV, 16)
Habitât en lui. D’autres ont reçu l’usage de la grâce pour un temps; les prophètes, par exemple, n'ont pas sans cesse l’esprit de prophétie ; tandis que dans le Christ la plénitude de la grâce est à demeure et il en use à son gré, en maître : "Sur lui, tu verras l’Esprit descendre et demeurer, etc...." (Jean, I, 33).
L’influence du Christ
Ensuite, en disant et par lui, etc... , Paul montre que le Christ est la tête de l’Église en raison de son influence.
C’est la troisième raison. Il montre d’abord l’influence de la grâce, il explique ensuite ses propos : en faisant la paix.
Saint Paul dit donc d’abord : Il a plu à Dieu que la plénitude de la grâce habitât dans le Christ, non seulement pour qu’il la possédât, mais aussi pour qu’il la fît dériver sur nous : réconcilier par lui toutes choses avec lui-même.
"Dieu réconciliait le monde avec lui-même dans le Christ" (II Cor. V, 19).
Ici il explique cette réconciliation et comment se réconcilient toutes choses.
Or, dans « réconciliation », il faut considérer deux choses :
- la première, c’est ce sur quoi s’accordent ceux qui se réconcilient. En effet, être en désaccord, c’est avoir des volontés opposées; se réconcilier, c’est s’entendre sur quelque un point. Or précisément les volontés auparavant en désaccord se sont mises en accord dans le Christ, et les volontés de ce genre sont celles des hommes, de Dieu et des anges : des hommes, car le Christ est homme; de Dieu, car il est Dieu. Il y avait désaccord entre les Juifs qui voulaient la Loi et les Gentils qui n’en voulaient pas, et le Christ les met en accord, car d’une part il est juif et de l’autre il délivre des observances légales.
- La seconde, cette réconciliation s’est faite par le sang de la croix, etc...
Entre Dieu et l’homme, la cause de discorde était le péché; entre les Juifs et les Gentils, la Loi ; par sa croix, le Christ détruit le péché et accomplit la loi, écartant la cause du désaccord :
"Vous avez pu vous approcher de la montagne de Sion, de la cité du Dieu vivant qui est la Jérusalem céleste, etc..." (Hébreux XIII, 22).
C’est ainsi que nous avons été réconciliés, et c’est ainsi que les choses ont été pacifiées, soit celles qui sont dans le ciel, comme entre les Anges et Dieu, soit celles qui sont sur la terre, comme entre les Juifs et les Gentils. Aussi à la naissance du Christ, on entend ce cantique; "Gloire à Dieu dans le ciel, sur la terre paix aux hommes, etc..." (Luc, II, 14).
Les bienfaits du Christ
Après sa résurrection, Jésus dit : "La paix soit avec vous" (Jean XX, 20) ; "C’est lui qui est notre paix, lui qui des deux peuples n’en a fait qu’un" (Eph.II, 14).
Ensuite, quand Paul dit : Vous-mêmes, etc..., il signale la bonté du Christ à travers les bienfaits qui leur ont été prodigués : il rappelle d’abord leur état antérieur, en second lieu les bienfaits accordés par le Christ : Voici qu’à présent, etc... ; troisièmement, ce qui est exigé d’eux : si du moins, etc...
Ainsi donc trois désordres caractérisaient l’état passé des Colossiens :
- dans l’esprit, l’ignorance ;
- la haine de la justice dans le cœur
- et dans leur activité beaucoup de péchés.
Sur le premier point, Paul dit : étrangers, etc... ; sur le second : ennemis par vos pensées, etc... (selon l’une des versions), et il montre le manque de sagesse de la doctrine des Juifs concernant le Dieu unique ; "ils ont préféré les ténèbres à la lumière" (Jean III, 19).
Mais étaient-ils tenus, demandera-t-on, par la loi de Moïse ? Il faut répondre que oui, pour ce qui regarde le culte du Dieu unique ; ou bien : étrangers par vos pensées [(autre version)], c'est-à-dire s’opposant délibérément à lui par malice : "ils se sont volontairement écartés de lui".
Sur le troisième point : par leurs œuvres mauvaises. "Parce que leurs œuvres étaient mauvaises, etc..." (Jean III, 19).
En disant : mais voici qu’à présent, il présente les bienfaits du Christ :
1° Le premier consiste à vous avoir réconciliés dans son corps.
Et l’Apôtre dit dans son corps de chair, non pas que le corps et la chair soient deux choses différentes, mais pour montrer qu’il a pris un corps dans son être profond. "Et le Verbe s’est fait chair, etc..." (Jean I, 14), car « corps de chair », c’est la même chose que « corps mortel ». "En envoyant son propre fils dans une chair semblable à celle du péché, etc....."
2° Le second bienfait est la sanctification : pour vous faire paraître saints.
"[Jésus a souffert] pour sanctifier le peuple par son sang" (Heb., XIII, 12).
Puis la purification des péchés : sans tache. "Le sang du Christ qui, par l’Esprit éternel, s’est offert lui-même sans tache à Dieu, purifiera notre conscience, etc..." (Hébreux IX, 14).
Et même la préservation pour l’avenir : sans reproche, dit l’Apôtre. "Faites tous vos efforts afin qu’il vous trouve sans tache et irréprochables dans la paix" (II Pierre, III, 14).
Mais l’Apôtre ajoute : devant lui, car "l’homme ne voit les choses que par le dehors, tandis que le Seigneur regarde le cœur" (I Rois, XVI, 7).
[Pour obtenir ces bienfaits], l’Apôtre exige de tous la fermeté de la foi et de l’espérance, car la foi est comme le fondement dont la solidité maintient tout l’édifice de l’Église : Si du moins vous demeurez fondés dans la foi, et inébranlables, ne chancelant point dans l’espérance à la suggestion des autres; oui, inébranlables dans l’espérance que vous donne l’Évangile d’obtenir les biens du royaume des cieux : "Faites pénitence, car le Royaume des cieux est proche" (Matth., IV, 17).
Il n’y a point d’excuse, car cet Évangile a été prêché par les apôtres ; saint Paul se sert du passé pour le futur à cause de la certitude, qu’il a, [que l’Évangile sera prêché] à toutes les créatures qui sont sous le ciel, etc... c'est-à-dire à toute créature nouvelle, à savoir aux fidèles pour lesquels il était préparé."