« Les libertés modernes – dit, le père Thiry(1) – on été avant tout l’œuvre d’une classe sociale, la bourgeoisie. Leur avènement a coïncidé avec sa prise du pouvoir. C’est elle qui les a inscrites pour une large part dans les constitutions des états modernes à gouvernements représentatifs. Elles ont été ainsi associées au triomphe de la bourgeoisie. Elles ont été compromises par le règne de l’argent qui a marqué cette époque.

Le triomphe libéral devait d’ailleurs rapidement être contesté et, en partie, au nom des principes mêmes qu’il avait répandus aux quatre coins de l’Europe. Contesté et violemment attaqué par une révolution qui se voulait non plus partielle mais totale.

Au plan des faits, l’ébranlement le plus redoutable qui secouera le monde libéral ne sera pas l’œuvre de l’Église catholique. Sa condamnation ne sera pas le fait du Pape, mais d’un prophète barbu, Karl Marx, dans son Manifeste communiste de 1848.

Marx reconnaît expressément le rôle universel de la bourgeoisie. Avant tout, il lui reproche son esclavage de l’argent. Certes, les conditions sociales ont évolué depuis Marx, mais cette page du Manifeste mérite toujours l’attention, sinon même {je ne sais pas si j’oserai le dire !} la méditation :

« La bourgeoisie a joué dans l'histoire un rôle éminemment révolutionnaire. »

« Partout où elle a conquis le pouvoir, elle a détruit les relations féodales, patriarcales et idylliques. Tous les liens variés qui unissent l'homme féodal à ses supérieurs naturels, elle les a brisés sans pitié pour ne laisser subsister d'autre lien, entre l'homme et l'homme, que le froid intérêt, les dures exigences du «paiement au comptant».

Elle a noyé les frissons sacrés de l'extase religieuse, de l'enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité petite-bourgeoise dans les eaux glacées du calcul égoïste. Elle a supprimé la dignité de l'individu devenu simple valeur d'échange; aux innombrables libertés dûment garanties et si chèrement conquises, elle a substitué l'unique et impitoyable liberté de commerce.

En un mot, à l'exploitation que masquaient les illusions religieuses et politiques, elle a substitué une exploitation ouverte, éhontée, directe, brutale.

La bourgeoisie a dépouillé de leur auréole toutes les activités considérées jus-qu'alors, avec un saint respect, comme vénérables. Le médecin, le juriste, le prêtre, le poète, l'homme de science, elle en a fait des salariés à ses gages.

La bourgeoisie a déchiré le voile de sentimentalité touchante qui recouvrait les rapports familiaux et les a réduits à de simples rapports d'argent. »(2)


(1) André Thiry S.J. – Liberté religieuse et liberté chrétienne –Desclée de Brouwer – 1966 –pp.12-13)

(2) Karl Marx et Friedrich Engels (1848) Manifeste du Parti communiste.- édition électronique

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