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JEANNE D'ARC DANS LE SENS DE L'HISTOIRE
par Diafoirus 2012-05-31 10:07:13
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JEANNE D'ARC DANS LE SENS DE L'HISTOIRE

Communication de Pierre Virion


Président de l'Association Universelle des Amis de Jeanne d'Arc.

Orléans et la victoire de Jeanne d'Arc, Reims et le sacre unique qu'aient jamais contemplé les rois de pierre au portail de la Cathédrale des Anges, Rouen et son bûcher, sont les trois chants d'un seul poème célébrant le caractère indéniablement universel de sa mission politique. Mais c'est à Reims que, saisis par l'ampleur de ces porches gothiques surmontés de leurs gâbles que Rodin voyait s'élever comme des flammes vers la grande Rose de la résurrection, le mystère de Jeanne, imposant silence aux vains bruits de notre siècle, nous fait entendre la parole de tout relèvement national et de la paix entre les peuples en célébrant une sagesse qui demeure encore aujourd'hui maîtresse de nos destins.
Telle est en effet la pensée qui vient à l'esprit quand avec la sainte on franchit cette façade au langage d'éternité pour entrer sous ces voûtes où, en 1429, une génération de Français criait « Noël » ! à la vue du chef de la nation revêtu par l'Eglise d'un rayon de la royauté divine. Mais ils célébraient aussi par leurs acclamations, sans tous en mesurer l'importance, un événement d'une portée internationale dont quelques contemporains apercevaient déjà les suites. Tout autant que l'ennemi, elle combattit la révolution naissante et dénoua une crise où devait sombrer l'Occident. Avec le recul du temps, constatant les effets plus lointains de l'œuvre de Jeanne d'Arc sur le sort de l'Europe et par conséquent au-delà des limites de l'Occident, ne serons-nous pas contraints de lui donner toutes ses dimensions, sa place, sa très grande place dans le cours de l'histoire ?
Encore, ne serait-ce pas tout ! Quand en effet l'événement n'était ni prévu, ni même pensable avant la délivrance d'Orléans, il n'est pas permis de l'insérer dans un sens de l'histoire aujourd'hui conçu dans les perspectives de l'évolutionnisme humanitaire. L'action fut si soudaine, le dénouement si miraculeux, les conséquences si étendues que, ne pouvant trouver leur raison d'être dans on ne sait quel enchaînement de causes humaines, ou dans quelque prédisposition naturelle de la société, il nous faut bien y reconnaître l'intervention de Dieu « qui, dit Bossuet, frappe ces grands coups dont le contrecoup porte si loin ».
Alors, apparaît, bien réel, le sens chrétien de l'histoire sur lequel l'épopée de la Pucelle vient mettre le sceau de ses victoires, de son martyre, la lumière de son génie inspiré qui défie les détours de la critique rationaliste et les pesantes déductions de l'historicisme. Son épopée se situe dans la ligne du plan divin sur le monde; elle prend place dans la suite des événements-clés qui, depuis l'avènement du Christ, jalonnent la route des nations et l'histoire de l'Eglise, particulièrement en notre pays où déjà s'en étaient produits deux autres essentiellement constitutifs du monde chrétien et que nous ne pouvons passer sous silence.
Au moment où Clovis reçut le baptême, tous les princes assis sur les trônes d'Orient et d'Occident : romains, grecs ou barbares, étaient ariens ou païens. Tous ! Ce qui fit dire à Bossuet : « Seul de tous les princes du monde, il soutint la foi catholique et mérita le titre de très chrétien à ses successeurs ». Le baptême de la monarchie franque, des témoignages contemporains l'affirment, eut pour effet de rendre à l'Eglise, désemparée par l'hérésie, sa place éminente auprès des rois et des princes pour de nouveaux progrès. Les Etats catholiques allaient devenir le régime de l'Europe médiévale. Tel est le premier événement qui donna essor à la Chrétienté.
Le second, c'est la fondation de l'Etat pontifical par Pépin le Bref, dont l'Amiral Auphan nous a parlé, et c'est alors l'épanouissement de la chrétienté avec saint Henri d'Allemagne, saint Edouard le Confesseur, saint Etienne de Hongrie, saint Ferdinand de Castille et l'angélique figure de saint Louis le Roi Croisé.
Or, voici qu'à deux cents ans de distance, après le règne de saint Louis, apparaît Jeanne d'Arc. Quelle était la raison de son irruption dans le monde, sur ce sol de France, au sein de ce même royaume qui, précisément, avait été l'instrument des deux plus grands événements de l'histoire de l'Occident ?

ORLEANS

Si l'on pouvait demander aux théories évolutionnistes une explication objective du glissement général qui oriente les nations vers des fins opposées à la société chrétienne, elles devraient nous brosser, non pas avec les couleurs d'un progressisme préconçu, mais selon son mouvement réel, la dérive qui, surtout à partir de 1350 jusqu'à 1453, entraîne la disparition de la Chrétienté. Ce qui importe ici, ce n'est pas la chute des structures temporelles du moyen âge, mais la décadence spirituelle et les faits que celle-ci provoque. Le lien supérieur de la chrétienté, c'était le baptême. Mais elle n'était pas l'Eglise en tant que hiérarchie; elle était constituée dans son être par l'Eglise. Son sens de l'unité humaine, qui lui était commun avec l'antiquité, avait sur cette dernière l'avantage d'une idée plus claire du droit naturel. Mais au-dessus des races et des royaumes, elle formait la communauté d'intérêts spirituels et temporels des peuples chrétiens. En avance sur les communautaires et les supranationalistes d'aujourd'hui, et avec des intentions plus nobles, elle se pensait comme la nation chrétienne répandue sur les terres des baptisés où régnaient les princes dans le même esprit de la Croix et du salut éternel. Or, la Chrétienté disparaissant, voici qu'une régression politique et sociale, grosse de catastrophes, s'opère sous l'influence de facteurs divers, mais avant tout spirituels. Résumons-les avec un moine à l'intelligence prophétique : Engelbert d'Adgemont. En premier lieu, l'esprit se détache de la Foi. Non pas que celle-ci soit déjà attaquée, mais pour le moment, fissure qui va s'élargir, c'est la rébellion de l'intelligence contre la Révélation. Le protagoniste le plus représentatif de ce divorce, c'est Guillaume d'Ockham, le moine irlandais, professeur à Oxford, dont le nom retentit alors aux quatre coins de la catholicité. Avec le nominalisme, il creuse un abîme entre les données de la raison et les certitudes de la Révélation qui n'aurait plus, selon lui, de justification que dans la Foi seule. Luther, deux siècles plus tard, se proclamera ockhamiste. Mais déjà nombreux sont ceux qui, dans le clergé, au sein des Universités, professent ces doctrines agnostiques et rationalistes, qui les répandent au mépris des condamnations frappant aussi celles de Marsile de Padoue, réfugié comme Ockham à la Cour de Louis de Bavière alors en lutte contre le Pape.
Le deuxième facteur découle du premier comme de source : les Etats se détachent du Saint-Siège auquel ils étaient liés tant par fidélité, comme la France, que, pour d'autres, par des conventions juridiques. En 1356, par exemple, la Bulle d'Or laïcise la notion du Saint Empire-, vers la même époque, l'Angleterre trahit le lien de vassalité qui l'unit à Rome-, en France, les docteurs et les légistes laïcisent la notion de politique intérieure. Bien plus, pour un Marsile de Padoue, très suivi dans les milieux intellectuels, pour ce « génie naissant de la Révolution » comme on l'a appelé, c'est l'autorité populaire qui s'impose tout autant qu'à l'Etat, à l'Eglise elle-même, qu'il résorbe en définitive dans le pouvoir public. E n'annonce pas seulement le Schisme d'Henri VIII d'Angleterre, mais aussi la Constitution Civile du Clergé et finalement l'intégration synarchique des Eglises nationales.
Et dès lors, le troisième facteur de dissolution intervient. Les royaumes se détachent de l'ordre unitaire qui les rassemblait jusqu'ici dans la Chrétienté. L'idéal commun de la Foi et du Salut fait place à des buts strictement profanes. Un monde commence à s'organiser juridiquement sans Dieu. Insensiblement, les visées deviennent économiques-, les royaumes prennent de plus en plus une conscience de leurs particularismes nationaux exclusifs de l'unité chrétienne, poursuivent des fins politiques antagonistes les unes des autres, qui ne sont plus dominées par la puissance modératrice dépositaire de la Révélation. Les révolutions et les guerres nationales commencent, mettant finalement l'Europe en une dramatique situation que Jeanne d'Arc va dénouer.
La crise est en effet générale, car les doctrines parlent dans les faits. Sans doute des facteurs d'un autre ordre interviennent dans le changement qui va se produire. Après la période eupho¬rique des XII e et XIIIe siècles, les campagnes sont désolées par la guerre, la production tombe au-dessous des besoins; la crise des monnaies porte le coût de la vie à des taux inaccessibles; dans les nouveaux centres d'affaires, s'échafaudent des fortunes de nouveaux riches voisinant avec de nouveaux pauvres qui grossissent le flot des victimes de la misère. Partout, en Flandre, en Angleterre, en France, éclatent des insurrections pour des salaires qui, dans bien des cas, ne sont plus d'ailleurs qu'illusion. La peste noire a ravagé l'Europe, dépeuplant des villes et des villages de 50 à 60 0/0 de leur population, faisant quatre-vingt-mille victimes à Paris. Sur cette société bouleversée, une terrible crise morale s'est abattue; on se jette dans des illuminismes longtemps contenus par l'Eglise. L'Italie est déchirée par les luttes intestines de ses républiques en révolte contre le Pape, tandis que les assauts de l'Islam se multiplient. Les Hussites ensanglantent l'Europe Centrale et consomment la première rupture des peuples avec Rome.
Et pendant ce temps se poursuit la guerre de Cent ans entre la France et l'Angleterre. Politiques, savants, artistes, marchands n'ont plus la vision sereine de la Chrétienté. Là où l'on avait vécu d'une communauté, on ne voit plus que cosmopolitisme. Il ne s'agit plus d'unité mais d'une unification qui accuse déjà des lézardes dans l'édifice. Sur le canevas subsistant de l'idée impériale et de la Croisade, courent alors les fils d'une autre Chrétienté sans l'Eglise. La hantise d'un empire mondial n'a déserté ni certains esprits ni leurs actes, mais l'idéal n'est plus la primauté de Dieu.
Une autre Europe se prépare, dont l'Angleterre, à coup sûr, est l'agent le plus efficace. Sous ses motifs dynastiques, la guerre qu'elle fait à la France cache de grandes ambitions. Elle ne convoite pas seulement la plus grande partie du royaume; son roi a des visées sur la Bohème et, jusqu'au cœur de la méditerranée, sur le royaume de Naples. Sa politique, plus commerciale que chrétienne, tend à implanter sa puissance jusqu'au Moyen-Orient où il conclut des accords avec le Sultan. Il rêve de trois capitales : Londres, Paris et Jérusalem !
Les rapports commerciaux qu'il entretient avec les hanses germaniques, dont le réseau de comptoirs s'étend jusqu'aux confins de l'Europe, et aussi avec les Flandres, expliquent en grande partie l'attitude des ducs de Bourgogne. Le goût de la royauté les a saisis; l'idée nationaliste, déjà courante, mais ici nationaliste par sécession, les jette dans l'alliance anglaise contre leur patrie. Ils n'ont d'autre but que le succès d'une politique qui unirait à la Bourgogne une partie de la Champagne et du Luxembourg ainsi que les Flandres. De convoitises, l'Europe est pleine ! l'Empereur Sigismond, qui guette secrètement le royaume d'Arles, les républiques hanséatiques, l'Aragon, Gênes, s'accordent contre la France avec celui que ses victoires, nos défaites et notre chaos intérieur désignent déjà comme le futur maître de la nouvelle Europe et qu'on appelle « Roi de France et d'Angleterre ».
Il faut donc que disparaisse la France, le royaume des lys, contrefort de la Chrétienté. Déjà le Traité de Troyes l'a rayée du nombre des nations. Ce traité, reconnu par des Français, par le Parlement, l'Université, n'attend plus, pour avoir plein effet, qu'un dernier coup de force brisant toute résistance. Orléans va tomber et tout sera consommé. Nous en sommes là le samedi 7 mai 1429 !
Quand tout à coup, la situation se retourne. Le formidable échafaudage politique s'effondre ! En un moment, l'Angélique a tout jeté à terre !
C'est le miracle qui sauve la France, et avec elle l'Europe, d'une unification par la violence qui aurait tout changé : l'état, la structure et l'existence de bien des nations. La France dis¬parue, quel eut été le sort des autres pays du Nord, de l'Italie, de l'Espagne ? Que fut-il resté de cet ensemble qu'avaient modelé les onze siècles de l'essor chrétien sur notre continent ? Et si nous sommes ici ce soir, de quelque pays que nous soyons, avec nos particularités légitimes, nos cultures et nos aspirations nationales, mais tous unis dans les traditions de la Foi, n'est-ce pas à Jeanne d'Arc que nous le devons ?
Car le miracle d'Orléans nous a sauvés aussi d'une unification dont l'avenir devait témoigner qu'elle aurait dressé une nouvelle Europe contre l'Eglise de Rome. Les contemporains en avaient déjà aperçu les conséquences. C'était Gelu, Arche¬vêque d'Embrun. C'étaient ces chevaliers d'Allemagne, accourant sous l'étendard de la Pucelle. C'était le pieux Gerson. C'était le clerc de Martin V à Rome, ou Robert Cybole au procès de réhabilitation ou encore Martin Berryer, le plus perspicace admirateur de la mission posthume de Jeanne. En 1857, pro¬nonçant à Orléans le panégyrique de la sainte, un évêque anglais s'écriait : « Héroïne d'Orléans... en dégageant la France de la domination du roi d'Angleterre, qui allait subir l'hérésie et ,l'imposer à son peuple, vous avez sauvé la foi de Clovis pour la France et pour les peuples que sa défection eût entraînés. »
« Je suis venue de par Dieu » disait Jeanne. Le miracle d'Orléans, premier chant de son poème, c'est l'affirmation du sens chrétien de l'histoire dans les desseins de Dieu sur l'humanité.

REIMS

Mais si le miracle d'Orléans a étendu ses effets temporels au long des siècles jusqu'à nous, Reims en est, en dehors du temps, la très haute signification. Reims en est la pensée divine illustrant la victoire. On a dit de Jeanne qu'elle était le dernier et le plus prestigieux représentant du moyen âge. Quelle erreur ! Ou, peut-être, quel sophisme, quand, au contraire, il faut la voir tournée vers l'avenir, au commencement et à la fin d'un cycle historique, le nôtre, nous disant que si nous vivons encore de ce qu'elle a sauvé, nous périssons pour ce que nous avons repoussé de son message.
C'est de là que d'abord la sainte vient nous demander raison d'une longue Révolution, commencée en son temps, poursuivie dans l'Eglise par la Réforme, dans l'Etat en 1789, et qui bouleverse la société depuis 1917. En 1429, n'en avait-elle pas refoulé les débordements et banni les doctrines ? La Révolution était alors oligarchique, avec des princes et des nobles; elle était légale quand les grands corps de l'Etat reconnaissaient un roi étranger; elle était intellectuelle, c'est-à-dire idolâtre du mensonge, quand les Universitaires se prétendant les représentants légitimes de la Nation, n'hésitaient ni devant la misère ni devant les massacres pour le succès d'une démagogie dont ils espéraient devenir les régents. Elle était populaire enfin dans les soulèvements dont les dates résonnaient par avance comme des anniversaires. Le 14 Juillet 1418 c'était la révolution cabochienne entrant triomphante à Paris avec Jean Sans Peur le duc démagogue, Isabeau de Bavière la reine dissolue, Cauchon futur évêque. Quels symboles ! Le 14 juillet 1429, préfiguration de la fête de la Fédération du 14 Juillet 1790, c'était une singerie d'union nationale ameutée contre Charles VII et sa « sorcière » où ne manquait même pas le sermon révolutionnaire à Notre-Dame de Paris. Le 14 juillet 1430, ce sera Cauchon, mandaté par l'Université, qui livrera aux Anglais la sainte de la Patrie personnifiant la France livrée à ses ennemis de l'intérieur et de l'extérieur par la Révolution.
Mais elle, elle avait vaincu et fait sacrer le Roi à Reims ! Alors la voici aujourd'hui qui se dresse pour juger l'athéisme d'Etat dont presque toutes les nations subissent l'ébranlement. A notre monde rongé par ses fausses valeurs civiques devenues des dogmes, secoué par ses violences, la voici qui oppose la politique chrétienne, celle que Pie XI appelait la grande poli-tique. Rappelons-nous la scène de Chinon quand on tente de l'égarer sur l'identité du monarque, c'est-à-dire, en somme, sur le légitime détenteur du Pouvoir : « C'est vous et non un autre » dit-elle à Charles VII. Relisons sa lettre où elle dit : « Si Monseigneur de Bourgogne et les autres ne viennent à l'obéissance, le roi les y fera venir ». Et voilà l'autorité pacificatrice, l'autorité unifiante remise à sa place ! Mais la souveraineté humaine n'est ni inconditionnelle, ni illimitée. En ce matin donc du 17 juillet 1429, dans le grand vaisseau de la Cathédrale éclairée des feux du matin, s'est imposée, avec la surnaturelle autorité des voix entendues par Jeanne, la royauté sociale de Notre Seigneur Jésus-Christ sur la nation. La subordination de toute politique à l'égard de Dieu est la seule forme féodale qu'elle ait retenue parce que celle-ci est de tradition chrétienne et universellement vraie. C'est à Chinon en effet, qu'elle demande au Roi de remettre, en la forme du contrat de vassalité, son royaume à Dieu qui le lui rendra en fidèle suzerain, par la victoire qu'elle prophétise. En faisant de Charles le lieutenant du Christ, elle suivait saint Paul en l'épître aux Corinthiens : « Le prince est ministre de Dieu pour le bien ». Ne le lui rappelait-elle pas en lui recommandant d'accueillir avec égale bienveillance les requêtes des riches et des pauvres et d'oublier les sujets réciproques de division ? Ni lutte de classes, ni anarchie partisane, mais autorité, justice et liberté ! Ah ! Nous sommes loin de ce que des papes ont appelé le droit nouveau dont nous faisons notre évangile ! La laïcisation de la souveraineté a introduit parmi nous, sous le masque de l'autorité populaire, les formules césariennes du gouvernement, la substitution du légalisme totalitaire à la légitimité, l'absorption du droit privé dans le droit public, ce qui faisait dire à Lacordaire : « C'est la liberté qui est ancienne et le despotisme qui est nouveau ! ».
Jeanne d'Arc, maîtresse de grande politique, Docteur de l'ordre et de l'unité, en a réalisé le prodige mémorable en 1429. Aujourd'hui, prophétesse de nos destins, elle nous mande que le salut n'est pas dans une confusion synarchique des appétits contraires, mais dans l'affirmation de la foi religieuse et nationale qu'elle a réveillée sous les voûtes de Reims.
Sans elle nous aurions vu, dès le XVe siècle, s'instaurer par la force un ordre international, fondé sur la volonté de puissance et le primat de l'économie, dans un cadre politico-religieux dont le proche avenir aurait exclu le catholicisme et, toutes proportions gardées, comparable au mondialisme vers lequel on nous entraîne aujourd'hui. Une unification du monde, fédérant les gouvernements ou supprimant les patries, peu importe, se prépare sous l'action conjuguée de puissances internationales financières et des machinations des Souverains Inconnus des sectes. Des forces qui n'ont ni foi ni patrie, abusant des aspirations des hommes, travestissent leurs désirs de paix en une Croisade sans la Croix ni le salut éternel. Elles les endoctrinent d'un Credo pacifiste et agressif, fauteur de révolutions, de guerres et de génocides au bout duquel un paradis totalitaire, s'il pouvait venir, présenterait tous les caractères d'une Chrétienté retournée à la merci d'une Contre-Eglise étendant son magistère sur les peuples planifiés. La question est de savoir quel parti prendront les hommes. Dans la diversité des nations, il est possible de voir se mêler le bien et le mal sans qu'on doive en conclure à une universelle hostilité contre Dieu. Mais, sur le plan international ! Au plus haut des instances temporelles de l'humanité, l'hypocrisie, ni la faiblesse ne pourront masquer des projets de théocratie à l'envers et encore moins éluder le choix nécessaire : pour ou contre Dieu. Or, aussi longtemps que dans la chambre de méditation de l'O.N.U. le rai de lumière oblique illuminera la pierre d'or symbolisant le culte solaire du Dieu cosmique, on attestera par là que les institutions internationales sont dressées contre Jésus-Christ.
Ici, ne verrons-nous pas encore Jeanne sortir de son étonnant mystère pour apporter la réponse à nos problèmes, semblables à ceux qu'elle avait résolus ?
Au village, elle n'a appris de la chrétienté médiévale que ce qu'en connaissait le peuple en fait de traditions communes. « La religion, dit Pie XII, y formait avec la vie un tout indissoluble; elle ordonnait toute l'existence humaine et la vie des nations vers Dieu ». C'est cet idéal, hérité des pères, que son génie surnaturel élargit, renforce et assigne au-delà du temps dans les relations internationales. Réaliste inspirée, elle y pose cette grande loi de l'Ordre divin : la diversité, la complémentarité, la solidarité des peuples et qui postule en premier lieu l'existence des nations.
Lorsqu'elle sauve sa patrie c'est d'abord contre un impérialisme violateur de cette loi, usant de l'injustice et de la force pour asservir un peuple. Mais en nous sauvant, elle libère aussi l'Europe parce qu'elle réprouve, sa lettre aux Hussites en fait foi, ce nivellement des valeurs nationales que Pie XII, et après lui Paul VI, tiennent en grand honneur et dont la confusion dans une unique culture soi-disant universelle — dans la collaboration culturelle, dit-on par euphémisme — conduit en réalité tout droit à la seule religion de l'humain. Jeanne n'aurait jamais admis qu'une nation, que des nations, soient condamnées, pour le succès de cette subversion, à se faire hara-kiri sur les autels du dieu humanitaire !
Jeanne d'Arc, modèle du patriotisme pour tous les peuples, n'en est pas moins unitaire. Elle l'est, certes plus, et plus solidement que notre génération. Personne, dans nos pays de civi¬lisation chrétienne, ne nie la réalité de la communauté humaine, fondée sur l'origine et la fin des hommes en Dieu et sur leur adoption dans le Christ. Mais elle en projette, dans les pers¬pectives de l'Histoire, l'expression politique par la Royauté universelle de Jésus-Christ. Six fois au moins elle l'a implicitement ou explicitement proclamée, se disant envoyée par « son droiturier Seigneur » c'est-à-dire celui d'où découlent tous les droits. Mais c'est à Reims, où la « Fille de Dieu » portait son étendard timbré à l'effigie du Christ-Roi, que, résumant tout un passé et témoignant pour l'avenir, elle a signé de sa main, dans sa lettre au duc de Bourgogne, l'immuable vérité : « Le Roi du Ciel est Roi de tout le monde ». Ce jour-là, la sainte de la patrie avait fait de la métropole des Rois de France la chaire associée à celle de Rome pour la proclamation de la Royauté du Christ.
Ce qu'elle apporte donc, ce ne sont pas des institutions d'autrefois. Ce sont essentiellement les principes du gouvernement et de la paix, cette Doctrina Sacra de la cité, cette sagesse dont Reims est le miroir. L'Occident, aujourd'hui, croulera-t-il sous l'assaut des forces liguées contre lui et dont la plus redoutable est son infidélité à Dieu ? Ne verrons-nous pas luire de Reims la lumière du message qu'elle devait, par un autre dessein de la Providence, sceller d'une Passion qui lui donne une plus éclatante actualité ?

ROUEN

« Il faut que tu sois prise », lui répétaient ses Voix sous les murs de Melun.
Paroles étranges, pleines d'une impérieuse signification ! Sa Passion à Rouen n'est pas seulement le témoignage par le martyre de la véracité de sa mission; c'est aussi l'achèvement nécessaire de son œuvre politique. A Orléans, à Reims, par la victoire et l'enseignement célestes, le surnaturel fait irruption dans le cours
de l'histoire. Mais comment illustrer jusqu'à la preuve parfaite la présence de l'Eglise dans ce temporel ? Si, comme le dit Bossuet « Il n'y a point de puissance humaine qui ne serve malgré elle à d'autres desseins que les siens », comment montrer qu'il n'est ni prince, ni état, ni art du gouvernement, ni science juridique, ni valeur économique, ni rien de ce qui est terrestre qui égale le rôle transcendant de l'Eglise pour qui Dieu fait l'histoire et qui, elle, fait l'histoire pour Dieu ? Tel est le sens de la Passion de Jeanne.
« Il faut que tu sois prise » ! Le procès de Rouen, c'est la manifestation de l'Eglise au sommet du drame politique qui secoue l'Occident. On avait eu sous les yeux le spectacle du peuple se jetant, angoissé par le sort de la France, aux sanctuaires de la Vierge; on l'avait vu ensuite, dans l'enthousiasme des actions de grâce, avec sa foi vivante dont aucune ombre ne ternissait l'orthodoxie. Mais en dépit de la fin du Grand Schisme où jusqu'à trois papes régnaient ensemble, grondait dans une partie du Clergé une véritable révolution conjuguée avec les bouleversements politiques et qui mettaient l'Eglise en péril.
Les doctrines hétérodoxes que la fin du moyen âge avait vu proliférer, les théories conciliaires, avivaient les discordes, excitaient les passions. Forte de ses privilèges, supportant avec peine aussi bien l'autorité royale que celle du Saint-Siège, l'Université de Paris — et aussi quelques autres en Allemagne — veut imposer partout ses vues propres. Détenant, pensent-ils, le monopole de la Science, ses théologiens, ses canonistes, entendent mener l'Eglise et répandent les idées de Marsile de Padoue et d'Ockham. En 1407 déferle une vague antiromaine. Précédant en cela certains théologiens de notre temps, l'Université prétend que Rome n'est absolument qu'un diocèse parmi d'autres. Appuyée au parti anglo-bourguignon, elle tente, au prix de mille contradictions, de sceller les restes d'une chrétienté qui a perdu sa superstructure spirituelle, avec le ciment de son démocratisme, de son internationalisme et sous la suprématie conciliaire, pour en faire un bloc soumis à sa dictature intellectuelle. C'est en quelque sorte le découronnement et le rapt du monde chrétien. Au Concile de Constance, qui s'ouvre en 1413, on vote par nation comme pour y préfigurer l'existence et les droits d'Églises nationales. Deux thèses y sont débattues, l'une transportant l'autorité dans l'Eglise à l'Assemblée des évêques et prélats, c'est la thèse épiscopale, l'autre la faisant résider dans l'ensemble des laïcs et du clergé, c'est la thèse de la démocratie. On fait enfin passer deux Canons décrétant la subordination du Pape au Concile.

Mais le bûcher de Rouen fume encore que s'ouvre le Concile de Bâle en 1431. Au cours de ce dernier, qui va durer seize ans, on mesurera les progrès accomplis dans l'art de révolutionner l'Eglise de Jésus-Christ par une poignée de conspirateurs qu'une fatalité, maintenant séculaire, semble toujours devoir tirer des rives de la Seine et des bords du Rhin. Le futur Pape Pie II se souviendra de l'ambiance dans laquelle il se trouva pris dès la sixième session : « Pour nous, dit-il, qui étions jeune, qui sortions tout récemment de notre patrie, qui n'avions rien vu, nous prenions pour des vérités tout ce qui se disait et nous ne pouvions aimer le pape Eugène en voyant que tant de personnes illustres le jugeaient indigne du pontificat. E y avait là les députés de la célèbre école de Paris, les docteurs de Cologne et des autres Universités d'Allemagne et tous, d'un commun accord, exaltaient l'autorité du Concile général ».
Les factieux ne se gênent plus dès lors pour exécuter leurs desseins. Es adoptent à nouveau les Canons inadmissibles et rejetés du Concile de Constance, sur la ministérialité du Pape, en les aggravant d'actes spectaculaires de rébellion qui se poursuivent en chaîne jusqu'à la fin. Ils reprennent, pour en avoir apprécié l'efficience révolutionnaire, la procédure de vote par nation. Le 14 février 1432, quatorze évêques, prélats et abbés suivis, ou plutôt précédés, par leurs docteurs, curés et gyrovagues, se déclarent œcuméniques, invitent de leur propre chef, pour dialoguer, les hussites, précédemment condamnés par leurs prédécesseurs et par le Pape, mais multiplient les difficultés aux églises grecques dont la réunion à l'Eglise romaine est envisagée. Car c'est par Bâle et non par Rome que tout doit passer, tout doit rouler au torrent révolutionnaire : le culte, les indulgences, l'administration ecclésiastique, les pouvoirs des légats pontificaux. Un sceau du Concile, authentiquant leurs actes, est fabriqué tout exprès pour remplacer Celui du Pêcheur. Et que le Pape ne s'enhardisse pas dans sa résistance car les foudres de l'Eglise bâloise, aux éclairs de ses théologiens de Paris, Cologne et autres lieux, s'abattront sur lui ! Eugène IV, affaibli par la maladie, bloqué dans Rome par des princes hostiles, cherchant à éviter le pire, essaie de composer avec les rebelles mais non pas avec la révolution. Charles VII et l'Empereur les invitent au calme. Mais eux s'insurgent plus violemment encore. Comment ? C'est eux l'Eglise ! Le Saint-Esprit qui les assemble, osent-ils affirmer, n'est pas un esprit de schisme. Eux, eux seuls, doivent extirper le schisme qui n'est pas à Bâle mais à Rome ! Et ils le font bien voir. A la trente-huitième session, ils décrètent la déposition du Pape et à sa place élisent, dans une salle de bal transformée en Conclave, un laïc, Amédée VI de Savoie, tiré de son château de Ripaille dont le nom deviendra plus commun que celui de Félix V avec lequel il inaugure son règne de carnaval.
Ainsi finit le Concile de Bâle. S'il est vrai que Jeanne a préservé de l'hérésie la plus grande partie de l'Europe, cet effet à long terme ne doit pas nous cacher la plus immédiate conséquence de sa mission. Le Roi qu'elle avait fait Charles VII, récusa le faux pape et obtint sa démission; il brisa l'orgueil de l'Université en la soumettant à la juridiction commune du Parle¬ment et fit proclamer au vrai Concile, celui de Ferrare-Florence, la fidélité du Roi de France au vrai « pape de Rome ». Si la France eut succombé, que fut-il advenu alors de l'Eglise ? Léon XIII avait donc de sérieuses raisons d'affirmer que Dieu avait choisi Jeanne « pour revendiquer la liberté et la gloire de la religion dont les intérêts étaient menacés ».
Elle avait ainsi remporté sa dernière victoire mais cette fois sur les hommes de Bâle. Plus encore ! Dieu l'a même affrontée à ces hommes qui ont osé se faire ses juges. Et c'est elle qui les a jugés. Il y avait à Rouen les Beaupère, les Midy, les Courcelles, les Erard, tous experts en révolutions et membres du fameux Concile appelé par Eugène IV le « brigandage de Bâle », sous la conduite d'un évêque qui, de longue date, s'était fait la main dans les émeutes et les trahisons : Pierre Cauchon évêque de Beauvais. Ne fallait-il pas ce procès et ces juges pour faire jaillir du cœur de la sainte l'ardente riposte qui fit l'admiration des théologiens de sa réhabilitation et qui résonne encore à travers les siècles comme une grande leçon d'ecclésiologie déterminante de toute politique chrétienne ?
Le centre et le point d'appui de sa vision de l'Eglise dans le monde c'est l'Humanité du Christ. Oh ! Non pas un christ éthéré, mettant dos à dos, comme le fait le modernisme, celui de l'histoire et celui de la foi et que l'on fait sortir aujourd'hui du messianisme humanitaire' ! Mais, comme elle le dit elle-même, la « Personne propre » de Dieu fait Homme. Une vie unitive, dont nous ne pouvons mesurer la grâce ni l'intensité, la pousse à cette réponse pleine de charme et de vérité « Je ne m'en rapporterai à homme du monde, excepté Notre Seigneur ». Cette présence humaine invisible, elle la sent près d'elle, au centre de toutes les perspectives d'ici-bas, nouant les rapports sociaux de l'Incarnation en une société qui n'est autre que le Corps Mystique tirant son unité, son gouvernement monarchique, son indivisibilité de la Personne de Jésus-Christ. « M'est avis, leur dit-elle, que de Notre Seigneur et de l'Eglise c'est Tout un. Pourquoi en fait-on difficulté ? »
Et c'est par là qu'elle les tient. Leur distinction de l'Eglise Triomphante et de l'Eglise militante n'est pas seulement un piège tendu à la pureté de sa foi : ces ecclésiastiques, dont la clergie s'ébroue dans les perspectives d'une nouvelle Europe, édifiée sur notre ruine avec une nouvelle Eglise dont le Pape ne serait plus que le premier ministre, poursuivent à Rouen l'idée fixe de leur système politico-religieux. Leur Eglise militante d'ici-bas, les juges de la réhabilitation l'ont remarqué, c'est eux-mêmes, leur « conventicule », leur conjuration. Mais lorsque par une frauduleuse équivoque, ils lui enjoignent d'obéir à l'Eglise militante, d'un seul coup elle les évince en leur jetant à la face : « Oui, Notre Seigneur premier servi ! » Pas eux !
Cette parole, dont on fait sans cesse une pieuse sucrerie, c'est à des clercs, seulement à des clercs, qu'elle l'a trois fois répétée. A ces gourmands d'hérésie, fabriquant leur démocratique pâture, camouflant leurs chambardements sacrés derrière le voile d'un faux zèle, accusant de schisme sa fidélité, Jeanne oppose résolument le surnaturel qui les gêne. Alors, quand, sacralisant leur science ces « clercs en se connaissant » comme ils se disent, en viennent, à ce titre, à la sommer de renier ses Voix, elle qui n'a jamais abjuré, les renvoie brutalement à leur rationalisme par une réponse d'une étonnante exactitude théologique, confondant leur orgueil, projetant la lumière sur leur propre rébellion mais abritant la liberté du chrétien derrière la seule autorité de l'Eglise et elle leur dit : « Elles ne me commandent pas de désobéir à l'Eglise. Notre Seigneur premier servi ! ».
Servir en premier Notre Seigneur à travers son vicaire ici-bas, c'est précisément ce qu'ils refusent et ce qui les sépare de l'Eglise. Le grand inquisiteur Bréhal a souligné, dans son mémoire récapitulatif, leur mépris du Siège Apostolique allant, dit-il, jusqu'à l'attentat contre l'Eglise romaine et jusqu'à l'hérésie. Ils exigent, commandent l'obéissance, mais à leur Eglise soi-disant hiérarchique, sans le Pape, et cela sous peine de mort. Voyons-les ces despotes, au cimetière de Saint-Ouen, juchés sur leur estrade. A côté, la charrette chargée de fagots et le bourreau, torche au poing. Es font à Jeanne, disent-ils, une exhortation caritative — le joli mot pour des tortionnaires ! — Mais, quand elle fait appel au Saint-Siège, ils écartent le Pape d'un revers de main : il est trop loin. Heureuse violation du droit, allions-nous dire, qui nous a permis d'entendre ces fières ripostes : « Je tiens que nous devons obéir au Pape qui est à Rome ... Je crois au Seigneur Pape de Rome auquel et à Dieu premier servi je m'en remets ».
C'est la troisième et dernière fois. A un tel tournant de l'histoire, ce procès politique ne pouvait que remettre l'Eglise en cause. Elle a relevé le défi. Son épopée toute entière a le prestige d'une croisade donnant à la rébellion contre Pierre une immortelle leçon de fidélité, à la sainte et à la France la gloire d'avoir associé l'honneur de la patrie à celui du Siège Apostolique. Elle nous a fait découvrir la route des nations à la lumière de l'Eglise dans l'universelle mouvance du Christ. Désormais l'œuvre est achevée dans l'ultime sacrifice. En vain en a-t-elle appelé au Pontife suprême : « Menez-moi devant le Pape ! » Son cri a été étouffé par les hommes-, elle n'aura plus de conversation qu'avec le Christ dont le nom est le dernier mot de sa vie terrestre.
Mais ce cri, elle l'a poussé tout au long de son calvaire. Tout autant que l'imminence du bûcher, son martyre est le piétinement, le viol abject de sa conscience et du vrai. Quand ces clercs lui donnent le spectacle d'une Eglise qui chancelle, ruinent sa patrie, salissent son Roi et sa mission, alors, image elle-même d'une chrétienté désolée, elle lève son regard au sommet de cette Eglise où elle sait que la vérité demeure pour toujours; vers cette vérité qui fera resplendir la magnanimité de son drame; vérité justicière et justifiante, salvatrice de son honneur et rémunératrice de sa Foi. Oui, voilà l'unique, vers qui, dans son insondable détresse, elle se tourne. L'unique, c'est-à-dire le recours dont on ne fait plus appel, la justice et la fidélité apportant plus que l'espérance, apportant sur leurs ailes les certitudes repoussées par les hommes : Videre Petrum. Voir Pierre.

LA GRANDE SAINTE POLITIQUE POUR
LE TEMPS DES NATIONS

Le Pape l'a réhabilitée, le pape l'a béatifiée; le pape l'a mise sur les autels.
Jeanne, canonisée par Benoît XV, n'appartient plus seulement à la France. Le monde, frappé des dimensions de son drame, s'est emparé d'elle comme d'un être supérieur à l'humanité commune, laissant derrière elle une telle traînée de lumière qu'elle vit encore au milieu de nous dans son œuvre qui saisit notre présent comme elle-même avait pris possession de son siècle. Quand s'ouvraient les temps modernes, avoir réparé les désastres de la guerre de Cent ans et les désordres dans l'Eglise, sauvé la pensée catholique et latine, porté secours à Rome, dressé un rempart contre Luther, avoir incarné pour toujours nos valeurs les plus hautes et les plus représentatives, avoir maintenu l'Europe, cependant infidèle à son message, avec ses nations et leur génie propre, n'est-ce pas être présente à notre temps ? N'est-ce pas nous convaincre que sans elle nous ne serions pas ce que nous sommes et que l'histoire, vidée de son contenu divin, n'a plus de sens ?
Mais il y a plus encore dans son fait. Se peut-il qu'après sa victoire, un si long procès comme fut le sien, sa constance, le nombre et la pertinence de ses réponses, ne demeurent pas, par la grâce d'en haut, l'attestation d'un prophète envoyé par Dieu ?
Le mystère de la Pucelle, que d'aucuns se sont appliqués à découvrir, est tout autant que le mystère de France, un mystère de l'Eglise qui se dévoile sans cesse avec plus de clarté. Pour¬quoi donc a-t-il fallu cinq siècles d'attente avant que sa lumière s'étendit à nouveau sur nos jours et sur nos pays ?
C'est qu'après la permanence de l'acte, voici, plus belle encore, la continuité de la grâce et du dessein de Dieu. Au moment précis où tout était perdu, il l'envoya vers nous. A nouveau maintenant, où tout encore, soumis à une subversion qui développe ses effets depuis environ soixante-dix ans, en arrive à l'extrême péril, Jeanne reparaît; mais cette fois elle reparaît sur les autels. Rappelons-nous les années terminales du siècle dernier : le laïcisme d'État, plus belliqueux que jamais, les guerres sociales prenant leur essor avec le communisme, un nouveau statut international ignorant définitivement Rome, conduisant à des guerres d'enfer et convoyant avec lui la perspective totalitaire d'un mondialisme sans Dieu, tandis que, sous l'influence des sectes, nous assistions au réveil d'anciennes erreurs, dont nous n'avons fait qu'approfondir la malice, sous les noms de modernisme et de progressisme. Alors, en face du danger, elle réalise la parole du cardinal Parrochi : « Un jour viendra où elle entrera casquée et cuirassée sous le porche « de Saint Pierre » de Rome. Et la voici qui surgit à nouveau, fleur mystique et vierge guerrière, pour nous dire : « L'Eglise je l'aime et je voudrais la soutenir de tout mon pouvoir pour la Foi chrétienne ».

Un évêque américain, Mgr Wright, disait l'an dernier à Orléans : « S'il est vrai que l'Eglise a justifié Jeanne d'Arc, il ne l'est pas moins que Jeanne d'Arc, en quelque sorte, a justifié l'Eglise ». Elle nous en montre en effet la majesté sainte et le rôle parmi les peuples, l'indispensable influence dans la vie de la cité. Mais elle nous rappelle surtout, avec la plus grande fermeté, qu'aucune activité civiquement chrétienne ne peut naître sans respect de la doctrine authentiquement catholique de cette Eglise dont elle a dit l'union réelle avec Jésus-Christ, l'efficace fréquentation de ses sacrements où elle entraînait les autres à sa suite, de l'Eucharistie surtout qui, jour après jour, donnait splendeur et force à sa vocation, la transcendance sociale du message évangélique sans confusion avec les philosophies du moment ni les principes révolutionnaires. Elle n'en confesse pas seulement la constitution divinement établie, mais aussi sa structure humaine qui lui inspire la vénération et le sens du sacerdoce lorsque, devant ces clercs ligués ensemble pour l'édification de leur nouvelle Eglise, elle déclare : « Je crois bien que Notre Seigneur le Pape de Rome, les évêques et les autres gens d'Église sont pour garder la foi chrétienne et punir ceux qui y défaillent ».
Sous les papes d'Avignon, sainte Catherine de Sienne, aux prises avec les républiques italiennes en révolte contre Rome et en guerre entre elles, voulait instaurer une politique chrétienne au-dessus des politiques de nationalités. Jeanne d'Arc, elle, peut-être plus proche en cela de nos problèmes, intègre toute politique nationale dans l'unité chrétienne. La rencontre de ces deux héroïsmes surnaturels et si humains, à un croisement des chemins de l'histoire telle que fut leur époque, ne peut nous laisser incertains de l'action divine sur les événements ni de l'ordre que Dieu entend imposer aux nations.
Et c'est là la mission propre de la Pucelle. Héraut du Christ-Roi, dont elle proclame le règne devant les peuples et les factions, elle professe les principes de la Cité temporelle que l’Eglise a toujours enseignés. Elle n'innove rien; elle parle peu, mais à sa manière directe, elle agit; son action tranche et affirme. Rien d'extraordinaire, à la vérité, dans sa théologie du Pouvoir. Mais voici ce qui la caractérise, ce par quoi elle nous force aujourd'hui à reconnaître l'actualité de sa mission. C'est la frappante ressemblance de notre situation présente, avec ce qui advint, durant sa sa vie terrestre, quand elle réalisa le prodige d'une politique de restauration nationale suivie d'une Passion : l'Eglise comme cause et fin de cette restauration. Pour nous convaincre, elle nous livre toute sa vie, toute son épopée sainte en héritage et en précepte. Et toutes deux forment un tout que nous ne saurions récuser sans mourir. Le même héroïsme, la même sainteté, le même mouvement, unissent Orléans, Reims et le bûcher de Rouen. A considérer dans son unité tout le cours de cette exceptionnelle destinée où les gloires et les douleurs terrestres viennent ensemble donner un message politique de Vérité, de Justice et d'Amour, ne nous semble-t-il pas voir passer sous nos yeux, sur notre aire géographique d'aujourd'hui, à travers notre chaos de maintenant, une vision de l'Eglise universellement présente à notre temps comme au sien, une véritable ecclésiophanie sur le fond sonore du discours de Pie XII : « Tu purifies et consacres les codes de la sagesse juridique des prêteurs et des Césars. Tu es mère d'une justice plus haute et plus humaine, qui t'honore, qui honore le lieu où tu sièges et ceux qui t'écoutent. Tu es un phare de civilisation, et l'Europe civilisée et le monde te doivent ce qu'il y a de plus sacré et de plus saint, de plus sage et de plus honnête chez tous les peuples, ce qui les exalte et fait la beauté de leur histoire. Tu es mère de la charité dans cette paix qui rend les peuples frères et fait de tous les hommes, quels que soient les cieux qui les abritent, la langue ou les coutumes qui les distinguent, une seule famille, et du monde une patrie commune ».
Elle n'a pu voir de ses yeux de chair tout le retentissement de sa mission. Mais, enchaînée à l'entache du vieux marché, dévorée par les flammes, elle savait, elle disait que ses voix ne l'avaient pas trompée. Et voici qu'au-delà des variations dans le temps, des diversités dans l'espace, son mémorial nous étreint de son immortelle vérité ! Si en effet nous imaginions qu'au dernier jour, lorsque Dieu rassemblera les peuples, il jugera aussi les nations chrétiennes en tant que telles sur les responsabilités de leur politique, ne verrions-nous pas la sainte auprès du trône, comme le modèle que celles-ci devaient imiter, comme le guide qu'il leur fallait suivre, tandis que retentirait la parole du prophète : « Je l'ai donnée en témoignage auprès du peuple » ?

Dieu a fait d'elle la grande sainte politique pour « le temps des nations ». Voici donc que maintenant, Ange des temps nouveaux, elle vient nous apporter la certitude du sens chrétien de l'histoire et que l'instrument décisif de la sanctification des hommes et des peuples ne peut être que cette seule Eglise, glorifiée par ses victoires et sa passion, cette Eglise romaine mère et tutrice d'une ethnarchie chrétienne dans un monde rénové, appelant de ses désirs le règne de ce « Roi-Jésus » dont elle a dit que de Lui et de l'Eglise c'est tout un.
Cette présence, en douterons-nous, si nous consentons à croire au surnaturel pour changer avec elle, comme elle le fit en son temps, le cours malheureux d'une histoire dont nous portons le poids ? Deux grands papes et un grand soldat, eux, la sentaient, la voyaient, messagère de l'espérance, penchée sur nos besoins.
Saint Pie X, après l'avoir béatifiée, affirmait sa certitude d'un renouveau, auquel il mettait la condition de garder comme un trésor les testaments de saint Rémy, Charlemagne et saint Louis, résumés par ces mots de l'héroïne d'Orléans : « Vive le Christ qui est Roi des Francs ». La Sainte nous a dit elle-même que ce testament royal est aussi le trésor de chaque nation.
C'est ensuite le grand soldat qui, tant de fois au cours de sa longue existence, fut mêlé, sur les champs de bataille, aux désastreux conflits de l'Occident et qui, lui aussi, sauva l'Europe en repoussant le bolchévisme au-dedans de ses frontières : Weygand ! Weygand, dont la modestie n'était qu'un faible signe de sa haute noblesse d'âme et de sa piété profonde, garda toujours au fond du cœur le culte et l'idéal de la sainte de la Patrie et je l'entends encore me dire : « Je crois à la présence nécessaire de Jeanne d'Arc. Elle a cheminé onze jours sans bruit jusqu'à Chinon pour apporter le salut; elle chemine encore maintenant à l'insu de tous mais un jour viendra où, par la force des choses, nous invoquerons sa présence parmi nous ».
C'est enfin Pie XII, que l'assurance de ce renouveau chrétien ne quitta jamais, nous invitant à mettre notre espoir, nos efforts pour un réveil certain sous la protection de la sainte : « S'il peut sembler un moment, disait-il, que triomphe l'iniquité, le mensonge et la corruption, il vous suffira de faire silence quelques instants et de lever les yeux au ciel pour imaginer les légions de Jeanne d'Arc qui reviennent, bannières déployées, pour sauver la Patrie et sauver la Foi. »

Pierre VIRION
In Actes du Congrès de Lausanne IV 5, 6,7 avril 1968

     

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 JEANNE D'ARC DANS LE SENS DE L'HISTOIRE par Diafoirus  (2012-05-31 10:07:13)


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