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Face à la christianophobie : entretien avec Michel De Jaeghere
par Michel Jacques 2011-11-11 17:21:19
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Extrait de la revue n°119 de Renaissance Catholique

Q : Depuis la parution de votre Enquête sur la christianophobie (*) en 2005, quel constat global portez-vous sur ce phénomène ? Enrayage ou recrudescence ?

Michel De Jaeghere : La christianophobie qui se développe dans le monde occidental n’est pas à mes yeux un phénomène accidentel, mais la conséquence de l’incompatibilité profonde des «valeurs» dont se réclame la société moderne (pour faire simple, celles de l’hédonisme libéral, de l’individualisme outrancier, tel qu’il a triomphé en Mai 68) avec le christianisme. Il n’y a donc pas de raison pour que le phénomène s’atténue ou qu’il disparaisse. Il se manifeste par vagues, ou par bouffées, qui nous paraissent d’autant plus violentes que nous sommes, nous aussi, victimes de l’amnésie qu’impose la société du spectacle. Chaque nouvelle provocation nous paraît sans exemple. Elle n’est que la reprise plus ou moins outrée des précédentes. La loi du genre impose seulement à ses auteurs d’aller toujours un peu plus loin.

Q : L’affaire Castellucci est-elle une «chance» pour la prise de parole catholique sur la place publique ?

Michel De Jaeghere : Je pense qu’un sacrilège n’est jamais une chance, parce que c’est d’abord une offense faite à Dieu. On a tout dit et son contraire sur cette affaire et j’ai scrupule à ajouter un point de vue de plus. Il me semble qu’on aurait pu s’en tenir à quelques données simples. En vertu du deuxième commandement, de la piété filiale, de la simple pudeur, rien, aucun projet artistique ou compassionnel, aucune œuvre, aucune intention ne justifie qu’on recouvre le visage du Christ d’excréments. Le Catéchisme de l’Eglise catholique enseigne (§ 1756) que le blasphème fait partie de ces péchés graves qui ne sont pas atténués par l’intention qui les sous-tend. Cela a donc été, selon moi, une erreur de tenter de se pencher sur les intentions du metteur en scène pour savoir s’il avait voulu présenter une métaphore de la misère de la condition humaine, une œuvre d’art poignante, ou seulement s’assurer une réputation de martyr en prenant de front la seule minorité qu’on peut offenser en France sans risquer de condamnation pénale ni d’attentat à la bombe.
Je sais qu’il s’est trouvé des chrétiens, des prêtres, des évêques, dont certains sont probablement de bonne foi, pour plaider la liberté de la création, ou prétendre que la pièce n’était pas blasphématoire parce qu’elle ne visait qu’à mettre en scène un désespoir dostoïevskien. Je crois que l’art n’est pas au-dessus de tout, qu’il ne donne pas à l’artiste tous les droits. Castellucci n’insulte pas, en l’espèce les chrétiens, ce qui serait supportable : il avilit, par le recours à une image saisissant, qui ne peut que marquer profondément l’esprit de ses spectateurs, l’image même du Sauveur du genre humain. Aucune loi humaine ne peut justifier cela. Celles qui prétendent le faire ne sont, selon les termes utilisés dans un autre contexte par Jean-Paul II, que des «apparences de loi» (Evangelium vitæ), auxquelles nous n’avons pas à nous sentir liés. J’ajoute que je refuse personnellement de considérer comme une œuvre d’art une pièce où l’on répand sur scène le contenu d’un pot de chambre. L’art n’est pas la reproduction ou la caricature de la trivialité du réel, mais une tentative d’atteindre au vrai par l’ellipse et par la beauté. La pièce ignore visiblement l’une et l’autre. Sans le blasphème, elle serait seulement dérisoire.

Q : Le témoignage de division des catholiques sur la question n’est-il pas pire que la christianophobie en elle-même ?

Michel De Jaeghere : Il est toujours dommage que nous soyons divisés. Cela risque de durer jusqu’à la fin des temps et il faut se résigner à nos désaccords, en tentant seulement de les exprimer charitablement. Je crois que l’un de nos torts est de céder à un réflexe néo-kantien : de vouloir à tout prix que sur tous les sujets, il y ait une réponse unique –bien entendu, la nôtre– et de faire d’elle une loi générale et universelle.
La foi catholique n’est pas une idéologie, un moule qui nous rendrait uniformes. Il est donc normal que nous puissions avoir, sur des questions qui ne relèvent pas de la foi, des points de vue divergents. La moindre des choses, en l’espèce, serait cependant que ceux qui ne sont pas d’accord avec les chrétiens qui ont manifesté contre la pièce s’abstiennent de les désavouer publiquement au moment où ils sont appelés à répondre de leurs actes devant les tribunaux.

Q : Que pensez vous de la réaction des évêques de France ?

Michel De Jaeghere : Je crois qu’une dizaine d’entre eux ont manifesté leur soutien aux manifestants, s’affranchissant ainsi de l’emprise étouffante de la collégialité qui les conduit d’ordinaire à ne rien faire. C’est un signal très positif, le signe d’un renouveau dans l’Eglise de France autour de personnalités comme Mgr Rey, Mgr Centène ou Mgr Aillet. Le président de la conférence épiscopale, le cardinal Vingt-Trois, s’est au contraire distingué par la violence de sa condamnation… des chrétiens protestataires. Je ne crois pas que ce soit forcément le rôle des évêques, d’aller eux-mêmes dans la rue (sans doute y seraient-ils bienvenus, mais bien d’autres mode d’action leur sont ouverts). Ce n’est pas non plus leur rôle de témoigner plus d’hostilité à ceux qui manifestent qu’aux auteurs du sacrilège.

Q : Quelle réponse vous semble la plus juste ?

Michel De Jaeghere : J’avais noté, il y a six ans dans mon livre que ce genre de provocations nous plaçait dans une position intenable. Soit nous protestons, et nous jouons notre partie dans le spectacle (celle des ennemis de la liberté, des adversaires de la création artistique, des talibans chrétiens), sans parvenir pour autant à faire cesser le scandale. Nous assurons sa publicité gratuite, et permettons à des organisateurs qui savent, au fond d’eux, qu’avec nous, ils ne risquent rien (un jet d’œuf n’est pas une bombe), de s’attribuer à peu de frais la médaille de la résistance. Pour peu que se produise ici ou là un dérapage, il sera facile de dénoncer la violence des «fondamentalistes chrétiens» et de pratiquer un amalgame qui fera d’eux la variante catholique de l’islamisme. Soit nous restons les bras croisés et nous consentons, au moins implicitement, à ce que ce qu’il y a de plus sacré soit profané sans susciter en nous de réaction. Nous encourageons, par là, les provocateurs à aller encore un peu plus loin. Sans doute doit-on se garder de jouer les victimes, les martyrs, quand c’est le Christ, et non pas nous qui sommes insultés ; doit-on veiller à ne pas se réjouir avec une joie amère de l’insulte qui lui est faite, parce qu’elle nous donne l’occasion de pourfendre nos adversaires. Mais on doit veiller aussi à ne pas accepter l’inacceptable parce qu’on a peur de la marginalisation, qu’on tient plus que tout à sa réputation d’ouverture d’esprit, de sens du dialogue, d’intelligence, ou qu’on attend d’avoir trouvé la martingale, la réaction “idéale” avant de s’autoriser à faire connaître son dissentiment. «Là où il y a homme, il y a hommerie» : il est donc illusoire d’imaginer qu’il existe, en la matière, une réponse qui soit à la fois parfaitement évangélique et absolument efficace, qui retournera nos adversaires et attirera sur nous une sympathie unanime. Il me semble que la récitation publique et pacifique du chapelet devant (et parfois dans) la salle de spectacle a été un beau témoignage, qui a vivifié, chez ceux qui y ont participé, la conscience du fait qu’être chrétien, dans le monde contemporain, vous condamnait à être à part et à subir cette «petite voie» de la persécution que représentent l’insulte, la diffamation, les poursuites judiciaires. Qu’elle a pu constituer, pour les organisateurs du spectacle, une gêne susceptible de les engager à y regarder à deux fois avant de rééditer l’expérience. Elle n’est pas, pour autant la seule solution. On peut préférer participer à la réparation du sacrilège par la prière ou par le jeûne. Ou encore, comme cela se fait à Rennes, par l’organisation d’une soirée de méditation chrétienne sur le visage du Christ. Il est évident qu’il faut éviter la violence mais je ne crois pas qu’il y ait, en dépit des caricatures médiatiques, de grands risques de ce côté-là. Face à la fréquence des agressions dont font l’objet le Christ et le christianisme, face aussi à nos divisions, le vrai risque est celui de notre découragement et de notre résignation. «De ma bouche, dit l’Eternel, je vomirai les tièdes» (Apocalypse, 3, 14-16).
Propos recueillis par Yves Amossé

(*) Enquête sur la christianophobie, Michel De Jaeghere, Ed. Renaissance Catholique, nouvelle édition revue et augmentée ISBN 9782952329545, 229 pages, 15 e (19 e franco de port, en France)

     

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