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Nous n’avons plus qu’un choix, la guerre ou la sainteté
par Jean Kinzler 2015-11-24 21:37:24
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Installé depuis trois ans au Caire (Egypte), ce jeune dominicain de 33 ans, engagé dans le dialogue islamo-chrétien, défend une espérance ancrée dans le temps présent.
Pèlerin. Plus d’une centaine de morts à Paris vendredi dernier. Face à cette barbarie, tenter de parler d’espérance, n’est-ce pas une provocation ?
Adrien
© Ictus Voyages
Adrien Candiard (photo). S’il s’agit de dire « ce n’est pas grave, ça va s’arranger », ce n’est pas de l’espérance, mais de la naïveté ou de la bêtise.

L’espérance chrétienne, ce n’est pas de penser que « tout va aller de mieux en mieux parce que le Christ nous a sauvés. »

Ni attendre la fin des temps pour que le Juge suprême nous venge de tout le mal qui nous est fait. C’est vivre dès maintenant pour l’éternité. Autrement dit, ordonner nos priorités en fonction du poids d’éternité de chacune de nos actions.

Et ce qui est éternel, ce ne sont pas les bombes, les fusillades, c’est l’amour que l’on peut construire. Face à la violence pure, est-ce qu’on peut encore aimer ?

On dit toujours que « la Croix sauve le monde », mais par lui-même, cet instrument de torture ne sauve rien. Ce qui sauve le monde, c’est ce qu’a fait le Christ sur la Croix  : continuer à aimer, malgré la Croix. Toutes les croix que l’on dresse aujourd’hui sur notre monde peuvent être, si nous savons les vivre comme lui, des occasions de salut.

Donc le salut, ça commence aujourd’hui  ?
A. C. Le salut se joue toujours aujourd’hui, pas dans un passé fantasmé ni dans un avenir idéalisé. Aujourd’hui est un temps de détresse ? Alors, c’est aussi un temps pour l’espérance.

Notre défi propre, dans l’histoire du salut, est de vivre cette espérance face à la violence, souvent accomplie au nom de Dieu. Avec des questions très concrètes : malgré la barbarie, comment continuer à aimer mes frères, les victimes comme leurs bourreaux ?

Aimer son prochain, certes. D’ici à tendre la joue gauche…

A. C. Je crois que s’il y a une chose à abandonner d’urgence, c’est le réflexe de répondre à l’agresseur sur son terrain. Le problème de la guerre, c’est que les adversaires finissent toujours par se ressembler comme deux gouttes d’eau. Avons-nous envie de ressembler à Daech ?

Il existe une musique qu’on entend beaucoup en Europe, et que l’on va entendre à nouveau : « Il faut réaffirmer les valeurs chrétiennes face à l’islam », voire « contre l’islam ». Mais si ces valeurs sont « face à » ou « contre » quelqu’un, il y a grand risque qu’elles ne soient plus chrétiennes !

Je comprends qu’on puisse éprouver un sentiment d’angoisse, et imaginer faire du christianisme un ferment identitaire pour l’Europe. Mais ce n’est pas la foi chrétienne. Cela ne peut pas l’être.

On vous rétorquera : « La charité chrétienne ne tient plus face à des actes de guerre. »
A. C. Daech est un ennemi incontestablement inquiétant. Mais le jour où l’on aura construit un christianisme belliqueux qui refusera l’accueil du musulman, du réfugié, du pauvre, on aura rejoint Daech sur son terrain et on aura tout perdu.

Sans doute que les terroristes sont des ennemis. Mais comme chrétiens, nous n’avons pas d’ennemis. Nous ne pouvons pas en avoir.

Si l’on vous suit jusqu’au bout, l’enjeu pour un chrétien, ce serait : « Dans quelle mesure suis-je capable d’aimer ces assassins ? »
A. C. Oui. C’est le commandement du Christ : « Aimez vos ennemis, priez pour ceux qui vous persécutent. » Ce n’est pas de la naïveté. Celui qui le pense est quelqu’un qui n’a jamais vraiment essayé.

Il serait absurde d’envoyer des bouquets de fleurs aux terroristes. Il ne s’agit pas non plus de s’en faire des amis ni de leur chercher des excuses sociales, coloniales… Dire : « C’est de notre faute, de la faute de la guerre en Irak… » serait d’une naïveté indécente. Nier le mal, c’est s’en rendre complice, ça n’a rien de chrétien. Mais on peut chercher à le dépasser.

Dans votre pièce Pierre et Mohamed, vous mettiez en scène les paroles de paix de Mgr Pierre Claverie, évêque d’Oran, assassiné en 1996. Lui aussi voulait dépasser le mal…
A. C. Dans les circonstances extrêmes, il y a une purification de la charité. Tout un tas d’excuses et de demi-mesures tombent. Il ne reste plus qu’un choix, entre la guerre et la sainteté. Entre la guerre et ce choix radical de la refuser.

Cela vaut pour nous aujourd’hui. Au Caire, on me demande souvent : « Vous croyez vraiment que c’est possible de se parler, entre chrétiens et musulmans ? »  La question, ce n’est pas : « Est-ce que c’est possible ? » mais « Comment rendre cela possible ? »

Oui, ça l’est, parce que je connais des musulmans dont la profondeur spirituelle, la bonté, la sincérité, donnent énormément d’espérance. C’est possible, car je sais bien que l’islam a des milliers de visages différents – des centaines de millions, d’ailleurs –, et qu’on ne peut pas le réduire aux attaques terroristes.

On ne peut plus différer ce dialogue ?
A. C. Nous n’avons pas le choix. Soit on essaie de se parler, soit on s’entretue. Ce que Daech cherche actuellement à faire en Europe, c’est de rendre la double appartenance – être européen et musulman – impossible.

Que les Européens non musulmans rejettent vigoureusement les musulmans, et que les musulmans en retour deviennent une armée de réserve du terrorisme. Si nous n’apprenons pas à nous parler, y compris de religion, et pas seulement de religion, cette stratégie marchera ! Il ne s’agit plus d’organiser des discussions en chambre, c’est notre humanité qui est en jeu.

Concrètement, quelle peut être la contribution des chrétiens ?
La première responsabilité revient à l’Église de France, en tant qu’institution. Elle doit continuer à refuser tout compagnonnage qui associerait la foi chrétienne à une entreprise identitaire.

S’opposer à Daech, c’est refuser en toute chose de lui ressembler. Ensuite, pour le chrétien lui-même, je pense que la véritable résistance à ce stade du terrorisme, c’est de redoubler, vraiment, de charité.

Si nos communautés ne sont pas des communautés d’amour, nous serons balayés. Et cela se joue aussi dans la vie de famille, pas seulement dans les engagements exceptionnels.

Au quotidien, qu’est-ce qu’on fait pour ne pas se laisser submerger par la violence ? L’espérance est, dit-on, une vertu « théologale ». Cela signifie qu’elle nous donne un accès direct à Dieu.

Et cet accès passe par mes actes, qui ont un sens. Et un sens extrêmement fort. Ce que je vis dans la vie de tous les jours n’est pas seulement important dans mon histoire, ni même seulement important pour l’histoire de l’humanité, c’est important pour l’histoire du salut.

C’est le salut voulu par Dieu qui est en jeu quand j’ai une altercation avec un autre automobiliste sur la route au Caire, ce qui m’arrive souvent !

Et l’espérance, c’est d’arriver à voir le lien entre ce que je vis au quotidien et l’histoire du salut, qui nous apparaît souvent si abstraite. Quand on s’aperçoit que notre effort pour aimer au sein de la vie la plus banale sauve le monde, eh bien… c’est assez encourageant.

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Seigneur, ne nous abandonne pas !Le P. Christian Delorme.
En souvenir du 13 novembre 2015.Prier pour la paix après le 13 novembre
Paru le 19 novembre 2015


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