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P. Bertrand de Margerie : Impossibilité de communier pour les divorcés-remariés
par Chicoutimi 2015-10-04 01:32:41
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Sur la question très actuelle de l'admission des divorcés-remariés à la sainte communion, le Père jésuite Bertrand de Margerie est une référence sûre et certaine. Il y a quelques mois, j'ai publié une première partie de son livre Les divorcés-remariés face à l’Eucharistie ICI ainsi qu'une seconde partie de ce même livre LÀ.

Voici donc la suite :

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Les auteurs médiaux

« Pour l’Église grecque, mentionnons brièvement la dissertation énergique d’un auteur inconnu du début du XIIe siècle, qui récapitule et synthétise les données patristiques (…). Il distingue cinq catégories d’exclus de la communion eucharistique, en situant explicitement les adultères dans la seconde. De manière convergente, Syméon le Nouveau Théologien insiste sur les larmes à verser pour se rendre digne d’approcher de l’Eucharistie.

Du côté latin, Pierre Lombard lui aussi résume toute la tradition antérieure et oriente le développement futur en commentant 1 Co 11, 27 et l’adverbe « indignement », hapax legomenon et terme juridique, de la manière suivante : « S’approche indignement celui qui accède à l’Eucharistie en demeurant dans la volonté de pécher ».

Pour saint Bonaventure, la digne manducation de l’Eucharistie implique une préparation suffisante, par l’expulsion de tout péché, le respect et la dilection. Celui qui ne se prépare pas suffisamment ne mange le Pain ni dignement ni indignement; quoiqu’il ne reçoive pas la grâce, il n’encourt aucun châtiment à la différence de celui qui ne se prépare en aucune façon et donc le mange indignement. Le pécheur conscient d’un péché mortel et qui s’approche de la communion sans repentir pèche par mépris; il en va autrement en cas d’ignorance du péché grave.

Saint Thomas d’Aquin, dans son commentaire de la 1ère aux Corinthiens rappelle à la lumière de Lév. 21, 23 (« celui qui a une tache ne s’approchera pas de l’autel ») les principes déjà connus : « Est indigne celui qui accède à l’Eucharistie avec la volonté de pécher mortellement ». Mais le péché d’indignité dans la communion, quand il est un péché de faiblesse et non de mépris, est moins grave que le crime comparable de ceux qui ont crucifié le Christ (cf. Hb 6, 6 ; 10, 29).

Pour le Docteur Angélique, qui est aussi le Docteur de l’Eucharistie, la raison de l’incompatibilité entre la volonté de demeurer dans le péché grave et celle d’accéder à l’Eucharistie mérite une analyse approfondie, que l’on trouve dans deux articles de la Somme théologique.

Dans le premier (IIIa, 89, 3) nous lisons :


« Quoique le sacrement de l’Eucharistie ait la vertu de remettre n’importe quel péché, de par la passion du Christ, source et cause de la rémission des péchés, quiconque a conscience d’un péché mortel possède en lui-même un empêchement à la réception de l’effet de ce sacrement parce qu’il n’en est pas un sujet adapté. Pourquoi ? Pour deux raisons : spirituellement, il n’a pas la vie et ne doit donc pas prendre une nourriture spirituelle, ce qui n’appartient qu’à un vivant; d’autre part, il ne peut s’unir au Christ – ce qui se fait par ce sacrement – aussi longtemps qu’il est attaché au péché mortel ».


Dans le deuxième (IIIa, 80, 4), saint Thomas précise cette dernière raison.


« Quiconque mange ce sacrement signifie par là même qu’il est uni au Christ et incorporé à ses membres. Quiconque le mange avec un péché mortel commet évidemment une fausseté (par rapport à l’aspect signifiant du sacrement). Il encourt donc le sacrilège, comme violant le sacrement. Et c’est pour cela qu’il commet un nouveau péché mortel ».



Pour saint Thomas, la communion en état d’adultère est un mensonge sacramentel et ecclésial. Par elle, un cadavre spirituel affirme faussement avoir la vie; par elle, une personne séparée du Christ et de ses membres prétend leur être unie. Cependant, comme saint Bonaventure, il admet que la communion peut opérer la rémission du péché en cas d’ignorance :


« Quand ce sacrement est reçu par un homme en péché mortel mais qui n’a pas conscience de son péché et n’y est pas attaché… il obtiendra par ce sacrement la grâce de la charité qui rendra parfaites sa contribution et la rémission des péchés » (IIIa, 79, 3).



Le Docteur subtil, Duns Scot, a notablement approfondi la problématique de ses deux grands prédécesseurs, en distinguant, parmi ceux qui communient dans l’oubli d’un péché mortel, non encore remis, le cas de ceux qui ont négligé d’examiner leur conscience, comme ils l’auraient pu et dû, du cas de ceux qui, malgré un examen diligent, ne se souviennent pas d’un péché mortel réellement commis et non encore remis.

Dans le premier cas, dit Scot, il y a violation du précepte apostolique (1 Co 11, 28) : « Que l’homme s’éprouve lui-même » et cette violation est coupable. Dans le second cas, ce précepte n’est pas violé; le communiant serait sauvé s’il mourrait ainsi, contrit et s’étant confessé; or, l’examen de conscience requis pour communier n’est pas plus intense (ou plus grand) que celui demandé pour mourir en sécurité.

Les grands théologiens médiévaux ont donc fait écho à la tradition patristique tout en la nuançant et en l’approfondissant.

Les liturgies
[…]
Les liturgies et notamment celle du rite latin unissent deux enseignements : tout d’abord, dans les prières de préparation à la communion, l’Église souhaite et demande que « la réception de ton Corps et de ton Sang, Seigneur Jésus-Christ, n’aboutisse pas à mon jugement et à ma condamnation »; elle évoque ainsi l’enseignement paulinien sur la communion indigne en 1 Co 11, 27-29. C’est dans ce contexte qu’elle met sur nos lèvres la prière évangélique de l’indigne qui demande la grâce de la dignité (« Je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit, Seigneur, mais dis seulement une parole et mon âme sera guérie » : cf. Mt 8, 8).
[…]
Toutes ces prières manifestent une claire conviction de l’Église : la dignité nécessaire pour s’approcher du corps et du sang du Seigneur, sans crainte de condamnation, n’est pas une disposition naturelle, mais un don surnaturel du Christ et de son Esprit. Naturellement, tout homme, à cause de ses fautes, est indigne, mais cette dignité surnaturelle s’obtient par la prière, notamment celle du prêtre. C’est la dignité de la charité.

Ensuite, en Orient comme en Occident, les liturgies expriment encore la conviction que l’Eucharistie remet les péchés, sans jamais nier le rôle propre, au préalable, du sacrement de la pénitence et de la réconciliation.
[…]
Ainsi, les textes liturgiques, même s’ils ne rappellent pas, explicitement, du moins tous, la nécessité d’une réconciliation sacramentelle préalable à la communion, doivent être interprétés à la lumière de l’enseignement des Pères. Impossible donc d’arguer de ces textes pour soutenir que l’Eucharistie remettrait des péchés dans lesquels on aurait l’intention de persévérer, comme l’adultère. La « purification plus profonde » d’un tel péché passé et rejeté ne peut être le fruit de l’Eucharistie si l’on désire s’y maintenir à l’avenir, au détriment des droits inaliénables du seul conjoint légitime, et du Christ, auteur du mariage indissoluble, reçu dans l’Eucharistie. Comment recevoir la grâce du Législateur à l’instant où l’on méprise sa Loi ?

C’est dire qu’au nom même de la tradition unanime des Pères, y compris orientaux, l’Église catholique ne peut suivre l’enseignement et la pratique actuellement et depuis longtemps régnants dans l’Église orthodoxe, concernant l’admission des divorcés-remariés à l’Eucharistie. […]

Ajoutons une vue profonde inspirée par le Pseudo-Denys et par les théologiens médiévaux (…) : le sacrement de l’Eucharistie, par rapport aux autres, est comme la cause universelle par rapport aux causes particulières. Comme la cause seconde ou instrumentale n’agit qu’en dépendance de la cause première et principale, ainsi les autres sacrements n’opèrent rien sans conjonction avec l’Eucharistie. Réciproquement, l’Eucharistie n’opère pas sans le concours des sacrements qui lui sont subordonnés : non qu’elle en dérive son efficacité, mais parce qu’elle requiert une disposition chez le sujet qui la reçoit.

Ainsi, quand le péché grave succède au baptême, l’Eucharistie ne sanctifie pas les pécheurs sans une quittance sacramentelle de l’Église. Tous les sacrements sont ordonnés à l’Eucharistie comme à leur fin.

Cette vue profonde, en parfaite harmonie avec le concile de Trente (DS 1639) et avec Vatican II (LG 11 ; Presb. Ord., §5) permet d’expliquer au mieux les textes liturgiques sur l’Eucharistie et la rémission des péchés.
[…]
Enseignement doctrinal
[…]
- S. Innocent 1er écrit en 405 à Exupère, évêque de Toulouse :


"Ceux qui, du vivant de leur épouse, quelque dissocié que paraisse leur ménage, se sont hâtés vers une nouvelle union, ne peuvent pas ne pas paraître adultères, au point que même les personnes qu’ils se sont unies semblent elles aussi avoir commis l’adultère, selon Mt 19, 9 ; 5, 32. Et c’est pourquoi il faut les écarter tous de la communion des fidèles."



- Une lettre de saint Léon [exprime] la nécessité, pour les veuves putatives qui se sont remariés, de revenir à leurs premiers maris quand ceux-ci sont de retour de leurs camps de prisonniers… (DS 311-314)...
[…]
Or le Pape Urbain IV, dans l’encyclique de 1264, Transiturus de hoc mundo, instituant la Fête-Dieu écrit : « Si ce pain est dignement reçu, il conforme à lui-même celui qui le reçoit » : DS 847). Une telle affirmation sous-entend logiquement : s’il est indignement reçu, le Pain de Vie ne conforme pas à lui-même celui qui le reçoit.

Deux siècles après, le même enseignement est repris par le concile de Florence (Décret pour les Arméniens : DS 1322) :


« L’effet que ce sacrement (de l’Eucharistie) produit dans l’âme de celui qui le reçoit dignement est l’union de l’homme au Christ et l’unit aux membres du Christ, il s’ensuit que ce sacrement fait s’accroître la grâce en ceux qui le reçoivent dignement ».



L’Eucharistie n’unit donc pas au Christ le communiant indigne ni non plus n’augmente en lui la grâce. Les effets ne sont pas « automatiques », mais sont conditionnés par les dispositions de « dignité », sans toutefois être causés par elle.

Sur cette dignité, vient ensuite le texte du concile de Trente (…) :


« S’il convient de ne s’approcher des fonctions sacrées que saintement, plus le chrétien découvre la sainteté divine de ce sacrement céleste, plus diligemment il doit veiller à ne s’en approcher pour le recevoir qu’avec grand respect et sainteté, surtout quand on lit chez l’Apôtre ces paroles pleines de crainte : « Quiconque mange et boit indignement, mange et boit sa condamnation, ne discernant pas le corps du Seigneur » (1 Co 11, 29). C’est pourquoi on doit rappeler à qui veut communier le précepte : « Que l’homme s’éprouve lui-même » (1 Co 11, 28). La coutume de l’Église montre que cette épreuve est nécessaire, afin que tout homme, s’il a conscience d’un péché mortel, si contrit qu’il s’estime, ne s’approche pas de la sainte Eucharistie sans une confession sacramentelle préalable. Cette coutume, le saint Concile a déclaré que tous les chrétiens, même les prêtres, qui seraient obligés par office à célébrer, doivent l’observer toujours, pourvu qu’ils puissent trouver un confesseur. Si une nécessité urgente fait qu’un prêtre célèbre sans confession préalable, qu’il se confesse ensuite dès que possible » (DS 1646-1647).


Luther et Calvin

Pour saisir convenablement le sens exact de ces textes et les intentions du Concile de Trente, Il faut avoir présente à l’esprit une proposition de Martin Luther condamnée par Léon X en 1520. Elle est extraite d’un texte luthérien de 1518, intitulé : Instructio pro confessione peccatorum :


« Grande est l’erreur de ceux qui accèdent au sacrement de l’Eucharistie en s’appuyant sur le fait qu’ils se sont confessés, qu’ils ne sont conscients d’aucun péché mortel, qu’ils ont auparavant prié et se sont préparés, tous ceux-là mangent et boivent leur propre jugement. Mais s’ils croient et ont confiance qu’ils recevront là la grâce, cette seule foi les rends purs et dignes ».



Thèse compréhensible dans le cadre des positions luthériennes sur la foi et les œuvres : pour Luther, confession et prière avant la participation de la Cène font partie des œuvres dans lesquelles le juste pèche toujours (DS 1481), et nul ne peut être certain qu’il ne pèche pas mortellement toujours, à cause du vice très secret de l’orgueil; quand chacun fait ce qu’il peut, il pèche mortellement (DS 1485-1486).

Thèse qui, cependant, aboutissait à faire dire à saint Paul, manifestement cité – précisément dans 1 Co 11, 27-29 – le contraire de ce que la tradition avait toujours compris : n’être conscient d’aucun péché mortel et s’approcher ainsi, après confession et prière, de l’Eucharistie, c’est manger et boire son propre jugement ! D’ailleurs, pour Luther, il était impossible de connaître tous ses péchés mortels (DS 1458). Pour lui, la foi est « l’unique et seule préparation suffisante à la réception du Sacrement » et cette foi est – en harmonie avec l’ensemble du système luthérien – la confiance de recevoir la grâce dans le sacrement de l’Eucharistie. De charité, de pureté de cœur comme rendant digne de l’Eucharistie, il ne semble pas être question.

Comment par ailleurs, dans un sermon sur le mariage, en 1522, c’est-à-dire quatre ans après l’Instruction mentionnée ci-dessus, Luther admet le divorce et le remariage, à l’étranger, du conjoint même coupable d’adultère, s’il ne peut garder la continence (a fortiori du conjoint innocent), on ne voit pas qu’il aurait refusé aux divorcés-remariés la participation à la sainte Cène, ni considéré qu’ils seraient ainsi coupables d’une faute grave de communion sacrilège, distincte de celle de l’adultère persévérant. Au contraire, même. D’autant que Luther ne croit pas à la sacramentalité du mariage, dans lequel il voit une nécessité physique. Pour lui, comme pour les autres réformateurs du XVIe siècle, l’Église n’a aucune juridiction en matière matrimoniale.

S’il y a des aspects plus positifs dans leur doctrine sur le mariage, il est clair, comme les Réformateurs admettent tous divorce et remariage, que sur le point précis de l’admission à la Cène des divorcés-remariés ils étaient en conflit radical avec la tradition catholique et que leur interprétation des conséquences de 1 Co 11, 27-29 lui était radicalement contraire.

Il faut reconnaître, d’ailleurs, plusieurs contradictions internes dans la position de Luther. Il ne semble pas avoir songé à appliquer aux relations entre époux et à leurs péchés mutuels ce qu’il écrivait dans un texte (…) :


« Ce sacrement de la communion, de l’amour et de l’unité ne peut souffrir la discorde et la désunion. (…) De là vient que les médisants, les criminels et ceux qui méprisent d’autres hommes doivent recevoir la mort dans le sacrement (1 Co 11, 29). Le Christ a donné son corps pour que soit pratiquée la signification du sacrement, c’est-à-dire la communion et la transformation par l’amour. (…) »



On reconnaît ici l’héritage catholique chez Luther; disons plus, une singulière convergence avec la doctrine de Trente (…). Ici, en fait, la suffisance de la foi pour communier est rejetée ! Cette même suffisance tellement exaltée dans l’instruction pour la confession des péchés, rédigée la même année ! Ici, au contraire, les médisants et les criminels et même ceux qui méprisent les autres (ce qui devrait logiquement inclure les époux adultères) ne peuvent recevoir que la mort en participant à la Cène…

Calvin aussi, dans un texte peut-être antérieur à celui du concile de Trente (1551), rejoint partiellement les anabaptistes en reconnaissant avec eux qu’il faut exclure de la Cène du Seigneur les pécheurs publics.

Surtout, en plusieurs pages extrêmement suggestives de l’Institution chrétienne (livre IV, ch. 17, §39-42), tout en montrant une grande incompréhension de la théologie catholique sur l’état de grâce requis pour la communion, ainsi que sur la confession, il rejoint en fait la tradition catholique sur un point essentiel : la foi sans la charité ne suffit pas pour pouvoir accéder à l’Eucharistie. Il dénonce longuement les communions indignes. Voici comment il commente 1 Co 11, 29 :


« Telle manière de gens qui, sans aucune étincelle de foi, sans aucune affection de charité, s’ingèrent comme des pourceaux à prendre la Cène du Seigneur, ne discernent point le corps du Seigneur… Ils le déshonorent en ce qu’il leur est possible, le dépouillent de toute sa dignité, et le profanent et le souillent, en le prenant ainsi… Étant par haine et malveillance divisés et séparés de leurs frères, c’est-à-dire des membres de Jésus-Christ, ils n’ont nulle part en Jésus-Christ : et toutefois ils attestent ce qu’est le seul salut, à savoir : communiquer à Jésus-Christ et être unis à lui » (§40).


Néanmoins, à la différence de ce qui eut lieu dans l’Église ancienne, il ne semble pas que Calvin ait exclu des catégories précises de pécheurs publics de toute participation à la Cène : par exemple, les adultères. Cela tient sans doute, comme dans le cas de Luther, à sa théologie de la justification et du mariage, admettant sa non-sacramentalité, le divorce et le remariage. (…)

Notons encore que, dans les catéchismes réformés de Genève (préfacé par Calvin) et d’Heidelberg, les pasteurs sont invités à ne pas donner la Cène aux pécheurs manifestement indignes, à ceux qui, par leur confession et par leur vie, déclarent qu’ils sont infidèles et impies, de peur d’exciter la colère de Dieu contre toute l’Église, et afin de ne pas profaner le Sacrement.

Tout cela montre qu’il y a dans le monde protestant, y compris au XVIe siècle, des pierres d’attente en vue d’un accord œcuménique et d’une compréhension correcte du texte tridentin sur la nécessité de la sainteté pour s’approcher de l’Eucharistie. C’est plutôt la théologie qu’ils ont élaborée au sujet de la justification externe, du mariage et de l’adultère qui a empêché les Réformateurs d’appliquer 1 Co 11, 27-29 aux époux adultères.

Dans le domaine qui nous occupe comme dans tant d’autres, un accord serait possible si l’on adoptait en fait, dans le monde protestant, le critère qui y est théoriquement reconnu comme valable : l’Écriture interprétée comme elle l’était dans l’Église primitive, sans exclure ni 1 Co 11, 27-29, ni l’interprétation qu’en ont donné les Pères en refusant l’admission à la Cène les baptisés résolus à persévérer dans l’adultère.

Le Concile de Trente

[…] L’Église a toujours reconnu la nécessité, pour les pécheurs coupables de péché mortel, de recourir au sacrement de la pénitence avant d’accéder à l’Eucharistie. […] il en résulte que l’Église ne peut éliminer comme possiblement contenue dans la Révélation la nécessité d’une confession sacramentelle des péchés graves avant la communion. […] Or si l’Eucharistie suffisait à la rémission de tous les péchés, même graves, pourquoi le Christ aurait-il institué le sacrement de pénitence (cf. Jn 20, 21-22) ? L’Église pourrait-elle renier la nécessité de la confession des péchés graves avant la communion, sans déclarer inutile le sacrement de pénitence ? Toute l’économie sacramentelle n’est-elle pas en jeu dans le projet d’admettre les divorcés-remariés à l’Eucharistie sans renonciation préalable à l’exercice de la sexualité dans leur nouvelle union ?

D’ailleurs le texte tridentin précité (DS 1646), dans son insistance sur la sainteté nécessaire pour s’approcher de toute fonction sacrée mais surtout de l’Eucharistie, exprime une vérité révélée, comme il appert, dans ce cas particulier, de l’anathème (DS 1661) qui complète le texte :


« Si quelqu’un dit que la foi seule est une préparation suffisante pour recevoir le sacrement de la très sainte Eucharistie, qu’il soit anathème ».



Ainsi se trouve bien dégagée la portée à la fois de 1 Co 11, 27-29 et de 1 Co 16, 22 : « Si quelqu’un n’aime pas le Seigneur, qu’il soit anathème. Maran atha », expression dont les connotations liturgiques sont bien connues. C’est dans l’Eucharistie que le Seigneur Jésus vient sans cesse. Pour n’être pas condamné et anathématisé par lui, il ne suffit pas de croire en lui, il faut encore l’aimer par-dessus tout en gardant ses commandements, y compris celui de la fidélité conjugale.
[…]
De ce point de vue, il faut dire que conférer l’Eucharistie à ceux qui veulent persévérer dans l’adultère est contraire à la Révélation divine sur la sainteté de ce sacrement, telle qu’elle a été comprise par le concile de Trente (…).

Le concile de Trente n’a pas défini le sens de 1 Co 11, 27-29, mais il en affirme la doctrine : la nécessité de l’état de grâce pour recevoir l’Eucharistie.

Cette affirmation est corroborée par le recours à plusieurs autres textes du même concile sur l’effet des sacrements, les conditions du baptême, la distinction entre communion sacramentelle et communion spirituelle, les enseignements de l’Écriture et de l’Église sur l’indissolubilité du mariage en cas d’adultère et l’impossibilité pour le conjoint innocent de contracter, sans adultère, un autre mariage du vivant de son conjoint. Détaillons ces affirmations.
D’après le concile, l’adultère désireux de recevoir le baptême doit « détester ses péchés, faire pénitence avant le baptême, commencer une nouvelle vie et garder les commandements divins » (DS 1526). Ces divorcés-remariés persévérant dans leur état d’adultère ne pourraient donc être admis au baptême. Comment pourraient-ils recevoir l’Eucharistie ? (cf. DS 1639, 1654).

À supposer qu’ils le fassent, le concile enseigne aussi implicitement qu’une telle communion ne pourrait leur conférer la grâce, en condamnant la proposition luthérienne : « les sacrements ne confèrent pas la grâce à ceux qui ne posent pas d’obstacle » (DS 1606 ; cf. DS 1451). D’ailleurs, l’Église avait déjà enseigné au concile de Florence, en 1439, que « les sacrements confèrent la grâce à ceux qui les reçoivent dignement » (DS 1310), ce qui implique qu’ils ne la confèrent pas à ceux qui les reçoivent indignement. […] D’où il résulte que, suivant le concile de Trente, les époux résolus à persévérer dans l’adultère ne pourraient recevoir la grâce ni du Baptême, ni de la pénitence, ni de l’Eucharistie; c’est donc bien en vain qu’ils s’approcheraient de ces sacrements.

Ces époux adultères recevraient l’Eucharistie sacramentellement, mais non spirituellement :


« Nos Pères ont justement distingué trois manières de recevoir ce saint sacrement. Ils enseignent que les uns ne le reçoivent que sacramentellement : ce sont les pécheurs. D’autres ne le reçoivent que spirituellement : ceux qui, mangeant en désir le pain céleste qui leur est offert avec cette foi vive qui opère par la charité (Ga 5, 6), en ressentent le fruit et l’utilité. D’autres encore le reçoivent à la fois sacramentellement et spirituellement : ce sont ceux qui s’éprouvent et se préparent de telle sorte que, vêtus de la robe nuptiale (Mt 22, 11) ils s’approchent de cette table divine » (DS 1648).



Ce texte suit presque immédiatement la déclaration du concile rappelée plus haut, citant 1 Co 11, 29 et « ses paroles pleines de crainte ». La communion seulement sacramentelle et non spirituelle est communion pécheresse, sacrilège; elle fait recevoir, non le Sauveur, mais le Juge et son jugement de condamnation.

Difficultés

On dira peut-être : ces déclarations tridentines sont générales et ne concernent pas spécialement le péché d’adultère. Oui, mais le concile, après les textes précités de 1551 (sess. XIII), a partiellement précisé ou du moins rappelé la doctrine de l’Église sur l’indissolubilité du mariage et l’adultère dans le canon 7 de la XXIVe session, en 1563 :


« Si quelqu’un dit que l’Église se trompe quand elle a enseigné et enseigne, selon la doctrine de l’Évangile et de l’Apôtre (Mc 10 ; 1 Co 7) que le lien du mariage ne peut être rompu par l’adultère d’un des époux et que ni l’un ni l’autre, pas même l’innocent qui n’a donné aucun motif d’adultère ne peut, tant que vit l’autre conjoint, contracter un autre mariage, que sont adultères l’homme qui épouse une autre femme après avoir renvoyé l’adultère et la femme qui épouse un autre homme après avoir renvoyé l’adultère, qu’il soit anathème » (DS 1807).



À la lumière de ce texte, il faut donc dire que l’expression de « divorcés-remariés » est un euphémisme pour dire « adultères » et que l’admission de ces divorcés à l’Eucharistie, sans renonciation à leur état, ne serait autre que l’admission d’adultères à l’Eucharistie, évidemment incompatible avec la dignité du Sacrement, ou du baptisé qui s’en approche.
[…]
Le concile de Florence (…) avait déjà enseigné la même doctrine :


« Si, à cause de la fornication, la séparation du lit est autorisée, il n’est cependant pas permis de contracter un autre mariage, le lien du mariage légitimement contracté étant perpétuel » (DS 1327).



Vatican II a cité ce texte ainsi que les extraits de l’encyclique Casti Connubii de Pie XI, en 1930, rappelant qu’un mariage valide et consommé entre chrétiens ne peut être dissous pour aucune cause, donc pas même pour adultère (DS 3712 ; cf. DS 3724).

On ne voit pas comment il serait possible d’admettre à l’Eucharistie les divorcés-remariés sans contredire l’enseignement explicite de deux conciles œcuméniques (…) sur l’indissolubilité du mariage et ses conséquences concrètes en cas d’adultère, comme sur la notion même d’adultère. On ne voit pas plus comment on pourrait le faire sans contredire l’enseignement au moins implicite d’un troisième concile, Vatican II, formulé dans une note de Gaudium et Spes, dans sa partie doctrinale, sur les mêmes sujets.

L’Église ne pourrait changer sa législation sur la non-admission des adultères à l’Eucharistie sans changer sa doctrine sur l’indissolubilité du mariage même en cas d’adultère, sans réduire cette doctrine à une fiction juridique sans conséquence concrète. Il n’y aurait plus là évolution doctrinale homogène, mais hétérogène; ou, pour mieux dire, non évolution, mais révolution doctrine, comprise comme telle par l’opinion publique. Celle-ci y verrait une permission, voire un encouragement donné, contre l’enseignement du Christ, à l’adultère et à la profanation des sacrements. Un tel changement de discipline dépasse donc le pouvoir que le Christ a donné à l’Église concernant les sacrements. Elle ne pourra donc jamais y consentir.
[…]
Le Catéchisme du concile de Trente déclare que chacun doit se demander, en se préparant à la communion, s’il est en paix avec les autres. Il cite en ce sens les paroles de l’Évangile :


« Quand donc tu vas présenter ton offrande à l’autel, si là tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande, devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton frère : viens alors présenter ton offrande » (Mt 5, 23-24).



Cela ne s’applique-t-il pas, tout d’abord, à la réconciliation de l’époux, coupable d’adultère, avec la victime ?
[…]
La non-admission à l’Eucharistie des divorcés-remariés, désireux de persévérer dans l’adultère, implique la foi de l’Église dans la sainteté des deux sacrements du Mariage et de l’Eucharistie, et dans celle du sacrement de l’Ordre comme dans les charismes d’infaillibilité et d’indéfectibilité qu’elle a reçus pour le bien commun du genre humain. »

Source : Bertrand de Margerie, Les divorcés-remariés face à l’Eucharistie (édition augmentée), Paris, Éditions Téqui, 2001, 105 pages (avec annexes de 24 pages).


     

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