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Discernement psychologique des vocations : la constitution paranoïaque
par Chicoutimi 2015-04-26 02:51:49
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Comme vous le savez, différents critères sont à prendre en considération pour discerner une vocation : capacités intellectuelles, vie morale, santé physique, vie spirituelle, et bien d'autres aspects, devraient normalement être examinés chez le sujet qui se présente dans un séminaire. Il y a aussi la dimension psychologique qui doit nécessairement être prise en compte.

Dans le « Guide Médical des Vocations Sacerdotales et Religieuses » (1947) le Docteur Biot et le Docteur Gallimard apportent un éclairage, du point de vu de la médecine, dans le domaine du discernement des vocations. Il ne s’agit pas pour eux, qui sont des médecins catholiques, de discerner à la place du directeur des vocations. Ils reconnaissent que « le médecin n’a rôle que de conseiller, il n’intervient qu’à un rang subordonné. Il sortirait de son domaine s’il se croyait investi des fonctions de directeur des vocations. » Cette étude est intéressante, parce qu’elle traite, entre autre, de psychologie (dans l’optique chrétienne) et décrit les différentes constitutions mentales.

Une constitution mentale est « un état psychique permanent qui a pour caractéristique de se manifester par des troubles relativement peu accentués, ne touchant pas l’intelligence elle-même mais plutôt l’affectivité et la volonté. » Les principales constitutions décrites dans le livre sont les suivantes : paranoïaque; psychasténique; hystérique; cyclothymique, schizoïde; émotive. Nous pouvons tous nous reconnaître dans l’une ou l’autre de ces constitutions qui, la plupart du temps, sont compatibles avec une vie normale. Il ne s’agit donc pas ici de maladies mentales à diagnostiquer, mais de reconnaître les constitutions mentales. Le but de l’ouvrage est, entre autre, de « décrire chaque constitution mentale sous son aspect pathologique ». En effet, « le directeur de séminaire ou le maître des novices doit savoir les reconnaître ou les suspecter, car il s’agit là de contre-indications nettes à la vie religieuse. »

Pour ceux que cela intéresse, il ne saurait être question, en publiant cela, de faire connaître ces constitutions dans le but de juger et de mettre une étiquette sur des personnes. De plus, comme nous ne sommes pas médecin, nous ne pouvons poser de diagnostics à l'endroit d’autres individus. Cependant, nous pouvons augmenter notre capacité de discernement en étudiant ces différentes constitutions mentales. Le plus intéressant serait de voir si nous-mêmes nous nous reconnaissons dans l’une ou l’autre de ces constitutions en vue de travailler sur soi-même.

Regardons aujourd’hui la constitution paranoïaque. Si cela vous intéresse, je publierai les 5 autres constitutions dans les prochains jours :

1. La constitution paranoïaque

a) Aspect psychiatrique : L’élément essentiel de cette constitution, c’est l’hypertrophie du moi logique, l’orgueil passionné, non pas la vanité qui s’étale, mais la complaisance, le culte de sa propre pensée et de son propre jugement. Il s’agit d’êtres qui connaissent tout, qui ont toujours raison, même contre l’évidence, qui sont imperméables à l’expérience, qui sont persuadés de leur supériorité sur autrui et arrangent toutes choses, plus ou moins consciemment, pour leur utilité ou leur satisfaction personnelle. Ils n’éprouvent de satisfaction que lorsqu’ils ne dépendent de personne; ils supportent impatiemment toute contrainte et toute autorité. Ainsi sont-ils dans leur milieu immanquablement autoritaires, despotiques, cherchant à dominer leur famille, leur entourage.

Un autre élément caractéristique de cette constitution est que cet orgueil pathologique, au lieu d’être protégé et cuirassé, est au contraire d’une sensibilité aiguë, à fleur de peau.

Toute humiliation même légère, même non visible au dehors et perçue uniquement par le sujet, est ressentie comme une douleur véritable et provoque les mêmes phénomènes de retrait, de repliement, d’hostilité qu’une douleur physique. Le paranoïaque, constamment en lutte avec le milieu extérieur, puisqu’il veut s’imposer à celui-ci, souffre exagérément des réactions d’autrui qu’il n’interprète pas comme des actes défensifs normaux, mais comme des actes d’hostilité ou d’injustice à son égard. Sa susceptibilité est caractéristique et l’on trouve là la fausseté du jugement par déformation passionnelle qui de proche en proche peut devenir délire d’interprétation, idée fixe de persécution et se transformer en délire systématisé véritable.

Autre conséquence de l’orgueil trop vulnérable du paranoïaque : l’esprit critique exagéré et la méfiance envers les autres. Incapable de se critiquer soi-même, il fait preuve, lorsqu’il s’agit des autres, d’un discernement admirable, sait mettre en valeur leurs plus petites imperfections, n’admet ni l’erreur, ni l’hésitation, ni la faute; et sa tyrannie, lorsqu’il a réussi à s’imposer à son milieu, est pharisienne et inquisitive. Lui résister l’irrite, lui échapper complètement l’inquiète, répondre à ses vexations par d’autres vexations le fait douloureusement souffrir et se recroqueviller. Par peur de cette souffrance aiguë que lui procure la moindre humiliation, il craint les gens qu’il sait ne pas pouvoir dominer, il se méfie de ceux qu’il ne connaît pas et dont il suspecte l’attitude. […] C’est ainsi que le paranoïaque passe souvent pour un instable, car il ne peut rester dans une place où il se sait ou se croit brimé et la quitte sans en donner la véritable raison qui serait pour lui trop douloureuse.

Un tel malade est fatalement en conflit constant avec la société, c’est un inadaptable. On peut schématiser de deux manières ses réactions sociales, suivant qu’il s’agit d’un paranoïaque « triomphant » ou d’un paranoïaque « amer », le même individu pouvant présenter successivement ces deux modes de réaction.
Le premier est un lutteur chez qui domine le sentiment de l’orgueil de lui-même et le besoin impérieux de faire triompher sa cause contre toutes les injustices subies. Il est revendicateur, jamais satisfait, il exige de nouveaux égards, de nouvelles preuves de sa supériorité. À un degré de plus et sur le versant nettement psychiatrique, ce sera un persécuteur ou un persécuté persécuteur, actif, agressif.

[…] Au contraire du paranoïaque « triomphant », qui fait facilement de l’exhibitionnisme mental, du prosélytisme et dépense une activité intellectuelle surabondante, le paranoïaque « amer » est devenu incapable de travailler régulièrement, de faire une œuvre continue. Il est toujours intimement persuadé de sa valeur et malgré sa raison impuissante et son activité de velléitaire, il pense que son incapacité actuelle ne provient pas de lui-même, mais des circonstances et de l’ingratitude des hommes.

Au demeurant, le paranoïaque constitutionnel, qu’il soit de l’un ou l’autre type, peut être remarquablement intelligent, moraliste, orateur, écrivain. Il suffit de citer en exemple J.-J. Rousseau ou Lamennais pour en donner la preuve, l’exemple du second nous dispensera d’insister sur la nécessité d’écarter à tout prix de tels hommes du sacerdoce.

b) Aspect psychologique : […] Si nous voulions caractériser d’un mot l’attitude psychologique habituelle de l’individu qui présente ce pli de l’esprit, nous dirions que c’est un hyperlogique. Il prétend tout connaître, immédiatement.

C’est une mentalité qu’on rencontre fréquemment chez l’adolescent, on peut même dire que l’hyperlogisme est un stade normal du développement de l’esprit humain. Il y a pour le jeune homme un plaisir manifeste à découvrir les possibilités indéfinies du raisonnement, à jouer avec sa propre pensée, à construire des plans où viendra se modeler la réalité, à rebâtir le monde suivant des formules abstraites et absolues. Ce n’est en général qu’à l’âge adulte que, par un dernier progrès, on ne se laisse plus emporter par sa propre logique, mais on se regarde penser avec un certain recul, on se juge soi-même avec un esprit critique. L’hyperlogique, dans une certaine mesure, le paranoïaque, presque toujours, en est resté au stade mental de l’adolescent. Il n’est pas capable de ce retour sur soi-même qui caractérise l’homme absolument normal.
Cela est important à connaître parce que là est le moyen de guérir ces états quand c’est encore possible. Si vous réussissez à faire comprendre au petit paranoïaque la raison de son vice constitutionnel, à lui faire effectuer ce recul nécessaire à la juste appréciation de soi-même, vous le délivrez de son envoûtement. Un paranoïaque qui se connaît comme tel n’est déjà plus un paranoïaque.

c) Conduite à tenir : À quoi reconnaître cette tendance à l’esprit faux du paranoïaque ? Voici quelques signes qui ne se rencontrent pas tous à la fois et qui n’ont pas de valeur absolue, mais qui, groupés, doivent faire penser à cette constitution ou à son homologue psychologique :
Peu d’amis; pas d’amitiés fidèles et prolongées, mais des amitiés exclusives, en feux de paille. Esprit critique acéré vis-à-vis d’autrui; peu d’esprit critique vis-à-vis de soi-même. Haute idée de soi-même; complaisance pour ses propres dons; recherche excessive du succès, de l’approbation, de la louange, des titres. Fuite devant tout ce qui est humiliation, ce qui peut devenir ou rappeler une humiliation; interprétation sans frein à tendance justificative. Amour de la logique et de la rhétorique. Goût des plans et des formules; attachement passionné à ses propres opinions. Méconnaissance de ce qui est vraiment spirituel, mais attachement à la lettre, aux attitudes, à l’extérieur des choses. Verbalisme. […]

Nous voyons par ces quelques signes combien la tendance paranoïaque se rapproche de la mentalité pharisienne. Ce sont souvent des gens actifs, des réalisateurs, d’une tenue morale irréprochables, durs pour eux-mêmes autant que pour les autres, ce qui les innocente à leurs propres yeux, intelligents, savants, mais qui, comme leurs ancêtres juifs, sont le plus souvent démunis de charité profonde. C’est dire combien leur amendement est quelque chose de difficile. S’il peut se faire avec des chances de succès chez l’homme encore jeune, il devient de plus en plus aléatoire au fur et à mesure que les plis se fixent dans la mentalité.

Comment peut-on espérer corriger une telle structure psychologique ? Il y a d’abord des moyens négatifs : ne pas confier de charges ou de fonctions qui mettent en évidence; ne pas favoriser à l’excès une faculté, un talent quelconque qui, développé, sera la source de satisfactions exagérées. Surtout, ne pas humilier volontairement de tels êtres; ne pas leur livrer ostensiblement bataille; on les ferait souffrir, on les enfermerait dans leur attitude; on les forcerait à se défendre et à attaquer, ce qui est la tendance néfaste de leur caractère. Au contraire, il faut être avec eux particulièrement affectueux et compréhensif, parce que ce sont des solitaires; il faut adoucir les humiliations qu’ils ont reçues.

« Il ne saurait être question, dit le P. Lindworski, de faire naître l’habitus de l’humilité par la pratique de l’humiliation, mais seulement de lui procurer des occasions de se trouver en face de l’humiliation et de l’accepter intérieurement. C’est le moyen de l’éprouver et de voir si les pseudos-valeurs de la vanité ont encore beaucoup de puissance sur lui, ou s’il comprend et apprécie la position de l’humilité… Ce qui importe beaucoup, c’est que l’expérience ne soit pas au-dessus de ses forces et nous savons combien ses forces sont fragiles à ce point de vue; ce qui arriverait si celui qui est soumis à cette épreuve n’en pouvait vraiment apercevoir la raison d’être et l’intérêt… Voilà pourquoi l’éducateur ne doit pas le laisser sans secours. »

Source : Docteur R. Biot et Docteur P. Gallimard, Guide Médical des Vocations Sacerdotales et Religieuses, Paris, Éditions Spes, 1947, avec nihil obstat et imprimatur, 319 pages.

     

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