Clemens August comte de Galen, noble et très catholique fils de Westphalie
Son courage et la dureté des sermons qu’il prononça contre Hitler du haut de la chaire de la cathédrale de Münster, firent le tour de la terre. Et le pape Pie XII lui écrivit pour lui témoigner son plein appui et sa gratitude.
par Stefania Falasca
«Les trois sermons de l’évêque von Galen nous procurent à nous aussi, sur la voie de douleur que nous parcourons avec les catholiques allemands, un réconfort et une satisfaction que nous n’avons pas éprouvés depuis longtemps. L’évêque a bien choisi le moment d’intervenir avec un tel courage». Ce sont là les mots de gratitude et de pleine approbation par lesquels Pie XII, dans une lettre datée du 30 septembre 1941 s'adresse à l’évêque de Berlin, Konrad von Preysing, au sujet de l'évêque de Münster Clemens August von Galen .
Mgr Von Galen gouverna comme évêque pendant un laps de temps égal à celui d’Adolf Hitler. Il fut consacré évêque neuf mois après l’arrivée d’Hitler au pouvoir et il mourut environ neuf mois après la mort du Führer.
Né en 1878 dans le château de Dinklage, près de Münster, Clemens August comte de Galen, noble et très catholique fils de Westphalie fut le premier évêque élu après le Concordat que le Reich avait signé avec le Saint-Siège le 20 juillet 1933, et il fut l’un des premiers évêques allemands à deviner et à démasquer avec une lucidité et une fermeté extrêmes le danger de l’idéologie néo-païenne du nazisme, mais aussi à dénoncer avec force, et publiquement, les violences et la barbarie de la terreur nazie.
Mgr von Galen condamne sans réserve, dans sa première lettre pastorale de 1934, la politique néo-païenne du nazisme et souligne le caractère religieux de cette idéologie. L’écho s’en fait sentir en Allemagne mais aussi à l’étranger.
À Pâques 1935, von Galen frappe un autre coup et s’en prend à nouveau à la théorie raciale et au “catéchisme du sang” de Rosenberg, lequel débarque à Münster et prononce des paroles incendiaires contre l’évêque avec l’intention de dresser le peuple contre lui . Mais le peuple, en majorité catholique, fait bloc autour de son évêque; le 8 juillet, les manifestations de solidarité culminent dans une procession massive.
Von Galen n’était certes pas le seul prélat allemand à s’opposer ouvertement à la doctrine du nazisme; dès 1932, les évêques s’étaient exprimés de façon collégiale. Les sermons de 1933 du cardinal Michael von Faulhaber, l’archevêque de Munich, sont restés célèbres. Ainsi, en l’espace de quelques années, l’Église fut soumise à une violente persécution. Persécution qui se fit plus cruelle après la publication, demandée par les évêques allemands eux-mêmes, de l’encyclique Mit Brennender Sorge, en 1937,«l’une des plus sévères condamnation d’un régime national que le Vatican ait jamais prononcée». Et à la veille de la guerre, l’évêque de Münster, pour avoir «attaqué fortement les bases et les effets du national-socialisme», fut considéré par la Chancellerie du Reich comme l’un des adversaires les plus dangereux du régime.
Mais c’est avec les sermons de l’été 1941 qu'il devint célèbre dans le monde entier. On lui donna alors le surnom de “Lion de Münster”.
Les mots sortaient de sa bouche avec la force et la puissance du tonnerre.
Il dénonça un par un, avec une ardeur frémissante, les «actes infâmes» et les injustices dont il avait eu connaissance.
Le premier sermon eut un effet extraordinaire. Pour son second sermon, le 20 juillet, l’église était comble. Les gens étaient venus de loin pour l’écouter: «ce qu’il y a derrière la nouvelle doctrine qui nous est imposée depuis des années: Haine! Haine profonde comme un abîme à l’égard du christianisme, à l’égard du genre humain …». Mais c’est le troisième sermon du 3 août, celui sur le cinquième commandement, qui, en raison de sa virulence, fut considéré par le Ministre de la Propagande comme l’«attaque frontale la plus violente qui, depuis le début de son existence, a été lancée contre le nazisme»: “des innocents sans défense sont maintenant tués, tués avec barbarie; des personnes d’une race différente, d’une provenance différente sont elles aussi supprimées… Nous sommes devant une folie homicide sans précédent… Avec des gens comme cela, avec ces assassins qui écrasent avec arrogance nos vies sous le talon de leur botte, la communauté de peuple n’est plus pour moi possible!”.
Ces sermons eurent un immense succès et firent en peu de temps le tour de la terre. Ils furent imprimés et lus partout. Ils parvinrent même aux soldats, au front. Tout le monde pensait, l’évêque y compris, que ses interventions lui vaudraient d’être rapidement exécuté. Le chef des organisations de la jeunesse nazie publia cette déclaration: «Je l’appelle le porc C. A., c’est-à-dire Clemens August. Ce grand traître, et traître à son pays, ce porc est libre et il prend la liberté de parler contre le Führer. Il doit être pendu». Mais il ne le fut pas. Le régime voulait éviter d’en faire un martyre. Le tuer, c’était s’aliéner une partie de la population et en particulier les soldats du front. Les nationalistes renvoyèrent donc «le règlement des comptes» avec von Galen à "après la victoire finale”. Mais alors, déclara Hitler, ces comptes, il les réglerait «jusqu’au dernier centime».
«C’est durant son séjour à Berlin que le cardinal Pacelli a eu l’occasion de connaître von Galen», lequel était le cousin de Konrad von Preysing,qui sera l’homme de confiance de Pie XII en Allemagne, représentant à l’intérieur de l’épiscopat allemand, le courant d’opposition le plus dur au régime.
En ce qui concerne les trois fameux sermons, von Galen ne semble pas avoir reçu d’indications préalables de Pie XII. Comme l’attestent les témoignages du procès, il a agit de sa propre initiative, mais il savait qu’il serait approuvé par le Pape. Pie XII eut l’occasion d’expliquer très clairement à von Preysing sa position dans une lettre du 30 avril de 1943. Une intervention du Pape, en temps de guerre, aurait pu être interprétée comme une prise de position contre l’Allemagne, prise de position qui se serait retournée contre l’Église déjà durement persécutée, et contre le peuple allemand. Il laissait donc les pasteurs évaluer sur place la situation et leur laissait le choix et la responsabilité de leurs décisions.
La preuve que l’action intrépide du “Lion de Münster” et «la force de sa protestation» consolèrent le cœur du pape Pie XII, c’est que ce dernier voulut lire lui-même, mais lire aussi aux membres de sa famille, tous les fameux prêches. L’évêque d’Innsbruck raconte que, durant une audience au Vatican, le Pape, manifestant sa profonde vénération pour l’évêque de Münster, lui confia qu’il avait lu ses homélies à tous les membres de sa famille.Il y a d’autres documents qui montrent clairement l’estime et l’accord qui existaient entre Pie XII et le “Lion de Münster”. Il s’agit de leur correspondance.
Les lettres envoyées à l’évêque de Münster portent ces dates: 12 juin 1940; 16 février 1941; 24 février 1943; 26 mars 1944.
Dans cette correspondance, Pie XII souligne à plusieurs reprises sa gratitude à l’égard du prélat allemand, la convergence de leurs vues et l’estime qu’il a pour son action.Il remercie de plus, expressément, von Galen d’avoir «préparé» par ses lettres pastorales, le terrain pour son Message de Noël du 24 décembre 1942. Message que le New York Times apprécia pour les «mots clairs prononcés en faveur des juifs» et pour le fait qu’il «avait dénoncé au yeux du monde le massacre de nombreux innocents» (la diffusion de ce message en Allemagne fut considéré par les autorités du Reich comme un «crime contre la sécurité de l’État, passible de la peine de mort»).
Oui, Pie XII le considérait comme un héros.
Du reste, la preuve la plus éloquente de la haute estime du Pape pour «les mérites incalculables» acquis dans l’exténuante défense de l’Église et de l’homme contre la violence du nazisme, c’est la pourpre cardinalice que le Saint Père lui conféra le 18 février 1946. Von Galen fut «le vrai héros de ce consistoire», commenta l’archevêque de Cologne. Il y avait parmi ces nouveaux cardinaux deux autres prélats allemands qui s’étaient distingués par leur lutte contre la terreur nazie, l’archevêque de Cologne Frings et l’évêque de Berlin Konrad von Preysing. «Quand, à l’entrée des cardinaux dans Saint-Pierre, Clemens August apparut sur le seuil, un murmure traversa la foule des assistants: “Le voilà, c’est lui” et, tandis que sa figure de géant traversait la nef centrale, un ouragan d’enthousiasme se déclencha. Les applaudissements atteignirent leur comble au moment où le cardinal monta vers le trône du Saint Père.
Il rendît à Dieu son âme héroïque quelques semaines après, le 22 mars 1946.
Le procès de béatification de Clemens August fut ouvert en octobre 1956. Le pape Benoît XVI a approuvé sa béatification, à Rome, le 9 octobre 2005.