Comment vivre la liturgie selon le pape François ?

Le Forum Catholique

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Balthazar -  2023-03-19 13:41:55

Comment vivre la liturgie selon le pape François ?

Dans sa lettre apostolique Desiderio Desideravi, le pape François dit ceci :


La non-acceptation de la réforme, ainsi qu’une compréhension superficielle de celle-ci, nous détournent de la tâche de trouver les réponses à la question que je répète : comment pouvons-nous grandir dans la capacité de vivre pleinement l’action liturgique? Comment continuer à nous laisser surprendre par ce qui se passe dans la célébration sous nos yeux? Nous avons besoin d’une formation liturgique sérieuse et vitale.

(...)

45. Ainsi, la question que je veux poser est la suivante : comment pouvons-nous redevenir capables de symboles ? Comment pouvons-nous à nouveau savoir les lire et être capables de les vivre ? Nous savons bien que la célébration des sacrements, par la grâce de Dieu, est efficace en soi (ex opere operato), mais cela ne garantit pas le plein engagement des personnes sans une manière adéquate de se situer par rapport au langage de la célébration. Une « lecture » symbolique n’est pas une connaissance purement intellectuelle, ni l’acquisition de concepts, mais plutôt une expérience vitale.

(...)

48. L’ars celebrandi, l’art de célébrer, est certainement l’une des façons de prendre soin des symboles de la liturgie et de croître dans une compréhension vitale de ceux-ci. Cette expression est également sujette à différentes interprétations. Son sens devient clair si elle est comprise en référence au sens théologique de la Liturgie décrit dans Sacrosanctum Concilium au n° 7 et auquel j’ai déjà fait référence à plusieurs reprises. L’ars celebrandi ne peut être réduit à la simple observation d’un système de rubriques, et il faut encore moins le considérer comme une créativité de l’imagination – parfois sauvage – sans règles. Le rite est en soi une norme, et la norme n’est jamais une fin en soi, mais elle est toujours au service d’une réalité supérieure qu’elle entend protéger.

49. Comme dans tout art, l’ars celebrandi requiert différents types de connaissances.
Tout d’abord, il faut comprendre le dynamisme qui se déploie à travers la liturgie. L’action de la célébration est le lieu où, par le biais du mémorial, le mystère pascal est rendu présent afin que les baptisés, par leur participation, puissent en faire l’expérience dans leur propre vie. Sans cette compréhension, la célébration tombe facilement dans le souci de ce qui est extérieur (plus ou moins raffiné) ou dans le souci des seules rubriques (plus ou moins rigides).
Ensuite, il est nécessaire de savoir comment l’Esprit Saint agit dans chaque célébration. L’art de célébrer doit être en harmonie avec l’action de l’Esprit. C’est seulement ainsi qu’il sera libre des subjectivismes qui sont le fruit de la domination des goûts individuels. Ce n’est qu’ainsi qu’il sera libre de l’invasion d’éléments culturels assumés sans discernement et qui n’ont rien à voir avec une compréhension correcte de l’inculturation.
Enfin, il est nécessaire de comprendre la dynamique du langage symbolique, sa nature particulière, son efficacité.

50. Avec ces brèves indications, il devrait être clair que l’art de la célébration ne s’improvise pas. Comme tout art, il exige une application constante. Pour un artisan, la technique suffit. Mais pour un artiste, en plus des connaissances techniques, il faut aussi de l’inspiration, qui est une forme positive de possession. Le véritable artiste ne possède pas un art, mais il est possédé par lui. On n’apprend pas l’art de célébrer en fréquentant un cours d’art oratoire ou de techniques de communication persuasives. (Je ne juge pas les intentions, je ne fais qu’observer les effets). Tout outil peut être utile, mais il doit être au service de la nature de la liturgie et de l’action de l’Esprit Saint.



Comme vous l'avez compris, quand j'ai lu ce texte avec les connaissances dont j'ai entamé la présentation, j'ai été frappé du fait que le pape s'acharne sur ceux qui vivent de la liturgie permettant le mieux cette expression vitale. Car le rite tridentin, correctement dit, concerne tous les plans et aspects du prêtre et du fidèle, c'est assez impressionnant à constater lorsqu'on regarde cette question. D'autant, qu'en ces choses, même si l'automaticité du sacrement n'est bien évidemment pas contestée, la qualité du sacrement existe bel et bien : la messe du Padre Pio n'est pas la messe du jeune prêtre pressé pensant à autre chose. Si en théorie, on reçoit les mêmes grâces à l'une comme à l'autre messe, dans un cas, on a les chutes du Niagara, dans l'autre, on a un mince filet d'eau.

Le pape évoque brièvement la question du rite tridentin dans un autre de ses textes, et on reconnaît là toute l’amitié qu’il a pour les tradis.


95. Cette obscure mondanité se manifeste par de nombreuses attitudes apparemment opposées mais avec la même prétention de “dominer l’espace de l’Église”. Dans certaines d’entre elles on note un soin ostentatoire de la liturgie, de la doctrine ou du prestige de l’Église, mais sans que la réelle insertion de l’Évangile dans le Peuple de Dieu et dans les besoins concrets de l’histoire ne les préoccupe. De cette façon la vie de l’Église se transforme en une pièce de musée, ou devient la propriété d’un petit nombre. Dans d’autres, la même mondanité spirituelle se cache derrière la fascination de pouvoir montrer des conquêtes sociales et politiques, ou dans une vaine gloire liée à la gestion d’affaires pratiques, ou dans une attraction vers les dynamiques d’auto-estime et de réalisation autoréférentielle. Elle peut aussi se traduire par diverses manières de se montrer soi-même engagé dans une intense vie sociale, remplie de voyages, de réunions, de dîners, de réceptions. Ou bien elle s’exerce par un fonctionnalisme de manager, chargé de statistiques, de planifications, d’évaluations, où le principal bénéficiaire n’est pas le Peuple de Dieu mais plutôt l’Église en tant qu’organisation. Dans tous les cas, elle est privée du sceau du Christ incarné, crucifié et ressuscité, elle se renferme en groupes d’élites, elle ne va pas réellement à la recherche de ceux qui sont loin, ni des immenses multitudes assoiffées du Christ. Il n’y a plus de ferveur évangélique, mais la fausse jouissance d’une autosatisfaction égocentrique.



Je note également, et ce n’est pas la moindre des ironies, que le pape utilise à foison la notion de symbole. Or les symboles ne sont pas là pour rien, ils sont là pour transmettre une qualité vibratoire particulière, une force, une ambiance spécifique et particulière cachée sous ce symbole. On n’est pas très loin du domaine de l’énergétique (ou tout autre nom que vous choisirez d’utiliser).

Extraits :

26. L’émerveillement est une partie essentielle de l’acte liturgique car c’est l’attitude de ceux qui se savent confrontés à la particularité des gestes symboliques ; c’est l’émerveillement de celui qui fait l’expérience de la . puissance du symbole. , qui ne consiste pas à se référer à un concept abstrait mais à contenir et à exprimer dans sa . concrétude même ce qu’il signifie. .

27. La question fondamentale est donc la suivante : comment retrouver la capacité de vivre pleinement l’action liturgique ? Tel était l’objectif de la réforme du Concile. Le défi est très exigeant car l’homme moderne – pas dans toutes les cultures au même degré – a perdu la capacité de s’engager dans l’action symbolique qui est une caractéristique essentielle de l’acte liturgique.



Alors, quand je lis « forme positive de possession », « puissance du symbole », « concrétude de ce qu’un symbole signifie », « action symbolique », il est compliqué pour moi de ne pas le comprendre sous les formes énergétiques et de leurs capacités à habiter une cérémonie. Une bénédiction dite machinalement n'est pas une bénédiction où un flux sort de la main du prêtre bénissant. Le pape, avec ses mots, dit la même chose, il faut être habité de la bonne vibration, celle qui correspond à ce moment de la messe.
Là où je diffère de lui est que le rite tridentin est beaucoup plus propice à cette "forme positive de possession" que le nouvel ordo et qu'une suggestion serait de le présenter ainsi au pape. L'ironie pontificale est donc de suggérer une manière liturgique on ne peut plus orthodoxe, "In Persona Christi" mais avec un rite dont l'efficacité sur les plans invisibles se discute assez largement quand on le compare au rite tridentin.

Je sais que Mgr Guardini n’est pas en odeur de sainteté ici, mais là, c’est difficile de ne pas lui donner raison.

Guardini écrit : « C’est ainsi que s’ébauche la première tâche du travail de formation liturgique: l’homme doit retrouver sa puissance symbolique ». C’est une responsabilité pour tous, pour les ministres ordonnés comme pour les fidèles. La tâche n’est pas facile car l’homme moderne est devenu analphabète, il ne sait plus lire les symboles, il en soupçonne à peine l’existence. Cela se produit également avec le symbole de notre corps. Il est un symbole parce qu’il est une union intime de l’âme et du corps ; il est la visibilité de l’âme spirituelle dans l’ordre corporel ; et en cela consiste l’unicité humaine, la spécificité de la personne irréductible à toute autre forme d’être vivant. Notre ouverture au transcendant, à Dieu, est constitutive : ne pas la reconnaître nous conduit inévitablement non seulement à une méconnaissance de Dieu mais aussi à une méconnaissance de nous-mêmes. Il suffit de regarder la manière paradoxale dont le corps est traité, à un moment soigné de manière presque obsessionnelle, inspiré par le mythe de l’éternelle jeunesse, et à un autre moment réduisant le corps à une matérialité à laquelle on refuse toute dignité. Le fait est que l’on ne peut pas donner de valeur au corps en partant uniquement du corps lui-même. Tout symbole est à la fois puissant et fragile. S’il n’est pas respecté, s’il n’est pas traité pour ce qu’il est, il se brise, perd sa force, devient insignifiant.

Nous n’avons plus le regard de saint François qui regardait le soleil – qu’il appelait frère parce qu’il le sentait ainsi – le voyait bellu e radiante cum grande splendore, et, émerveillé, chantait : de te Altissimu, porta significatione. Le fait d’avoir perdu la capacité de saisir la valeur symbolique du corps et de toute créature rend le langage symbolique de la liturgie presque inaccessible à la mentalité moderne. Et pourtant, il ne peut être question de renoncer à ce langage. On ne peut y renoncer parce que c’est ainsi que la Sainte Trinité a choisi de nous atteindre à travers la chair du Verbe. Il s’agit plutôt de retrouver la capacité d’utiliser et de comprendre les symboles de la liturgie. Nous ne devons pas perdre espoir car cette dimension en nous, comme je viens de le dire, est constitutive ; et malgré les méfaits du matérialisme et du spiritualisme – tous deux négateurs de l’unité de l’âme et du corps – elle est toujours prête à resurgir, comme toute vérité.

(…)

Aussi l’agenouillement doit être fait avec art, c’est-à-dire avec une pleine conscience de son sens symbolique et du besoin que nous avons de ce geste pour exprimer notre manière d’être en présence du Seigneur. Et si tout cela est vrai pour ce simple geste, combien plus le sera-t-il pour la célébration de la Parole ?



Avec ce type de discours, reprenant la puissance du symbole, St François et son frère Soleil, le pape est à deux doigts de reprendre les énergies à son compte. Je suggère que les tradis s’adaptent, reprennent ce discours symbolique et énergétique, mais au service du rite tridentin.
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