Le Concile et la Révolution

Le Forum Catholique

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Peregrinus -  2021-10-10 19:47:34

Le Concile et la Révolution

Il se trouve que c'est un sujet auquel je réfléchis depuis longtemps. J’ai pour ma part été longtemps sceptique quant aux parallèles entre la Révolution française et Vatican II, d’autant plus qu’ils sont souvent assortis de références très mal maîtrisées aux controverses religieuses de 1790-1791 : j’ai eu l’occasion d’en parler longuement sur ce Forum.

Il me semble néanmoins que les comparaisons ne sont pas sans intérêt. Les parallèles doivent être maniés avec précaution, mais ils ne sont pas totalement injustifiés, si l'on tient bien compte des différences structurelles entre la monarchie française et l'Église.

L’Église étant bien plus essentiellement, bien plus fortement hiérarchique que n’importe quelle société politique, il n’était pas envisageable d’y renverser le pape. Cela n’a d’ailleurs pas été nécessaire, Paul VI s’étant rallié à une forme de révolution par le haut. Comme vous l’observez vous-même, le Concile et les réformes qui l’ont suivi ont anéanti dans l’Église les corps intermédiaires et multiplié les instances prétendument collégiales, qui ont dans les faits rendu inopérants tous les freins traditionnels à l’exercice d’un pouvoir illimité. Ce n’est pas si différent de ce qu’a fait la Révolution française. On peut d’ailleurs noter en passant que certaines théories de la collégialité qui ont cours depuis le Concile relèvent assez souvent de ce qu’au XVIIIe siècle on aurait appelé la solidité, et l’on pourrait sur ce point dresser des parallèles dignes d’intérêt avec l’Église constitutionnelle de 1791 ; mais le sujet demanderait de plus amples développements.

Dans les deux cas, la révolution est précédée :
- 1° d’un processus de centralisation dont l’ultramontanisme donne un bon exemple ;
- 2° d’un déplacement d’accent quant à la nature du pouvoir. Le pouvoir monarchique est à l’origine d’essence judiciaire ; le rôle du monarque est de faire régner la justice. À l’époque moderne, et plus particulièrement à partir du règne de Louis XIV, s’impose une conception administrative du pouvoir monarchique. On pourrait, me semble-t-il, appliquer ce schéma, mutatis mutandis, au pouvoir pontifical, même si de ce point de vue le changement s’est accéléré depuis 1965 pour culminer dans le fameux « Qui suis-je pour juger ? » : la consécration de l’antijuridisme est un signe qui ne trompe pas. Cet antijuridisme n’empêche pas, loin de là, de frapper ou de condamner, de même que Robespierre déclamait devant la Convention, en décembre 1792, que les peuples ne jugent pas, mais lancent la foudre pour détruire leurs ennemis.
- 3° d’une fermentation intellectuelle qui est à mon sens moins la cause de la révolution que le climat dans lequel elle se déroule avant de conditionner ses développements.

Dans les deux cas, le processus révolutionnaire échappe pour une bonne part à ses initiateurs. Dans les deux cas, la lettre des documents emblématiques – Constitution de 1791, textes conciliaires – est aussitôt battue en brèche au nom de l’esprit de la révolution ou du concile. On pourrait citer ici des pages de Mallet du Pan qui semblent avoir été écrites pour l’Église d’après-Concile.

Dans les deux cas, le pouvoir central tente de reprendre le contrôle de la situation par une politique de radicalisation contrôlée. C’est ce que font la Convention et les comités en adoptant des mesures réclamées par les sans-culottes tout en faisant arrêter les chefs enragés. C’est ce que fait Paul VI en promulguant le nouvel ordo missae. Etc.

Les méthodes ne sont évidemment pas les mêmes : mais il existe des analogies dans le processus et dans les logiques proprement politiques qui méritent à mon sens qu’on s’y attarde.

Peregrinus
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