Notre-Dame-des-Neiges : un chantier qui interroge

Le Forum Catholique

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Jean Kinzler -  2020-06-24 09:52:03

Notre-Dame-des-Neiges : un chantier qui interroge

Notre-Dame-des-Neiges : un chantier qui interroge aussi les cathos écolos

Sixtine Chartier

Après Notre-Dame-des-Landes, Notre-Dame-des-Neiges ? Depuis l’été 2019, les travaux ont commencé à Saint-Pierre-de-Colombier, village ardéchois de 400 âmes, pour la construction d’une église de 3500 places et l’agrandissement du sanctuaire de Notre-Dame-des-Neiges, dont la statue immaculée surplombe la vallée. C’est la Famille missionnaire de Notre-Dame (FMND) qui en est le commanditaire.

Depuis plusieurs années, cette communauté catholique de sensibilité classique (mais pas « traditionnaliste », comme ont pu l’affirmer certains opposants), en développement, cherchait à s’agrandir pour accueillir plus aisément pèlerins et visiteurs. Mais un collectif d’habitants et de militants, « les Ami.es de la Bourges », s’y oppose frontalement, mettant en avant des failles de procédure et une destruction de la biodiversité. Si le feu couve depuis des années, le conflit a atteint un paroxysme ces derniers jours avec l’installation d’une Zad (zone à défendre) le 13 juin sur le site pour bloquer les travaux – aussitôt délogée par la préfète, qui a affirmé qu’ « il n’y aura pas de Zad en Ardèche ».

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Du côté des catholiques qui ont fait de l’écologie leur cheval de bataille, on s’interroge aussi sur le bienfondé d’un tel projet. Et les discussions vont bon train sur les réseaux sociaux. « On propose de bétonner un espace naturel, je dis non », lance Gaultier Bès, co-fondateur de la revue d’écologie intégrale Limite et auteur de Radicalisons-nous ! La politique par la racine (Première Partie). Il connaît un peu le site pour avoir déjà emmené sa troupe de scouts camper à Notre-Dame-des-Neiges et a côtoyé la communauté à Lyon lors de missions d’évangélisation, il y a plusieurs années.

On propose de bétonner un espace naturel, je dis non.
- Gaultier Bès, militant écologiste chrétien

Dans un premier temps, sur sa page Facebook, il relaie un article de Reporterre, très à charge, en dénonçant « une folie qui [lui] fait honte ». « Une expression un peu forte », reconnaît-il aujourd’hui après avoir échangé avec des proches de la communauté et avoir creusé un peu plus le fond de l’affaire. Mais il reste « peu convaincu » et l’a fait savoir à la communauté en échangeant par mail avec l’un des frères. « Est-ce que les bienfaits spirituel et humain (les retombées économiques pour la région) justifient des dégâts écologiques, même petits ? Je pense que non. Des gens proches de la communauté ou engagés dans le diocèse ne comprennent pas : il y a de grandes églises vides dans la région. »

« J’ai du mal à penser que la Vierge Marie souhaite être honorée aujourd’hui par un bâtiment qui va fragiliser, même de manière infinitésimale, la création, poursuit-il. On a construit des cathédrales et cela a bouleversé la nature, me dit-on. C’est vrai, mais aujourd’hui on est dans une situation écosystémique épouvantable, et on ne peut pas se permettre de perdre la moindre parcelle de vie. Tout ce qui continue l’emprise du béton sur la nature me semble un contre-témoignage pour nous chrétiens, qui devrions être aux avant-postes de la protection de la création. »
Au-delà des postures

Le naturaliste catholique – sous pseudonyme – Johannes Herrmann, co-auteur avec son épouse de la Vie oubliée. Crise d'extinction : agir avant que tout s'effondre (Première Partie), et également contributeur de Limite, nuance.« À la lecture de l’article de Reporterre, j’ai sauté au plafond. » Mais après une rapide enquête personnelle auprès de collègues naturalistes du département, il relativise : « Le projet n’a pas un impact grave en terme de biodiversité. Ce n’est pas Notre-Dame-des-Landes. » D’autre part, ne connaissant pas tous les tenants et aboutissants de l’affaire – notamment les raisons qui poussent la communauté à construire une telle église –, cet écologiste convaincu préfère réserver son jugement. Il tente désormais d’appeler au calme, en particulier sur les réseaux sociaux où il est actif. « Comme tous les catholiques engagés en écologie, et qui plus est étiqueté “biodiversité”, je me fais interpeler avec une certaine virulence, sur le mode “vous, les cathos”. Par pitié ! essayons de raisonner sur les pièces plutôt que d’en faire une pomme de discorde et un débat hyper-politisé où seule compte la posture. »

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« La démarche demandée dans Laudato si’ ne consiste pas à mettre le monde sous cloche, poursuit Johannes Herrmann . On ne peut pas dire : plus aucun projet de construction d’église ne doit exister à cette date. Ce serait une approche complètement dogmatique. L’important est d’évaluer convenablement, de manière rigoureuse et scientifique, les impacts de ce qu’on va faire, afin de voir si la planète peut se le permettre ou pas, selon la devise “voir, juger, agir” plébiscitée par le pape. » En revanche, ce lecteur assidu de l’encyclique sur l’écologie intégrale met en avant un critère contenu dans le texte du pape François : l’harmonie avec le contexte local. « Ça n’est visiblement pas respecté. Je ne sais pas pourquoi. Mais ce serait mauvais de passer en force. »

Je ne suis pas sûre que le projet soit très choquant juridiquement.
- Laura Morosini, juriste et fondatrice des Chrétiens unis pour la terre

« Je ne suis pas sûre que le projet soit très choquant juridiquement », estime de son côté Laura Morosini, juriste de l’environnement de métier et fondatrice des Chrétiens unis pour la terre. Elle considère cependant le projet « d’un autre siècle ». « Quand il y autant de patrimoine immobilier religieux sous-occupé, faut-il en construire des nouveaux ? », s’interroge-t-elle. « Et si vraiment il faut en construire, parce qu’il y a une dévotion historique sur le lieu, ne pourrait-on pas utiliser des structures légères, amovibles, des chapiteaux en bambous par exemple ? L’évangélisation ne me semble pas nécessiter une artificialisation accrue des sols. » Elle conclut : « Il faudrait explorer toutes les autres solutions, le projet semble prendre des précautions mais il n’est pas très innovant en terme de légèreté et de type de matériaux. »

À la FMND, le frère Clément-Marie, chargé de la communication, n’en finit plus de répondre à des demandes d’interviews. Après que la préfète a proposé aux parties une étude environnementale indépendante, il annonce à La Vie la suspension des travaux pour trois mois, « pour pouvoir réfléchir et dialoguer dans un climat un peu plus serein ». Aux catholiques écologistes dubitatifs, il répond également : « Il faut connaître les besoins de la communauté et du lieu de pèlerinage de Saint-Pierre-de-Colombier. Avec le nombre de pèlerins qui grandit, nous sommes régulièrement dans l’année confrontés à un problème de normes et de sécurité civile. » À l’occasion des grands rassemblements, « sept ou huit fois par an », l’église paroissiale du village, contenant 600 places, est trop petite. « Or, on ne peut pas déplacer un lieu de pèlerinage. Les gens viennent sur le lieu de Notre-Dame-des-Neiges et de fondation de la communauté. C’est un lieu où des grâces sont données. »

Il affirme également que l’impact environnemental a été pris en compte « depuis le tout début ». Et que Laudato si’ est un texte étudié et approfondi par la communauté. « Le fait que les abords de la future chapelle demeurent naturels est important, aussi pour des raisons spirituelles. L’entité foncière va rester à 80% naturelle. » Comment voit-il l’avenir ? « On est dans un optique de collaboration pour améliorer ce qui peut l’être dans notre projet, pour le rendre encore plus conforme à l’environnement. Mais la condition sine qua non est le respect de la légalité. » Comprendre : la communauté ne tolérera aucune Zad.
L’espoir d’une médiation ?

Alors que les relations entre les opposants au projet et la communauté sont, depuis des mois, très tendues, une médiation opérée par des croyants engagés en écologie serait-elle envisageable ? C’est l’option soulevée par plusieurs catholiques proches du café associatif lyonnais Le Simone, telles Mahaut Herrmann ou Marie-Hélène Lafage, vice-présidente des Alter-cathos. Car tous s’accordent à dire que cette affaire, au-delà de sa dimension locale, peut porter préjudice aux relations générales entre militants écologistes et catholiques, alors que ces derniers fêtent les cinq ans de l’encyclique du pape « sur la sauvegarde de notre maison commune ». Mais la complexité du dossier et l’engagement important qu’une telle médiation demanderait dissuade la plupart d’entre eux. C’est aussi une question de stratégie, estime Johannes Hermann : « On ne peut pas se permettre de dépenser une énergie folle pour des enjeux environnementaux qui n’en valent pas la peine car, dans un contexte où nous manquons de moyens, c’est une énergie qu’on ne met pas ailleurs. »

On ne peut pas se permettre de dépenser une énergie folle pour des enjeux environnementaux qui n’en valent pas la peine.
- Johannes Hermann, naturaliste

Plus opposé à titre personnel, Gaultier Bès, quant à lui, a bien essayé de faire appel au Vatican, par l’intermédiaire d’une de ses connaissances membre du dicastère pour le Développement humain intégral, mais on l’a renvoyé vers le diocèse. « L’autre option, c’est la Zad, avance-t-il. Mais il faut être prêt à en assumer les conséquences. Est-ce qu’on veut ouvrir un nouveau front entre catholiques ? » Il n’y est pas prêt. « Laudato si’ utilise le mot “dialogue” à 74 reprises », glisse pour sa part Laura Morosini, en forme de préconisation.

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Du côté du diocèse de Viviers, on fait savoir que « l’évêque ne souhaite pas communiquer sur ce sujet pour l’instant ». Mgr Jean-Louis Balsa semble entretenir des relations assez fraîches avec la FMND même si cette dernière indique à La Vie être « en contact avec l’évêque depuis le début de cette affaire » et « en communion avec lui ». La seule trace officielle de prise de position épiscopale remonte à un communiqué lapidaire du 19 décembre 2019, alors qu’une manifestation avait lieu. L’évêque disait alors « s’éleve[r] vigoureusement contre toute forme de violence d’où qu’elle vienne ». « Le diocèse n’a pas de référent “écologie intégrale”, note par ailleurs Laura Morosini. On sent le manque. »
Les grands rassemblements, un modèle daté ?

Au-delà des discussions autour du dossier Notre-Dame-des-Neiges, certains estiment par ailleurs que l’affaire pourrait conduire les catholiques à repenser leur rapport à la pratique religieuse. Et pour eux, c’est d’abord la question du pèlerinage et du centre spirituel qui est en jeu, a fortiori dans le contexte de crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19. « Il faut peut-être accepter de faire des rassemblements à 200 personnes plutôt qu’à 2000, soulève Gaultier Bès. En plus, ce serait plus facile pour nourrir les gens de façon écologique et faire vivre le petit producteur du coin plutôt que l’industrie agro-alimentaire. Il est temps de tourner la page des grands rassemblements qui impliquent des grands déplacements et une logistique qui favorise le gaspillage et le suremballage. »

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La gestion du patrimoine immobilier et foncier de l’Église est aussi à questionner, souligne Laura Morosini, qui invite à « une grande entreprise de recensement du bâti religieux français et à une réflexion de long terme : qu’est-ce qu’on vend ? qu’est-ce qu’on rénove ? Afin de mieux gérer ce patrimoine qui peut être lourd à long terme en terme d’entretien. » Autant de chantiers ambitieux ouverts par Laudato si’, ainsi que d’habitudes à réinterroger. « On est encore très loin d’avoir entendu la radicalité de l’appel du pape ! », conclut Gaultier Bès.
lv
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