La Mère du Sauveur et notre vie intérieure par Fr. Garrigou-Lagrange

Le Forum Catholique

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ami de la Miséricorde -  2020-05-31 00:05:11

La Mère du Sauveur et notre vie intérieure par Fr. Garrigou-Lagrange

CHAPITRE II

Article II - LE PRIVILÈGE DE L'IMMACULÉE CONCEPTION
De la pensée de saint Thomas sur L'Immaculée Conception


Saint Thomas n'examine pas dans la Somme la ques­tion : Marie a-t-elle été sanctifiée à l'instant même de l'animation. Saint Bonaventure avait ainsi posé le pro­blème et avait répondu négativement. Saint Thomas ne se prononce pas ; il s'inspire probablement en cela de l'attitude réservée de l'Eglise romaine qui ne célébrait pas la fête de la Conception célébrée en d'autres églises (cf. ibid., ad 3) Telle est du moins l'interprétation du P. N. del Prado, O. P., Santo Tomas y la Immaculada, Vergara, 1909. du P. Mandonnet, O. P., Dict. Théol. cath., art. Frères Prêcheurs, col. 899, et du P. Hugon, Tracta­tus dogmatici, t. II, ed. 5°, 1927, p. 749. Pour ces auteurs, la pensée du saint docteur, même en cette seconde période de sa carrière professorale, était celle exprimée longtemps après par Grégoire XV dans ses lettres du 4 juillet 1622 : « Spiritus Sanctus nondum tanti mysterii arcanum Eccle­siae suae patefecit. »

Les principes invoqués par saint Thomas ne concluent pas du tout contre le privilège, et ils subsistent parfaitement si l'on admet la rédemption, préservatrice.

On objecte cependant un texte difficile qui se trouve in III Sent., dist. III, q. 1, a. 1, ad 2am qm : « Sed nec etiam in ipso instanti infusionis (animae), ut scil. per gratiam tunc sibi infusam conservaretur ne culpam originalem incurreret. Christus enim hoc singulariter in humano genere habet, ut redemptione non egeat. » Le P. del Prado et le P. Hugon, loc. cit., répondent : « Le sens peut être la Sainte Vierge n'a pas été préservée de telle façon qu'elle ne devait pas encourir la tache originelle, car elle n'aurait pas eu besoin de rédemption. » On souhaiterait évidemment la distinction explicite entre le debitum incurrendi et le fait d'encourir la tache originelle.

Dans la dernière période de sa carrière, en 1272 ou 1273, saint Thomas, lorsqu'il écrit 'lExpositio super sala­latione angelica, qui est certainement authentique, dit : « Ipsa enim (beata Virgo) purissima fuit et quantum ad culpam, quia nec originale, nec mortale, nec veniale peccatum incurrit. »

Cf. J. F. Rossi, C. M., S. Thomae Aquinatis Expositio salutationis angelicae, Introductio et textus. Divus Tho­mas (Pl.), 1931, pp. 445-479. Tiré à part, Piacenza, Colle­gio Alberoni, 1931 (Monografie del Collegio Alberoni, II), in-8. Dans cette édition critique du Commentaire de l'Ave Maria, il est montré, pp. 11-15, que le passage cité relatif à l'Immaculée Conception se trouve dans seize manuscrits sur dix-neuf consultés par l'éditeur, qui conclut à son authenticité, et qui donne en appendice des photographies des principaux manuscrits.

Il serait souhaitable qu'on donnât sur chacun des prin­cipaux opuscules de saint Thomas une étude aussi cons­ciencieuse.Ce texte, malgré les objections faites par le P. P. Sy­nave, paraît bien être authentique. S'il en est ainsi, saint Thomas, à la fin de sa vie, après mûre réflexion, serait revenu à l'affirmation du privilège qu'il avait d'a­bord donnée dans le I Sent., dist. 44, q. 1, a. 3, ad 3, selon l'inclination sans doute de sa piété envers la Mère de Dieu. On peut noter aussi d'autres indices de ce retour à sa première manière de voir.
Cette évolution, du reste, n'est pas rare chez les grands théologiens, qui, portés par la Tradition, affirment par­fois d'abord un point de doctrine sans en voir encore tou­tes les difficultés ; il leur arrive d'être ensuite plus réser­vés, et finalement la réflexion les ramène à leur point de départ lorsqu'ils se disent que les dons de Dieu sont plus riches qu'il ne nous paraît, et qu'il ne faut pas les limiter sans de justes raisons. Or, nous l'avons vu, les principes invoqués par saint Thomas ne concluent pas contre le privilège, et même ils y conduisent lorsqu'on parvient à l'idée explicite de rédemption préservatrice.

Récemment, le P. J.-M. Vosté, O. P., Commentarius in IIIam P. Summae theol. S. Thomae (in q. 27, a. 2), 2° ed., Romae, 1940, accepte l'interprétation de J.-F. Rossi et tient lui aussi que saint Thomas, à la fin de sa vie, est revenu après réflexion à l'affirmation du privilège qu'il avait exprimée au début de sa carrière théologique.. Il est du moins sérieusement probable qu'il en est ainsi.

Source : Livres-mystiques.com

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