Précisions et nuances

Le Forum Catholique

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Signo -  2020-04-24 14:50:44

Précisions et nuances

Permettez-moi de préciser et de nuancer ma pensée.

1/ Il faut bien faire la distinction entre le concile de Trente en lui-même et la "Contre-réforme", c'est à dire le vaste et complexe phénomène ecclésial qui a suivi. De même qu'il faut bien distinguer les textes de Vatican II, dont beaucoup sont très traditionnels (notamment celui sur la liturgie), et le néo-moderno-progressisme tel qu'il s'est concrètement manifesté dans les diocèses et qui sur bien des point s'oppose frontalement aux enseignements du Concile.
Mon analyse de la Contre-Réforme que je présente plus haut ne signifie certainement pas que je la considère comme entièrement négative, bien au contraire. La CR a produit de nombreux saints (S. François Xavier, Saint Ignace, Saint Charles Borromée, etc), a permis le renouveau de nombreux ordres religieux et la création de nombreux autres (dont le Carmel, qui a donné tant de saints éblouissants à l'Eglise). La CR s'est accompagnée de la rechristianisation de certaines campagnes, elle a également fait reculer le protestantisme en bien des régions. Même la Compagnie de Jésus, que je critique souvent pour son aversion pour la liturgie, a réalisé un travail d'évangélisation considérable, en Asie notamment. Je ne nie évidemment aucun de ces apports qui ont incontestablement provoqué un renouveau de l'Eglise et de la foi et dont bien des aspects doivent être conservés. Mais il faut aussi être conscient des limites de ce renouveau, et aussi du fait qu'il s'inscrit dans la modernité naissante qui est aujourd'hui dépassée puisque nous sommes dans la post-modernité.

Par ailleurs, il faut bien comprendre que Trente et la CR n'ont pas été mis en oeuvre immédiatement et en une seule fois, mais, par morceaux et progressivement jusqu'au XIXe siècle. Les séminaires n'apparaissent qu'au XVIIe siècle. La généralisation du rite romain au XIXe siècle a consacré et parachevé le modèle tridentin qui a servi de boussole pour réorganiser l'Eglise gallicane d'Ancien Régime détruite par la Révolution (et celles qui ont suivi) sur des bases entièrement nouvelles, romaines et ultramontaines. Jusqu'ici le gallicanisme avait freiné et filtré bien des aspects de la réforme tridentine. Il résulte que l'Eglise telle qu'elle se présente à la veille de Vatican II repose sur un modèle tridentin tardif, marqué par l'ultramontanisme, qui date du XIXe siècle.

2/A propos des Pères, il me semble qu'il y avait dans le milieu du XXe siècle trois attitudes majeures: a) un profond et réel désir de redécouvrir les textes patristiques tels qu'ils sont sans rien renier des acquis de Trente et de la Contre-Réforme, mais en relisant ceux-ci à la lumière de la Tradition patristique; b) une forme de néo-modernisme pour lequel le "retour aux Pères" est un prétexte pour rallier l'Eglise au monde moderne, et c) la position classique et post-tridentine, composée de ceux qui considèrent comme suspect tout intérêt porté aux Pères, aux études bibliques, et à la liturgie.
La position a) correspond à la position officielle de l'Eglise telle qu'elle s'est exprimée avec Vatican II et qui était déjà celle de Dom Guéranger au XIXe siècle; la position b) correspond aux modernistes qui archéologisent à tort et à travers pour justifier l'introduction du progressisme théologique, ecclésiologique, pastoral et liturgique dans l'Eglise (condamné par Pie XII dans Mediator Dei, mais qui triomphe après Vatican II). Enfin la position c) correspond à la "vieille garde" tridentine, qui s'arc-boutent en guise de patristique sur une référence quasi exclusive à S. Augustin, qui pratique un thomisme desséché (s'éloignant considérablement du thomisme originel) et qui considèrent que la lutte contre le protestantisme et le modernisme est l'alpha et l'oméga de la vie de l'Eglise. Hélas, bien des traditionalistes se rattachent à cette dernière catégorie, en particulier la FSSPX, la FSSP et l'IBP. Les monastères attachés à la FE ainsi que la communauté Saint-Martin se rattachent davantage à la position a); enfin l'immense majorité des autres catholiques se rattachent à la position b), qui est probablement la pire de toutes.

3/Il ne s'agit évidemment pas de condamner les dévotion privées, dont Pie XII avait admis la pleine légitimité en complément de la liturgie. Toutefois, on peut regretter que ces dévotions aient pris dans la vie spirituelle des fidèles une importance telle qu'elle en vient parfois à reléguer au second plan tout le reste, et notamment la liturgie (messe bien sûr mais aussi et surtout office divin), qui doit garder la place d'honneur. Or il faut savoir que malgré tous les efforts du mouvement liturgique et les enseignements de Vatican II, la liturgie n'a aujourd'hui toujours pas dans la vie de l'Eglise la place qu'elle devrait avoir. Parallèlement, les dévotions privées ont été grandement valorisées par le magistère récent: S. Jean-Paul II a écrit une lettre apostolique sur le Rosaire, tandis que François en a écrit une autre sur... la crèche! (quand je l'ai appris, j'avoue avoir pensé à un poisson d'avril ou à un article du Gorafi).

On ne peut par ailleurs que rester perplexe face à l'obsession pour le chapelet qu'il y a dans certains milieux conservateurs, traditionalistes notamment, où cette dévotion (évidemment légitime et hautement recommandable en elle-même) semble être recommandée avec insistance et à l'exclusion de toutes les autres (la liturgie des heures étant considérée comme l'apanage des clercs seuls... ce qui est pourtant contraire à sa nature même). De même, la fameuse référence aux "Trois blancheurs" (Eucharistie, Vierge, Pape) me laisse perplexe: sans évidemment être mauvaise en elle-même, elle me paraît encore une fois relever d'un catholicisme tridentin très soucieux de valoriser tout ce qui nous oppose au protestantisme... quitte à oublier tout le reste. Bref, à mon avis il y a un équilibre à retrouver dans le domaine de la spiritualité, mais je reconnais que la question est complexe.
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