Intéressant. La fin du modèle tridentin?

Le Forum Catholique

Imprimer le Fil Complet

Signo -  2020-04-23 22:51:20

Intéressant. La fin du modèle tridentin?

Votre article sur le dévoiement de la notion d'obéissance dans l'Eglise de la Contre-Réforme, notamment du fait des Jésuites (tiens tiens...) est intéressant.

Cela confirme mon intuition sur la question, qui est que le modèle d'Eglise mis en place après Trente montre ses limites et est en train d'imploser.

La Contre-Réforme, comme son nom l'indique, a été tout entière une réaction de défense contre le protestantisme, et, en même temps, une adaptation de l'Eglise à la modernité naissante.

Réaction: l'Eglise met en place tout un arsenal juridico-disciplinaire pour contrer les menaces externes (protestantisme) et internes (décomposition liturgique, pastorale et morale). L'essentiel de cet arsenal repose sur la répression dans ce que j'appelle la "politique du corset": répression doctrinale (Index, inquisition romaine), rigidification de la liturgie pour lutter contre les abus (codification du missel romain, rubricisme), discipline de fer et uniformisation dans le clergé (obéissance "perinde ac cadaver" des Jésuites, mise en place des séminaires), centralisme et jacobinisme papal, culte du secret et de la surveillance à tous les échelons de la hiérarchie (il serait d'ailleurs intéressant de retracer les origines du fameux "secret pontifical").

Adaptation: Trente consacre le triomphe dans l'Eglise, de manière insidieuse mais bien réelle, de la modernité religieuse: individualisme, devotio moderna (c'est à dire spiritualité cérébrale, sèche, individualiste), préférence donnée à la messe basse par rapport à la messe solennelle chantée, dépréciation de l'office divin (les Jésuites sont le premier ordre religieux à n'être pas astreints au chant de l'office au choeur, considéré comme "une perte de temps"), rationalisme, juridisme, volonté d'uniformisation et de centralisation, divorce entre charisme et institution avec primat de cette dernière (ce qui expliquerait que l'on ait longtemps privilégié les intérêts et la réputation de l'institution au bien des victimes d'abus).

Il résulte de tout cela que l'Eglise se transforme en une gigantesque institution militarisée, quasi carcérale, qui se rigidifie au fur et à mesure qu'elle sent monter les contestations du monde moderne naissant. Dans les ordres religieux, les pratiques ascétiques, jadis ordonnées à la contemplation, deviennent peu à peu des fins en soi et donc se transforment en névroses débouchant sur d'indéniables excès qui finissent par être contre-productifs (ainsi les souffrances de S. Thérèse de Lisieux au Carmel, certains témoignages sur les pratiques ascétiques extrêmes voire quasi morbides en vigueur jusqu'au Concile chez les capucins, et même les bénédictins, etc.). On peut aussi noter une inflation de dévotions privées, non-liturgiques (et donc de moins en moins appuyées sur la saine spiritualité des Psaumes, les textes bibliques et patristiques), dévotions privées inconnues des Anciens et qui bien souvent versent soit dans le mièvre, soit dans le pompeux, soit dans le dolorisme.

Parallèlement à ces évolutions, on sait que l'enseignement théologique et spirituel dans les séminaires et les maisons religieuses avant le Concile était très inégal, dépendait énormément des capacités de l'enseignant, mais étaient bien souvent très pauvre et se réduisait très souvent à l'enseignement de la morale et à des pratiques ascétiques détachées de leur finalité mystique. Ce modèle tridentin triomphe en particulier au XIXe siècle.

Tout cela a fait que juste avant le Concile, ce qu'il y avait de traditionnel dans l'Eglise était recouvert d'une couche de dévotions mièvres, de dolorisme, de moralisme et de névroses qui rendaient haïssable la Tradition. C'est en partie ce qui explique qu'une génération entière de clercs aient jeté à la poubelle le bébé avec l'eau du bain. Tout cela a ouvert une autoroute pour le modernisme qui a su exploiter cette sensation d'étouffement et de répulsion.

Or, je pense que l'un des problèmes principaux du traditionalisme actuel est qu'il n'a pas vraiment rompu avec ce "modèle tridentin" dont les limites apparaissent trop clairement aujourd'hui.
On y trouve des réflexes typiques de l'Eglise ante-conciliaire, qui non seulement n'ont rien à voir avec la Tradition, mais encore souvent s'y opposent. Ainsi, dans me domaine liturgique, un certain rubricisme aveugle, qui consiste à défendre (souvent avec raison) des formes rituelles dont on ne comprend plus le sens profond, ainsi qu'un certain attachement à un decorum lourd et pompeux typique de la Contre-Réforme, mais absolument pas traditionnel, et qui souvent donne de la liturgie traditionnelle une image caricaturale (caricature qu'on ne trouve pas, par exemple, dans les monastères usant de la FE).

Autre exemple: j'ai entendu récemment un témoigne assez édifiant: un catéchumène adulte a pour parrain un religieux d'une communauté traditionaliste du sud de la France. Le catéchumène souhaite lire les Pères grecs. Son parrain essaie de l'en dissuader et lui dit que c'est inutile, parce que "S. Augustin est suffisant et que S. Thomas et la théologie médiévale ont tout résumé".
Autrement dit, aujourd'hui encore dans certains milieux, on trouve des hommes d'Eglise qui dissuadent la lecture des Pères grecs... attitude typique de l'Eglise post-tridentine et qui consiste à se couper d'une partie de la Tradition en s'enfermant dans l'augustinisme exclusif et un thomisme desséché... Il est donc évident qu'il y a un problème.
http://www.leforumcatholique.org/message.php?num=893452