La théologie n'est généralement pas spéculative

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Rémi -  2020-01-07 16:49:11

La théologie n'est généralement pas spéculative

mais saint Thomas, lui, il a le droit. Et cela donne une question qui pourrait générer une intéressante uchronie "Et si nos premiers parents n'avaient pas péché ? " ...


Tertia pars de la Somme de théologie, Q1 :


ARTICLE 3 : Si l'homme n'avait pas péché, Dieu se serait-il incarné?


Objections :


1. Il semble que Dieu se serait incarné de toute façon, car l'effet demeure tant que demeure la cause. Mais, dit S. Augustin : "On peut penser à bien d'autres effets de l'Incarnation " en dehors de la libération du péché, dont on vient de parler. Donc, même si l'homme n'avait pas péché, Dieu se serait incarné.

2. Il revient à la toute-puissance divine d'accomplir parfaitement ses oeuvres et de se manifester par un effet infini. Mais une simple créature ne peut être considérée comme un effet infini, puisqu'elle est finie par son essence. C'est seulement dans l'oeuvre de l'Incarnation que se manifeste principalement l'effet infini de la puissance divine, puisqu'elle unit deux êtres infiniment éloignés l'un de l'autre, en tant qu'elle réalise l'hominisation de Dieu. C'est même dans cette oeuvre que l'univers atteint sa perfection, puisque l'aboutissement de la création, qui est l'homme, s'unit à son premier principe, qui est Dieu. Donc, même si l'homme n'avait pas péché, Dieu se serait incarné.

3. Le péché n'a pas rendu la nature humaine plus capable de recevoir la grâce. Mais après le péché elle a été capable de l'union hypostatique, qui est la plus haute des grâces. Donc, si l'homme n'avait pas péché, la nature humaine aurait été capable de cette grâce. Et Dieu n'aurait pas privé la nature humaine de ce bien dont elle était capable.

4. La prédestination divine est éternelle. Mais il est dit du Christ, dans l'épître aux Romains (1, 4) : "Il a été prédestiné Fils de Dieu avec puissance." Donc, même avant le péché, il était nécessaire que le Fils de Dieu s'incarne pour que la prédestination divine s'accomplisse.

5. Le mystère de l'Incarnation a été révélé au premier homme, comme le montre ce qu'il a dit (Gn 2, 23) : "Cette fois, c'est l'os de mes os, et la chair de ma chair ! " Et l'Apôtre déclare (Ep 5, 32) : "C'est un grand mystère, relativement au Christ et à l'Église." Mais l'homme ne pouvait prévoir sa chute, pour le même motif qui la faisait ignorer à l'ange, comme le prouve S. Augustin. Donc, même si l'homme n'avait pas péché, Dieu se serait incarné.



Cependant : sur le texte de S. Luc (19, 10) : "Le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu", S. Augustin affirme : "Donc, si l'homme n'avait pas péché, le Fils de l'homme ne serait pas venu." Et sur cette parole (1 Tm 1, 5) : "Le Christ est venu dans le monde pour sauver les pécheurs", la Glose affirme : "Il n'y a pas d'autre motif à la venue du Christ Seigneur que le salut des pécheurs. Supprimez la maladie, supprimez les blessures, et il n'y a pas de motif pour recourir aux remèdes."


Conclusion :

Diverses opinions ont été émises à ce sujet. Certains prétendent que, même si l'homme n'avait pas péché, le Fils de Dieu se serait incarné. D'autres soutiennent le contraire, et c'est plutôt à leur opinion qu'il faut se rallier. En effet, ce qui dépend de la seule volonté de Dieu et à quoi la créature n'a aucun droit, ne peut nous être connu que dans la mesure où c'est enseigné dans la Sainte Écriture, qui nous a fait connaître la volonté de Dieu. Aussi, puisque dans la Sainte Écriture le motif de l'Incarnation est toujours attribué au péché du premier homme, on dit avec plus de justesse que l'oeuvre de l'Incarnation est ordonnée à remédier au péché, à tel point que si le péché n'avait eu lieu, il n'y aurait pas eu l'Incarnation. Cependant la puissance de Dieu ne se limite pas à cela, car il aurait pu s'incarner même en l'absence du péché.



Solutions :

1. Tous les autres motifs assignés à l'Incarnation se rattachent à la guérison du péché. Car si l'homme n'avait pas péché, il aurait été inondé par la lumière de la sagesse divine, et Dieu lui aurait donné la perfection de la justice pour tout ce qu'il avait besoin de connaître et de faire. Mais parce que l'homme, en abandonnant Dieu, s'était effondré au niveau des réalités corporelles, il convenait que Dieu, en s'incarnant, lui apporte le remède du salut par des moyens corporels. C'est pourquoi, sur la parole de Jean (1, 14) : "Le Verbe s'est fait chair", S. Augustin affirme : "La chair t'avait aveuglé, la chair te guérit; car le Christ est venu pour éteindre par la chair les passions de la chair."

2. Dans le mode de production des choses à partir de rien, la puissance infinie de Dieu se manifeste déjà. En outre, il suffit à la perfection de l'univers que la créature s'oriente vers Dieu comme vers sa fin, en vertu de sa nature. Mais que la créature s'unisse à Dieu dans la personne, cela dépasse les limites de sa perfection naturelle.

3. On peut considérer une double capacité dans la nature humaine. L'une est dans l'ordre de la puissance naturelle. Celle-là est toujours comblée par Dieu, qui donne à chaque être ce que demande la capacité de sa nature. L'autre capacité se mesure à la puissance divine, à qui toute créature obéit sans hésitation. Et c'est à celle-ci que se rapporte la capacité alléguée dans l'objection. Mais Dieu ne comble pas totalement cette capacité de la nature; autrement il faudrait dire que Dieu n'aurait pas pu faire dans sa créature autre chose que ce qu'il a fait, ce qui est faux, comme on l'a établi dans la première Partie.

Mais rien n'empêche que la nature humaine ait été élevée à un niveau supérieur après le péché; car Dieu permet le mal pour en tirer un plus grand bien. Comme dit S. Paul (Rm 5, 20) : "Là où le péché a abondé, la grâce a surabondé." Et l'on chante dans la bénédiction du cierge pascal : "Heureuse faute, qui nous valut d'avoir un si grand Rédempteur ! "

4. La prédestination suppose la prescience de l'avenir. C'est pourquoi, de même que Dieu prédestine un homme au salut pour exaucer la prière d'autres hommes, de même a-t-il prédestiné l'oeuvre de l'Incarnation à guérir le péché des hommes.

5. Rien n'empêche de révéler à quelqu'un un effet dont on ne lui révèle pas la cause. Le mystère de l'Incarnation a donc pu être révélé au premier homme sans qu'il puisse prévoir sa chute : car quiconque connaît un effet ne connaît pas toujours sa cause.
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