Quelques précisions

Le Forum Catholique

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Signo -  2019-09-18 18:07:09

Quelques précisions

Ce n'est pas parce que le XIIIe siècle peut-être considéré comme le sommet de la spiritualité chrétienne qu'il est nécessairement un âge d'or et que le cours normal de la vie des sociétés humaines s'arrête. Bien sûr, il y a eu des guerres, des épidémies, des conflits etc. Même dans le seul domaine religieux les choses sont loin d'avoir été parfaites.

De même, ce n'est pas parce qu'une époque est décadente sur le plan de la spiritualité qu'il n'y a pas de saints, de grandes vagues d'évangélisation, et des tas d'autres choses très édifiantes. Des saints, il y en a même à notre époque! C'est Dieu qui suscite les saints, et Dieu lui, n'est jamais en décadence. En revanche, je crois que l'on peut affirmer de manière certaine que au cours des périodes de décadence, la relation à Dieu de la majorité de la population chrétienne peut être sérieusement altérée si la liturgie entre en crise. Les saints qui ont existé dans les périodes de décadence l'ont été en dépit de la crise de la liturgie et de la spiritualité, et non pas grâce à cette crise.

Ce n'est pas la "machine ecclésiastique" qui s'est cassé à la Renaissance, c'est l'esprit traditionnel. Et vous avez raison de souligner le rôle néfaste de l'apparition de l'imprimerie qui a probablement joué un rôle décisif dans la destruction de la tradition orale, et qui n'a donc peut-être pas été le gigantesque progrès que l'on nous a vendu.

Je ne reproche rien à l'Eglise tridentine: les autorités, notamment S. Pie V, ont fait ce qu'ils ont pu pour sauver ce qui pouvait l'être dans le contexte d'alors. Le rubricisme et le juridisme sont peut-être regrettables mais il s'agissait sans doute de la seule solution pour contrer la décadence de la spiritualité. Les papes de Trente ne sont pas responsables de la crise de l'esprit traditionnel, pas plus que Paul VI et tous les papes de l'après Concile ne sont responsables de l'effondrement post-Vatican II. Nous aurions eu un S. Pie X dans les années 1960-1970, l'histoire aurait été à peu près la même et en tout cas l'effondrement aurait de toute façon eu lieu. En général d'ailleurs, on exagère l'impact de la politique des papes sur la situation concrète des chrétiens dans les diocèses. L'Eglise subit des influences et est traversée par des mouvements de fond qui la plupart du temps échappent totalement au contrôle de Rome.

La réforme tridentine, en intégrant une certaine forme de mentalité moderne dans la liturgie, a été incontestablement un appauvrissement de la liturgie romaine. D'ailleurs, d'autres que moi sur ce forum l'on constaté. De toute façon l'Eglise n'avait pas le choix. La liturgie d'alors était d'ailleurs en totale décadence: l'office divin par exemple n'apparaissait plus que comme une lourde, longue et prétentieuse cérémonie qui déjà ne nourrissait plus la vie intérieure. C'est pourquoi on a préféré l'abandonner et le transformer en une récitation mentale et individuelle. Il ne faut pas voir tout blanc ou tout noir: bien sûr que la réforme tridentine, en suscitant une ré-évangélisation de bien des régions face au protestantisme, ainsi que de nombreux saints,a eu des aspects plus que positifs. Il ne s'agit pas de nier cela et mon objectif n'est pas de condamner la réforme tridentine mais de comprendre comment nous en sommes arrivés là.
Il me paraît incontestable que l'art religieux après Fra Angelico va dégénérer en Occident en un anthropocentrisme dans lequel, malgré les thématiques religieuses, on sent le triomphe du sentimentalisme et du subjectivisme, alors que normalement le véritable art sacré obéit à des canons très précis, a une dimension symbolique et se caractérise par une forme de hiératisme (c'est le cas du roman, de l'art byzantin et notamment des icônes...) qui fait que l'image n'est que le reflet des réalités célestes. Par exemple, on insistera de plus en plus sur l'humanité du Christ, ses souffrances, etc dans l'art pictural, jusqu'à parfois tomber dans un dolorisme et une certaine mièvrerie qui finiront par être passés de mode et qui finiront par nous révulser: c'est ce qui explique les nombreuses crises iconoclastes qu'a connu l'Occident d'abord lors de l'apparition du protestantisme, puis dans les années 1970.

La question de la place de la religion dans la vie quotidienne est une autre question car cette place centrale ne sera remise en cause que par la déchristianisation de masse des années 1970-1980. Auparavant, il y a eu plusieurs vagues de déchristianisation/rechristianisation (au XIVe, au XVIIe, aux XVIIIe-XIXe siècles...) mais rien de comparable à la déchristianisation radicale que nous connaissons depuis soixante ans.
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