La tentation du fixisme en liturgie

Le Forum Catholique

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Candidus -  2016-11-26 15:02:56

La tentation du fixisme en liturgie

Je termine la lecture de deux ouvrages de référence sur la liturgie romaine : The Mass: a study of the Roman liturgy de l’abbé Adrian Fortescue (1874-1923) et The liturgy of the Mass du Dr. Pius Parsch (1884-1954), ed. B. Herder Book Co., 1940 (traduction anglaise de l’original allemand).

Ces ouvrages sont d’une grande qualité (surtout le premier) mais ils remettent aussi en cause beaucoup d’idées reçues dans le milieu traditionaliste où il est de bon ton de parler de “Messe de toujours”, de "Messe de St Grégoire-le-Grand", etc. Lorsque l’on se penche sur la genèse du missel romain, la réalité apparaît bien différente.

Des trois parties principales de la messe romaine (Offertoire, Canon, Communion), seul le Canon peut se prévaloir d’une origine remontant à l’antiquité chrétienne quant au texte lui-même, mais pas quant aux différentes cérémonies qui l’accompagnent (signes de croix, génuflexions, élévations, etc.). Par ailleurs, aussi bien les rites d'introduction (prières au bas de l'autel) que ceux qui suivent le Pater (Libera nos... Domine Jesu Christe, qui dixisti... Domine Jesu Christe Filii, Dei vivi... Perceptio corporis tui...) et ceux qui concluent la messe (Placeat, dernier évangile), n’ont une origine antique si l’on fait abstraction des textes du propre de la messe. Ils sont tous d'origine médiévale.

En ce qui concerne le rite de communion, "la pratique de dire le Confiteor, les formules d’absolution, l’Agnus Dei, et le plus récent Domine non sum dignus, ont été introduits dans la messe durant le XIVème siècle, à partir du rite de communion des malades et du rite de communion en dehors de la messe." Abbé Fortescue, p. 311.

Je voudrais faire une mention particulière de l’Offertoire parce que c’est sans doute le fait le plus troublant et le plus méconnu.

Voici comment se déroulait l’offertoire de la messe romaine à l’époque dite classique de la liturgie romaine (VIIème siècle) :

Durant un chant, les fidèles apportaient leurs dons jusqu’aux tables réservées aux offrandes lors d’une procession d’offertoire ; le diacre choisissait les dons (pain et vin) requis pour le sacrifice et les apportait à l’autel. Après le lavement des mains, le prêtre ou l’évêque récitait l’unique prière d’oblation, connue aujourd’hui sous le nom de Secrète. Ceci concluait l’Offertoire. Plus tard, quand la procession de l’Offertoire tomba en désuétude, le chant fut raccourci et une série de prières par le prêtre fut introduite, essentiellement pour la messe privée, pour combler le vide créé par l’omission de la procession d’Offertoire des fidèles. Ces prières, dans leur état actuel, ont été introduites dans l’Eglise Romaine au XIVème siècle ; ailleurs, jusqu’au temps de Pie V, la plus grande diversité existait quant à ces prières.
p. 165 The liturgy of the Mass du Dr. Pius Parsch.

Vous avez bien lu, jusqu’au XIVème siècle, l’unique Offertoire du rite romain était l’offrande du pain et du vin apportés par les fidèles lors d’une procession, suivie par l'oraison de la Secrète. La procession et l’offrande des fidèles étant tombées en désuétude, progressivement les prêtres ont commencé à introduire des dévotions privées pour combler ce vide et cela a conduit aux prières actuelles de l'Offertoire, d’origine gallicane, dans la liturgie romaine traditionnelle.

Ainsi que je l’avais indiqué dans un message il y a quelques jours, l’abbé Fortescue explique que de son temps (fin XIXème siècle), la messe du Samedi Saint telle qu’elle était célébrée à la basilique majeure de St Jean du Latran, ne comportait pas d’offertoire, "conformément à la tradition liturgique romaine" (p. 387).

L’étude du développement du missel romain devrait donc nous conduire à éviter les jugements trop abrupts (notamment sur l’Offertoire du NOM) et la tentation du fixisme. Notre missel n’est pas un fossile du VIème siècle (voire plus ancien si l’on en croit certains) mais cela ne diminue en rien sa valeur forgée dans le creuset des siècles sous l’inspiration du St Esprit.

La leçon est claire : seul un développement organique a pu produire la grandeur et l’équilibre de notre liturgie traditionnelle, contrairement à son succédané ordinaire “fabriqué" en quelques mois par des professeurs se mouvant dans l’atmosphère décadente des 60’s.
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