Il me souviens

Le Forum Catholique

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Diafoirus -  2011-05-21 12:20:21

Il me souviens

d'avoir lu dans l'ouvrage de Jean Pierre DICKES La Blessure , un passage concernant Gérard LECLERC. Je n'ai pas ce livre sous la main, pour vérifier. A moins que ma mémoire me joue des tours.

Voici ce qu'on trouve sur ce livre :

La Blessure, un livre qui interpelle toujours
Livres d'Histoire
02-08-2007

1998. Jean-Pierre Dickès publie La Blessure, un livre devenu célèbre depuis, un des rares témoignages de la période des années 1965-1966 sur la façon dont « l'Esprit du Concile » fut vécu dans les séminaires : c'est à l'intérieur même du séminaire qu'il a connu la gigantesque mutation de l'Eglise et de la société.

Voilà que ce livre, qui a fait une fort belle carrière, se trouve être l'objet d'un intérêt renouvelé depuis la publication du Motu proprio de Sa Sainteté Benoît XVI. Comme si les jeunes générations s'intéressant à la liturgie traditionnelle voulaient en outre savoir ce qui s'était vraiment passé « à l'époque ». A l'intention des nouveaux lecteurs, en voici donc un extrait (pages 113-116) traitant de l'évolution de la liturgie au Séminaire d'Issy-les-Moulineaux:



....."A Issy, les choses allaient bon train. Fin décembre, rubrique par rubrique, la messe était démembrée. Le latin était évacué. Il ne restait plus de la messe latine qu'une dernière et ultime phrase à laquelle le pape Paul VI tenait, paraît-il, particulièrement. C'était l'Orate fratres. Emmanuel de Jerphanion, qui avait beaucoup de cran, faisait exprès de répondre bruyamment le Suscipiat Dominus ; ultime et dérisoire protestation. Lui aussi se faisait repérer, et cela allait lui coûter cher.

Puis les autels furent retournés. On ne montait plus vers Dieu. Introibo ad altare Dei. « Je monterai vers l'au­tel de Dieu, du Dieu qui réjouit ma jeunesse ». Ainsi com­mençait la messe. Celle qui avait été codifiée par saint Pie V. C'était la prière au bas de l'autel (psaume 42). Ce fut le premier texte supprimé. Cela coïncidait avec la modification de l'orientation de l'autel. On ne rendait plus gloire au Dieu du Ciel. Dieu était redescendu au milieu des hommes. Désormais, pendant l'office, l'homme le dominait de sa hauteur.

Une révolution dans l'histoire de l'Église. Le célébrant prenait la place de Dieu à la hauteur de l'autel ; il deve­nait le personnage central de la Cène. Ce n'était plus un hommage à Dieu, mais un repas confraternel présidé par le prêtre.

On supprima le banc de communion, ainsi que les cierges de dévotion qui étaient brûlés dans la grande cha­pelle.

Puis fut introduit l'oratio fidelium ou prière univer­selle. Il s'agit d'une série d'invocations faites au moment de l'offertoire. La construction en était la suivante : Partir du général pour arriver au particulier. Prions pour tous les hommes qui souffrent de la faim... Prions pour la mère de notre collègue décédée la semaine dernière. Et l'assistance chantait en réponse : « Ô Seigneur, écoute et prends pitié ! » Même formule d'ailleurs que dans la tra­duction du Kyrie eleison : Seigneur, prends pitié. On ne prend pas pitié, sans plus. On prend pitié de quelque chose ou de quelqu'un. Cette formule est un solécisme, c'est-à-dire une faute de français. Plus précisément une anacoluthe, une ellipse dont on omet le corrélatif.

Les traducteurs n'étaient pas à une faute de français près.

Par vagues successives, la réforme liturgique transfor­mait la vie spirituelle des séminaristes. Tout allait y pas­ser. Le merveilleux office des complies avait été traduit à la va-vite par un groupe de religieuses, sous la direction du père Berthier. L'accompagnement musical était du niveau de Au clair de la lune. Un gamin aurait pu écrire une telle musique. Mais le texte était à pleurer.

Par exemple, l'hymne méditatif du Te lucis ante termi­num, « Avant la fin du jour », était traduit ainsi :« Avant que le jour ne s'efface, nous t'en prions ô Créateur, Demeure-nous dans ton amour gardien fidèle et protecteur ».

Tout ceci était ad experimentum. Expérimentation qui allait durer plusieurs années...

Chaque équipe devait à son tour animer la messe du matin. On commençait d'ailleurs à parler de célébration. Dans l'équipe, on procédait par roulement.

Il fallait préparer l'oratio fidelium, bien sûr. Et surtout les chants. Parfois, un séminariste avait des velléités de retour à la liturgie ancienne, et proposait de chanter le Kyrie. C'était arrivé à un point tel que le mot de « latin » faisait peur et que personne n'osait plus le prononcer. Le Kyrie était donc proposé « en grec » ! Effectivement, Kyrie eleison vient de cette langue. Ainsi, les mots eux-mêmes étaient devenus coupables. Ces velléités furent d'ailleurs sans lendemain. Le rapporteur des équipes faisait savoir à la collectivité que Morsang « en avait marre des jéré­miades et des lamentations pleurardes des chants en latin ». Le père Bénistant opinait. Il en fut de même du père 011ivier qui, pourtant, était un passionné de grégo­rien. Quant au père Bihan — une sommité mondiale du grégorien —, il fut congédié sans tambour ni trompette. Il enseignait le grégorien aux théologiens. On ne le revit plus jamais. Il me fit un jour cette confidence dans la rue : « Toute ma vie, j'ai lutté pour promouvoir le chant grégo­rien ; l'Église me demande à ce jour autre chose ; eh bien je m'incline. »

Les complies du dimanche à la grande chapelle résis­tèrent un peu plus longtemps. Sans doute les théologiens y étaient-ils trop habitués.

Fin janvier, la liturgie traditionnelle de l'Église catho­lique et romaine était abolie en philosophie. Un ultime sursaut eut lieu à Pâques. Les offices liturgiques de cette période constituent un véritable marathon de prières (s'il est possible d'utiliser une telle comparaison). Cinq heures de cérémonie par jour. Pour la dernière fois dans l'his­toire du séminaire, retentirent sous les voûtes de la grande chapelle les Lamentations de Jérémie, chantées en latin d'une voix poignante par un théologien en sou­tane. Le dimanche de Pâques, jour de la Résurrection, tout était consommé. La liturgie latine et grégorienne n'existait plus à Issy. Les supérieurs avaient d'ailleurs envoyé la quasi-totalité du séminaire à Notre-Dame de Paris pour apporter renfort aux chantres de la cathé­drale, lesquels interprétaient à la grand-messe l'Alléluia du Messie de Haendel. Ce fut une apothéose. Mais aussi le chant du cygne.

Nous assistions au crépuscule d'un monde. Qui désor­mais allait encore demander le pain de chaque jour ? Qui donc encore monterait vers l'autel de Dieu ? En chan­geant le Notre Père, le Credo, la position de l'autel, on créait une nouvelle religion."


La Blessure – Jean-Pierre Dickès – Editions Clovis, BP 88, 91152 Etampes Cedex. Tel: 01 69 78 30 23


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