"Tapi dans l'ombre, je sortis de ma poche l'engin conçu la veille.
Un modeste bout de bois. Un fil en caoutchouc et deux malheureuses pierres.
Il me fallait ici exécuter la sentence qui m'était promise. J'avais déjà dépassé le délai. Je sentais l'exaspération qui montait chez mon Maître, dont les sms s'accumulaient. Son courroux pourrait fort m'être préjudiciable. Je ne pouvais me permettre de le perdre. C'était ou bien elle ou bien moi. Mon choix était vite fait.
Je respirais une bonne bouffée de l'air parisien. J'eus une pensée pour l'épicier qui faisait ses beaux jours. Visiblement, ils s'appréciaient. Difficile de savoir ce qui les unissait. L'un comptait sur l'autre et réciproquement. Mais mon problème était ailleurs, dans la réalisation du rôle qu'il m'avait confié.
A nouveau, mon téléphone sonna. Je ne pouvais répondre.

Je fis un pas, et là, une force étrange s'empara de moi. Des mois que je n'avais pas fait cela.

Ma main gauche serrait fort le bois, tandis que la droite, tout en tenant la première pierre tendait le caoutchouc, prêt à rompre.

Le coup partit sèchement. L'impact fut si fulgurant que ma victime n'eut pas le temps de dire un mot. Le temps semblait s'être arrêté. Elle tomba à terre d'un coup. On entendit un léger tintement, comme des morceaux de verre brisés.

Lâchant la seconde pierre, je me mis à pianoter fébrilement sur mon téléphone. Un sms aussi sec que mon tir. LW is back. Je savais qu'il comprendrait. Je m'imaginais son sourire satisfait au moment de la réception de ces trois mots. C'est la seule chose qui comptait à mes yeux.

La vie, dès maintenant, reprenait son cours. Je n'éprouvais aucune satisfaction particulière si ce n'est celle du devoir accompli. "Faire un exemple", disait-il, "faire un exemple..." Un de plus."

Extrait de Carnet de balles de Lawrence Wargrave