Un grosse voiture ...

Le Forum Catholique

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Folgoët -  2016-02-01 15:38:01

Un grosse voiture ...

Une grosse voiture noire roule entre deux rangées de peupliers. Elle est immatriculée au Vatican. A l’arrière, un prélat et son tout nou­veau secrétaire, un jeune abbé, conversent.

L’abbé : « C’est donc une vraie messe de saint Pie V que vous allez célébrer dans ce séminaire allemand, Monseigneur ? Je ne comprends pas très bien ; n’avons-nous pas proclamé pendant des années que ces gens-là étaient infréquentables et schismatiques ?

_ Et vous ne l’avez pas cru, j’espère, l’abbé. En fait, nous ne pouvions pas condamner ce vieil archevêque réellement. Nous aurions même pu mener notre affaire en l’intégrant pacifiquement dans l’église. Mais nous avons pensé qu’en fustigeant cette excommunication nous créerions avec le passé une rupture qui favoriserait nos projets.

_Excusez-moi, Monseigneur, mais je ne saisis toujours pas.
_ Vous êtes trop jeune, l’abbé. A cette époque-là, je veux dire il y a plus de cinquante ans, c’était la montée du communisme. Le vieux Pie XII, comme ses prédécesseurs, ne trouvait à y opposer que la fermeté de la doctrine. Au fond, il croyait que le roc de l’Église résisterait à la tempête. Nous pensions au contraire, avec Montini et Casaroli, que le communisme submergerait totalement le monde et que si nous laissions les choses en l’état, l’Église sombrerait ou serait, au mieux, refoulée dans les catacombes. A notre avis, il fallait assouplir l’Église, la rendre adaptable à toutes les circonstances. En quelque sorte, nous voulions couper les amarres avec un passé trop lourd et avec une doctrine trop pesante pour que l’Église puisse surnager, un peu comme un bouchon dans la houle.

_ Ah ! Je comprends. Comme votre prévision ne s’est pas réalisée, vous entreprenez de renouer avec la Tradition.
_ Vous n’y êtes pas du tout. Bien sûr, notre pronostic était faux. Mais nous ne pouvons pas revenir en arrière, car on ne manquerait pas de faire le bilan de notre action et ce bilan serait catastrophique. Nous sommes donc condamnés à la fuite en avant. Et cela s’accorde finalement très bien avec nos nouvelles prévi­sions. Selon nous, le mondialisme va l’emporter et nous aurons le règne d’une oligarchie financière planétaire sur un univers socialiste. Dans cette perspective, les religions tendront à s’unifier aussi et l’Église, si elle ne fait pas trop la délicate, jouera un rôle fédérateur, comme à Assise et même davantage.

_ Mais alors, Monseigneur, pourquoi aller dans ce séminaire animer cette discussion théologique ?
_ Dans les années 70 nous avions choisi la rupture liturgique à la fois pour aider et pour masquer l’ensemble de la manœuvre. Et cela a marché à 99 %. Ce qui signifie qu’il y a 1 % d’individus qui, sans toujours comprendre le véritable enjeu, se sont cramponnés à l’ancienne messe et par conséquent à l’ancienne théologie. Bien sûr, leur nombre ne peut pas nous gêner. Mais leur position oui, car elle peut donner des repères à qui vou­drait juger notre politique ou dresser le bilan dont je vous parlais. Nous avons donc essayé de les éliminer en les isolant, en les matraquant, en les ridiculisant. En vain.
Alors nous avons tenté une opération séduction. Ils voulaient leur messe. Eh bien, on la leur donnerait, à condition qu’ils rentrent au bercail et, surtout, qu’ils se taisent. L’affaire aurait abouti en 1988 si nos négociateurs avaient été plus adroits. Au total, nous n’avons récupéré que quelques prêtres et quelques laïcs, juste assez pour en faire des « appâts ».
_ Des appâts, Monseigneur ?
_ Oui des appâts comme avec la chasse aux ca­nards. Pour amener les vols de canards à portée de leurs fusils, les chasseurs at­tachent près de leur affût quelques oiseaux, ce sont les appâts, dont les cris attirent leurs congénères.
_ Et ça marche ?
_ Avec les canards, oui ; avec les intégristes récalcitrants, pas vraiment… surtout avec un vieil évêque Anglais. Mais cela nous permet, en revanche, d’appliquer un vieux truc des communistes. Quand les communistes trouvent devant eux un bloc d’opposants, ils ne l’atta­quent pas globalement. Ils déterminent dans le bloc une ligne possible de frac­ture et traitent les opposants d’un côté de la ligne comme des « bons » et les autres comme des « mauvais ». Résultat : les « bons », tout heureux d’être reconnus comme tels, cherchent à se démarquer des « mauvais résistants » et ceux-ci se rebiffent. Bref, la fracture se fait assez facilement si l’autorité penche du côté des « bons » et, dans le cas des intégristes, il suffit d’injecter quelques mots, comme schisme ou sédévacantisme , qui n’ont plus de signification pour nous, mais qui en gardent pour eux.
_ Du côté des « bons » qui nous accueillent aujourd’hui dans leurs séminaires, ils s’imaginent qu’ils vont profiter de notre tactique pour réintroduire la Tradition à l’intérieur de l’Église institutionnelle. Alors qu’en fait c’est nous qui les transformerons peu à peu de l’intérieur. Déjà ils ne nous combattent plus. Ils acceptent même de cohabiter dans nos églises. Ils ont par exemple accepté le fait que leurs confessions se fassent désormais sous l’autorité du pape. Le reste suivra.
_ Et si leur analyse était bonne, Monseigneur ? Ne prenons-nous !pas un certain risque ?
_ Mais non, l’abbé. Nous retenons nos petits cadeaux avec un élastique : nos concessions sont toujours limitées et révocables. D’ailleurs les évêques veil­lent au grain. Ils ne voient pas notre politique d’un très bon œil. Ils ne la com­prennent pas bien. Ce n’est pas de leur faute : nous ne les choisissons pas très in­telligents. Et puis, sans le savoir, ils créent utilement une autre opposition dialec­tique où, par rapport à eux, nous jouons le rôle de « bons ». C’est ainsi le clan des « bons » peut affirmer qu’ils ont des amis à Rome et que le pape peut leur réserver de bonnes surprises.
_ Autrement dit, Monseigneur, nous sommes les « bons » du Vatican qui al­lons réconforter les « bons » intégristes.
_ Exactement, l’abbé. Et vous verrez qu’ils nous recevront très bien. Ils ont été si maltraités pendant cinquante ans qu’ils se sentent flattés et se montrent recon­naissants dès que nous sommes aimables avec eux. Il suffira d’une messe et de quelques bouts de phrases que j’ai préparés pour qu’ils nous croient de leur bord. Ils ne s’inquiéteront même pas de ce que je fais ni de ce que je dis le reste du temps.
_ Mais Dieu, Monseigneur ? Que faisons-nous de Dieu dans tout cela ?
_ Vous, les jeunes, il y a des moments où vous m’inquiétez.
_ Monseigneur, je trouve vos « bons » bien naïfs.
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