Encore une fois je ne vois pas comment la crise actuelle pourra être résolue, personne n'ayant l'autorité morale pour ramener l'ordre, la discipline et la confiance. On peut donc parier sur un pourrissement de la crise et une défiance généralisée.
Au risque d'apparaître comme obsédé par les questions politiques, je trouve vraiment que cette crise ressemble à bien des égards à la scission FN-MNR. Les mégrétistes dénonçaient l'épuration, l'autoritarisme, le sectarisme, le comportement autocrate de Le Pen comme les laguéristes le font aujourd'hui à l'égard de Suresnes et de Menzingen. On s'en prenait, disaient-ils, aux forces vives du FN et en appelaient à la base contre le chef, organisant un "congrès de l'unité" qui scellait en fait la scission et jetait sur les fonts baptismaux une nouvelle organisation. Même chose ici: Me Triomphe, dans sa défense des abbés Laguérie et Héry, écrit dans Le Mascaret de septembre que l'on s'en prend aux forces vives de la FSSPX. Yves Amiot crée uns structure qui en appelle à la base contre une autorité en laquelle il n'a plus confiance. Le peuple des fidèles de la FSSPX remplace le peuple des adhérents et des militants du FN.
Aujourd'hui on change les serrures des chapelles comme l'on changeait hier les serrures des permanences parfois vandalisées au plus fort de la crise en décembre 1998. Seule nouveauté cette fois: le recours à des vigiles et à des chiens. Preuve que des prêtres ensoutanés peuvent encore plus mal se conduire que des politiciens!
De même les mégrétistes dénonçaient un fonctionnement du FN trop caporalisé, trop centralisé, pas assez collégial. Même critique des laguéristes envers Suresnes et Menzingen. Les lepénistes répliquaient en parlant de mutins, de dissidents et de traîtres comme le font aujourd'hui les fellaysiens à l'égard des prêtres de Bordeaux. Les lepénistes accusaient Mégret de vouloir passer des accords avec une droite parlementaire honnie. On suspecte Laguérie et Tanoüarn de vouloir comme Aulagnier un arrangement avec Rome.
Avouez que la comparaison est probante. Il y a cependant deux différences: les technocrates et apparatchiks étaient pour l'essentiel du côté de Mégret et Le Pen était le tribun. C'est en grande partie ce qui explique sa victoire par chaos, plus l'instinct légitimiste des électeurs. Là, c'est l'inverse. Les apparatchiks et les clones sont du côté fellaysien, les personnalités charismatiques du côté laguériste, ce qui rend l'issue de l'affrontement moins évidente.
Autre différence: il s'agit ici de prêtres validement ordonnés pour l'éternité (sacerdos in aeternum) et ce que l'on peut à la rigueur pardonner à des hommes politiques et à des partis est beaucoup plus difficilement excusable pour des prêtres auxquels il est alors humainement impossible de conserver son estime et sa considération, même si notre devoir est quand même de prier pour eux.
Autre comparaison, celle-là, religieuse. La crise de l'automne 2004 à la FSSPX ressemble à bien des égards à la crise de l'automne 1999 à la Fraternité Saint-Pierre. Seize prêtres (pour la plupart français, ce n'est pas pour rien que la France est la mère des révolutions!) qui n'ont plus confiance en leur supérieur de district (l'abbé Coiffet) ni en leur supérieur général (l'abbé Bisig) et sachant qu'ils seront minoritaires au chapitre général de l'été 2000, les abbés Bisig et Coiffet ayant à l'avance tout verrouillé et placé leurs fidèles très hostiles au biritualisme et à la concélébration avec l'évêque diocésain à la messe chrismale du Jeudi saint, décident, sans avoir consulté au préalable leurs supérieurs, d'écrire à Rome pour qu'elle tranche le conflit. Ce qu'elle fera en donnant raison dans les faits aux "putschistes" puisque le nouveau supérieur de district en France était un des seize signataires; le supérieur général est remplacé ainsi que le corps professoral dans les séminaires. Bref, la victoire des seize est totale. Cependant, comme tous acceptent bon gré mal gré l'arbitrage du Vatican, la scission est évitée même si l'ambiance est détestable en interne et la méfiance générale. D'où la création de l'ART parrainnée en douce par l'abbé Aulagnier (initiative qui ressemble à celle d'Yves Amiot avec Sensus Fidei) qui instrumentalise une opposition entre certains laïcs de la FSSP et les prêtres putschistes. Leur cible est surtout l'abbé Denis Le Pivain, véritable maître d'oeuvre de l'opération des seize "mutins".
Avouez que là aussi la comparaison est frappante: les laguéristes soupçonnent Mgr Fellay de vouloir verrouiller à l'avance le chapitre général de l'été 2006 pour pouvoir plus facilement se succéder à lui-même ou imposer un poulain (on parle avec insistance de l'abbé Pflueger, actuel supérieur du district d'Allemagne), ce qui expliquerait l'épuration en cours (l'abbé Aulagnier hier, les abbés Laguérie et Héry aujourd'hui, les abbés Tanouärn et Forestier demain, ainsi de suite...). Seule différence: comme aucune des deux parties en présence ne souhaitent pour l'heure, au moins publiquement, l'arbitrage de Rome, on voit mal comment la scission est évitable à terme.
En tous cas, toutes ces histoires peu reluisantes en l'espace de cinq-six ans à peine ne sont pas à l'honneur ni de notre famille religieuse ni de notre famille politique (au sens le plus large bien entendu). Mais cela, on le savait déjà, n'est-il pas?
Petrus.