J. Maritain: Prophète pour notre temps?

Le Forum Catholique

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Philippilus -  2020-01-03 14:19:54

J. Maritain: Prophète pour notre temps?

Jugez-en sur pièce, extrait du chapitre "La nouvelle théodicée américaine, daté de 1921 de son ouvrage ""Réflexions sur l'intelligence"; et à propos des philosophes anglo-saxons:



(Leur expérience) est d’autre part un nouvel exemple nous incitant à voir dans les grandes erreurs de notre temps des produits de désintégration du christianisme , entré en déliquescence hors de l’Église depuis Luther et Rousseau. Cela est partout sensible dans le pluralisme, mais spécialement peut-être dans l’attitude des pluralistes face au problème du mal; qui joue chez eux un rôle capital. Le sentiment qu’ils ont de la réalité du mal dans le monde, cette idée que la lutte contre le mal est une chose sérieuse, à laquelle Dieu même est intéressé, et qu’elle nous oblige à courir hardiment notre chance, leur conviction – si profondément anglaise – que chacun de nous doit travailler à sa manière à sauver le monde, tout cela est un héritage chrétien. Mais qu’est-il devenu entre leurs mains?
Nous savons que la réalité du mal et ce qui le fait essentiellement haïssable, c’est qu’il est une «privation», la carence du bien dû; eux, ils croient à un mal positif et radical (idée qui remonte à Luther), à quelque chose dans le monde dont l’essence même serait d’être mauvaise, et ils inclinent ainsi, tel M. H.B. Alexander, à un «nouveau manichéisme»

Nous ne croyons pas comme les monistes que l’existence du mal est une nécessité métaphysique qui s’impose à Dieu, nous n’allons certes pas, d’autre part, demander à Dieu ses raisons, comme Leibnitz et Malebranche, étant bien sûrs – et c’est le propre de l’amitié véritable – que ce qu’Il fait est bien fait, parce que c’est Lui qui l’a fait et cela suffit; mais avec cela nous savons que le mal n’existe que parce que Dieu, librement le permet, et nous savons que Dieu tout-puissant ne permet le mal que pour un bien plus grand. Et même le mystère de la Croix nous fait entrevoir quelque chose de ce bien plus grand. Eux, ils se bouchent les yeux et les oreilles, s’écrivant avec William James que le problème du mal ne comporte pas de solution métaphysique, mais seulement pratique, que devant le mal il n’y a pas à comprendre, mais seulement à foncer droit pour le supprimer (comme s’il suffisait, hélas, de charger pour vaincre), et tout de même ils croient comprendre que Dieu n’est pas tout puissant et que le mal limite sa force. Nous voulons faire effort contre le mal par les moyens et par les voies que l’ordre éternel a tracés; ils veulent exterminer le mal en se cognant contre toutes les lois de l’être, et en brisant comme des iconoclastes l’image de ce monde imparfait.



C'est moi qui ait placé en gras les passages les plus significatifs, mais cela me parait extraordinairement profond et lucide, voire prophétique, face aux actions et à la rhétoriques américaine actuelle contre "l'axe du mal". Il faudrait donc voir une raison théologique à toute cette attitude?

Philippilus

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