Bon allez, j'attaque!

Le Forum Catholique

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Signo -  2018-02-09 21:37:21

Bon allez, j'attaque!

Passons au crible les soi-disants "arguments" de la FSSPX sur l'influence protestante sur le Concile. Vous verrez qu'il n'en restera quasiment rien. Je me concentrerai pour l'instant sur le sujet que je maîtrise le plus -et qui est peut-être aussi le plus important-, à savoir la liturgie.

1 – Le décret « Sacrosanctum Concilium » sur la liturgie

Déjà dans l’article 5 nous rencontrons la notion de mystère pascal qui met l’accent de notre Rédemption en la Résurrection de Notre Seigneur Jésus-Christ et qui raye la réalité d’un sacrifice expiatoire dans la liturgie.

En quoi la notion de mystère pascal est-elle protestante? Mystère, on ne sait pas. Cette notion -extrêmement riche théologiquement et spirituellement- a été pensée par le R.P. Bouyer, protestant converti et devenu prêtre catholique, un théologien que je considère comme ayant une compréhension de la Tradition catholique à peu près mille fois plus juste et profonde que tous les prêtres de la FSSPX réunis (c'est lui, entre-autres, qui a démontré à quel point la célébration "face au peuple" était une aberration liturgique). Par ailleurs l'accusation est malhonnête: il suffit de lire cet article et la constitution dans son ensemble pour se rendre compte que le mot sacrifice est quasiment présent à toutes les lignes. Comment concilier cela, même de loin, avec la théologie protestante de l'Eucharistie? C'est impossible.

Dans l’article 6, le mystère pascal se trouve mentionné deux fois.

And, so what?

Dans l’article 7, la présence du Christ dans la Sainte Messe et dans la substance transubstantiée est mise pratiquement sur le même niveau que sa présence dans le ministre de l’action liturgique, dans la vertu des sacrements, dans sa parole et avec la présence où deux ou trois personnes sont réunies en son nom. Une telle présentation des choses est un emprunt manifeste aux protestants.

C'est faux. Il suffit de lire l'article 7 pour se rendre compte que la théologie qui y est présentée est parfaitement catholique et traditionnelle, et en tout cas radicalement incompatible avec l'approche protestante de l'Eucharistie.

Dans l’article 22, il y a une claire décentralisation de la compétence en matière liturgique : c’est dès maintenant l’évêque local et encore bien davantage la conférence épiscopale qui peut en décider.

Sauf que la "centralisation" de la liturgie n'a rien de spécifiquement catholique et est au contraire un phénomène très "moderne"; il s'agit d'un phénomène très récent -l'ultramontanisme du XIXe siècle qui vit la disparition des rites locaux au profit de l'unique rite romain-, une politique que l'Eglise n'a été forcée d'adopter que parce qu'elle se sentait acculée par les nouvelles idées philosophiques et politiques qui remettaient en question sa place centrale au sein des sociétés européennes. Durant les quinze premiers siècles du christianisme, l'Eglise a fonctionné sur un mode très décentralisé, ce qui ne signifiait pas l'absence d'une communion dans une même foi, exprimée dans des liturgies à la fois différentes mais fondamentalement similaires, le tout en communion avec le Siège romain, garant de l'unité catholique. Quand au rôle des conférences épiscopales, cet élément est à mettre en lien avec la nécessité de l'inculturation évoquée plus bas. Le Concile n'a pas souhaité ces structures bureaucratiques impersonnelles que sont devenues trop souvent, de dérives en dérives, les conférences épiscopales.

Dans les articles 24 et 51, on parle du grand poids de la sainte Ecriture dans la liturgie.

Vous rendez-vous compte que la FSSPX trouve suspecte l'idée d'accorder une grande place à l'Ecriture sainte? Pourtant, dans la liturgie traditionnelle (y compris le rite de St-Pie V), l'Ecriture est partout: les Introits? Tirés de l'Ecriture sainte. Les graduels? Tirés de l'Ecriture sainte. Les antiennes d'offertoire, de communion? Tirés de l'Ecriture sainte! Dans la Tradition chrétienne, les textes bibliques constituent la source naturelle de la liturgie. A partir du XVIe siècle, on a eu tendance à l'oublier. Le Concile l'a rappelé. Quel rapport avec le protestantisme? Ce que je pense, c'est que la FSSPX s'inscrit encore dans un modèle d'Eglise hérité de la Contre-réforme, dans lequel l'Eglise ne peut se définir autrement qu'en réaction au protestantisme. Les protestants prônent des temples dépouillés? On invente, en réaction, le style baroque. Les protestants insistent sur les Ecritures? Donc on en minimise l'importance, jusqu'à considérer la Bible en elle-même comme suspecte de protestantisme, ce qui est la dérive dans laquelle tombe la FSSPX. C'est justement avec ce modèle là que le Concile a voulu rompre, et c'est heureux. Il était temps de tourner la page, et de réaliser que l'opposition au protestantisme ne peut pas être l'alpha et l'oméga de la vie de l'Eglise.

L’article 34 invite à une réforme des rites pour qu’ils regagnent la splendeur d’une noble simplicité et soient dépourvus de répétitions. Ici nous voyons clairement l’influence rationaliste et anti-liturgiste puisque toute liturgie vit de répétitions, comme nous le voyons par exemple dans les rites de l’Église de l’Est, dans les Litanies et dans le chapelet.

C'est peut-être le seul argument à peu près recevable. C'est vrai que l'on sent, moins dans le Concile en lui-même que dans la réforme liturgique qui a suivi, la tentation de céder à un certain rationalisme par la suppression de certaines répétitions. Ceci dit la noble simplicité est parfaitement traditionnelle puisqu'elle est l'une des "marques de fabrique" qui distingue le la liturgie romaine des rites orientaux. Notons toutefois que noble simplicité ne signifie pas misérabilisme et minimalisme liturgique (ce qui a été pourtant mis en oeuvre dans les paroisses). Il s'agit de notions très différentes. La noble simplicité évoque la liturgie céleste, d'où d'ailleurs l'emploi du terme de splendeur; le minimalisme liturgique est un fruit de la désacralisation de la liturgie. Rien à voir, donc. Or "tradis" comme progressistes ont tendance à confondre les deux...

Je note au passage que bizarrement, il n'y a pas de critiques de l'article 30, qui traite de la "participation active" des fidèles. C'est étonnant, car les progressistes se servent justement de cet article pour saccager la liturgie. Pourquoi donc l'abbé Schmidberger ne parle-t-il pas de cet article? Il aurait là un angle d'attaque tout trouvé. La réponse est simple: cette notion de participatio actuosa ("participation active" est une mauvaise traduction, "participation effective" serait plus juste) vient de... saint Pie X! Aie, aie, aie! Protestant, moderniste saint Pie X? Le terrain était trop glissant...

Les 36 et 54 parlent de l’introduction de la langue vernaculaire dans la liturgie sans donner de limites précises pour la Sainte Messe.
On peut regretter que la constitution ne précise pas les limites, ce qui toutefois est assez compréhensible étant donné qu'il s'agit d'un texte très général, destiné à s'appliquer à des cas et des contextes très différents au sein de l'Eglise universelle. Une certaine souplesse était nécessaire. Bizarrement, l'abbé Schmidberger ne précise pas que le texte rappelle la nécessité de maintenir le latin, et ce non pas juste en passant, mais avec insistance et à plusieurs reprises!

Dans l’article 37 on trouve sous-jacente déjà l’inculturation et la soi-disant unité dans la pluralité liturgique, donc un éloignement de la vraie unité de l’Église et avant tout de l’esprit romain.

L'inculturation est une question qui se pose réellement dans une Eglise universelle touchant des peuples et des cultures très différents. Le débat agite l'Eglise depuis très longtemps. Il s'agit d'évangéliser sans déraciner les personnes et les peuples (problématique très actuelle...), et sans imposer, avec le christianisme, la culture occidentale qui elle est relative. Cela n'a strictement rien à voir avec le protestantisme. Quant à la notion de pluralité liturgique, j'en ai déjà parlé plus haut.

L’article 47 n’utilise pour désigner le Saint Sacrifice de la Messe ni la notion de la « representatio » du Concile de Trente ni celle de « renouvellement » des derniers papes, mais parle d’un « laisser durer ». En langue œcuménique, le sacrifice et le sacrement sont nommés ensemble.

Quel rapport avec le protestantisme? Franchement, lisez l'article 47: vous croyez vraiment que la théologie qui y est exposée est compatible avec la théologie protestante? Là, on nage dans le grand n'importe quoi.

L’article 55 suggère de donner en des occasions particulières l’Eucharistie sous les deux espèces à la manière des protestants.

Et alors? Ce n'est pas parce que Luther croyait à l'enfer que croire en l'enfer c'est être protestant! Pendant les premiers siècles, l'Eucharistie se donnait régulièrement sous les deux espèces; les orthodoxes ont maintenu cette pratique; sont-ils protestants pour autant? Argument absurde.

L’article 81 exige la suppression de la pensée sombre de la mort par d’autres couleurs liturgiques que le noir. Or, une telle orientation va encore trouver l’applaudissement des protestants qui ne connaissent ni le purgatoire ni la prière pour les défunts.

C'est faux. L'abbé Schmidberger fausse le sens du texte. Voici ce que dit réellement l'article:

Le rite des funérailles devra exprimer de façon plus claire le caractère pascal de la mort chrétienne, et devra répondre mieux aux situations et aux traditions de chaque région, même en ce qui concerne la couleur liturgique.



"Exprimer le caractère pascal de la mort chrétienne" signifie non pas "supprimer la pensée sombre de la mort", mais rappeler que la mort n'est pas en soi un aboutissement, que l'histoire de la Rédemption ne s'arrête pas au Vendredi saint, mais que la mort n'est qu'une étape sur le chemin de la résurrection de la chair, ce qui, excusez moi, me semble être la théologie catholique la plus stricte et la plus traditionnelle concernant les fins dernières. Quel rapport avec le protestantisme? Mystère. Je rappelle en outre que le violet pour la liturgie des défunts est une préconisation et qu'il n'est absolument pas interdit d'utiliser le noir même dans le rite de Paul VI: la couleur noire avait par exemple été utilisée récemment si ma mémoire est bonne lors des obsèques du cardinal Meisner à Cologne, et ce n'est pas une exception.

Si on jette un regard sur ce schéma, on constate un esprit rationaliste, anti-liturgique et anti-romain, tout à fait la mentalité protestante.

Conclusion lapidaire qui repose sur une succession d'approximations, d'affirmations gratuites, de déformations, de contre-sens, d'exagérations, voire de franches contre-vérités qu'il n'est pas difficile de démonter avec un minimum de bon sens, d'honnêteté intellectuelle et de fidélité à la lettre comme à l'esprit du texte attaqué. Au final, que reste-il de tous ces soi-disants arguments sensés prouvés le "protestantisme" de Sacrosanctum Concilium? Pas grand-chose...

Et je pense que l'on pourrait effectuer la même contre-critique sur tous les autres thèmes.
http://www.leforumcatholique.org/message.php?num=844082