Arnaldo Vidigal da Silveira - un article de 1967

Le Forum Catholique

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John DALY -  2017-09-30 18:06:42

Arnaldo Vidigal da Silveira - un article de 1967

On aura remarqué parmi les premiers adhérents à la Correctio Filialis le nom du savant Brésilien, protégé de Mgr de Castro Mayer, Arnaldo Vidigal Xavier da Silveira, maintenant nonagénaire, connu du public français pour son livre de 1975 La Nouvelle Messe de Paul VI : Qu'en Penser ? dont la deuxième partie traite savamment de "L'Hypothèse Théologique du Pape Hérétique".

Je profite de l'occasion pour présenter aux lecteurs francophones un de ses articles, maintenant vieux de 50 ans mais toujours d'actualité...


ACTES, GESTES, ATTITUDES ET OMISSIONS PEUVENT DÉCELER UN HÉRÉTIQUE

Auteur : Arnaldo Vidigal da Silveira

Dans son encyclique Pascendi Dominici Gregis St. Pie X disait que les modernistes étaient les plus dangereux ennemis de l’Église, parce que, ne confessant jamais clairement leur hérésie, ils se cachaient dans son propre sein.
Le fidèle qui jugerait qu’on doit seulement combattre les ennemis déclarés de l’Épouse du Christ serait donc blâmable au plus haut point. Admettre qu’il suffit que quelqu’un se dise catholique pour devenir inattaquable, malgré les paroles ou les actes les plus absurdes, c’est établir l’impunité absolue pour les loups revêtus de la peau de brebis qui s’introduisent dans la bergerie. Et, en ce qui concerne les personnes de bonne foi, c’est les priver des avertissements et des éclaircissements qui pourraient les prémunir contre l’erreur, ou même les en écarter, s’ils avaient déjà été trompés par ces ruses.
“L’allié que le démon réussit à implanter à l’intérieur des troupes fidèles, nous enseigne Mgr. A. de Castro Mayer, est son plus précieux instrument de combat.” (Lettre Pastorale p. 17) C’est pour cela que la revue Catolicismo, depuis sa fondation il y a dix-sept ans, a eu la préoccupation constante d’alerter ses lecteurs non seulement contre les ennemis déclarés de l’Église – communistes, socialistes, divorcés, etc... – mais aussi contre ses ennemis déguisés.
DES LOUPS A L’INTÉRIEUR DU BERCAIL
La position de ceux qui sont préoccupés en voyant que les loups revêtus de peau de brebis marchent en liberté dans le troupeau est pénible. Ils sont objet d’incompréhension, passent pour atteint de la manie de la persécution, et apparaissent comme des esprits mesquins, acharnés à découvrir des hérésies en tout.
C’est pour cela que cette revue, non seulement a combattu les adversaires internes, mais s’est toujours efforcée aussi de montrer que ce combat est légitime, convenable, et même nécessaire. Le promouvoir, c’est agir selon les meilleures traditions de l’Église, c’est obéir aux recommandations des Souverains Pontifes, c’est imiter les saints, et être attentif aux avertissements de Notre Seigneur: « Gardez-vous des faux prophètes qui viennent à vous revêtus de peau de brebis, mais qui, en dedans, sont des loups rapaces. » (Mat. VII,15)
Dans le présent article, nous ne désirons pas répéter les nombreux arguments que, pendant dix-sept ans, Catolicismo a donnés en faveur de la thèse suivante: il est licite et même nécessaire d’alerter les esprits contre les ennemis que l’on découvre dans sa propre maison. Nous n’allons pas redémontrer qu’une telle action est recommandée par les papes, qu’elle n’est pas contraire à la charité, qu’elle ne relève pas d’un tempérament systématiquement négativiste.
Nous voulons seulement traiter d’un point très particulier mais de la plus haute importance pour distinguer exactement l’ennemi infiltré dans l’Église. La question que nous posons est la suivante: est-il nécessaire qu’un catholique défende par des paroles, orales ou écrites, des propositions contraires à la foi , pour devenir hérétique ou suspect d’hérésie? L’ensemble des attitudes d’une personne, sa façon d’être, d’agir et de se comporter, peut-il caractériser l’hérétique, même quand celui-ci ne dit ou n’écrit rien de formellement contraire à la foi? En somme: quelqu’un peut-il tomber dans l’hérésie par les actes qu’il pratique?
L’importance spéculative et pratique de cette question est évidente.
Dans le domaine théorique, on doit considérer que, d’après le Droit Canon, l’hérétique qui manifeste extérieurement son hérésie est ipso facto excommunié et exclu de l’Église. Par suite, la possibilité de tomber dans l’hérésie par le seul fait de pratiquer certains actes a de profondes répercussions sur l’étude du Corps Mystique du Christ, comme aussi sur d’autre aspects divers de la Sacrée Théologie.
Observons cependant dès maintenant que tout acte inconciliable avec un dogme ne doit pas être interprété comme révélateur d’un esprit hérétique. En effet, un pécheur, même s’il croit à l’enfer, peut par faiblesse ou par malice se comporter comme s’il n’y croyait pas. Il veut jouir de la vie, espère se convertir avant de mourir et simplement ne s’efforce pas de vaincre ses mauvaises habitudes? tel procédé le fait-il devenir hérétique? En aucune façon. Un acte ou un ensemble d’actes sont seulement révélateurs d’un « animus » hérétique si, considérés dans toutes leurs circonstances, ils indiquent d’une façon non-équivoque que la personne, en plus d’agir en désaccord avec quelque dogme, le nie ou le met en doute avec pertinacité.
Dans le domaine pratique il est évident que, si de simples actes sont capables de déceler l’hérétique, le nombre des excommuniés est plus grand que ce qui peut paraître à première vue. En plus de cela, le combat contre les loups déguisés prend une nouvelle ampleur et un nouveau développement une fois prouvé qu’il est possible de tomber dans l’hérésie par la pratique de certains actes. L’idée que c’est seulement par des paroles que l’on peut nier un principe de foi est courante dans les milieux catholiques. Entraînés par cette idée erronée, beaucoup d’esprits timorés se sentent incertains pour combattre tel ou tel ennemi infiltré dans l’Église. Ils jugent qu’ils attaquent un frère dans la foi, un membre du Corps Mystique du Christ. Même quand ils admettent qu’une attitude déterminée est erronée en théorie ou nuisible aux intérêts de la religion, de telles personnes hésitent à dénoncer un catholique. Si on leur faisait voir que dans tel ou tel cas ils sont en face d’un hérétique, mille résistances intérieures injustifiées tomberaient.
Le problème devient encore plus grave parce que les auteurs de telles erreurs sont très fréquemment des personnes d’une conduite privée modèle avec laquelle, loin de servir la cause des bons principes ils facilitent, au contraire, la propagation du mal, en donnant à de telles doctrines un caractère désintéressé et purement spéculatif.
Les ravages énormes qui ont décimé le troupeau du Christ, auraient été évités si les loups depuis le commencement avaient été appelés loups, c’est-à-dire, si on leur avait arraché assez tôt le masque de la brebis, découvrant ainsi la peau rude, rugueuse et hideuse de l’hérétique.
Un jeune universitaire, par exemple, se proclame catholique. Il travaille activement dans des mouvements dits de revendication agricole, ouvrière ou estudiantine. Allié depuis longtemps aux communistes dans de tels mouvements, il s’est habitué à les avoir à son côté. Il ne se dit pas marxiste et même se proclame adversaire convaincu de toute forme d’athéisme, mais il voit avec sympathie le socialisme, même poussé à l’extrême. Pour avoir lutté pour des réformes d’avant-garde il a déjà eu des ennuis avec la Police, avec cette Police qu’il taxe de “réactionnaire”, de “vendue aux capitalistes”, « d’instrument de colonialisme Nord-Americain ». Il communie tous les jours, mais il juge que les pratiques puériles de « l’Église Constantinienne » doivent disparaître de la vie de piété adulte, du catholique éclairé, de « l’Église de Vatican II »; pour cette raison il sourit avec dédain quand il entend parler du Cœur de Jésus, de la Virginité de Marie Très Sainte, de la dévotion aux saints, de la
Transsubstantiation, de l’enfer, etc... Il n’attaque jamais directement aucun dogme, parce qu’il comprend que s’il le faisait il nuirait à sa propre cause; mais il n’en parle pas et n’aime pas non plus en entendre parler.
Nous nous demandons donc, peut-on affirmer que ce jeune homme est un hérétique?
HÉRÉSIES INTERNES OU EXTERNES
Pour répondre à cette question, nous devons d’abord observer que, pour ce qui est des effets juridiques, il y a une énorme différence entre hérésie interne et hérésie externe, c’est-à-dire, entre le péché d’hérésie commis dans le secret de la conscience, et celui qui se révèle extérieurement, constituant l’hérésie au sens canonique. En effet, comme l’Église est une société visible, elle peut seulement châtier juridiquement les péchés qui se manifestent visiblement. Un péché qui ne sort pas de l’intime de la conscience est un véritable pèche et sera châtié par Dieu. L’Église peut le pardonner au tribunal de la confession. Mais, si le péché n’a pas eu de manifestation sur le terrain visible, il ne peut être châtié sur ce terrain. C’est-à-dire, il ne peut être l’objet de peine ou de censure ecclésiastiques.
Un homme succombe à une tentation contre la foi, et dans son for interne, nie par exemple le dogme de l’éternité de l’enfer. Il ne dit cela à personne. Sans doute il a commis un péché mortel d’hérésie. Mais il n’est pas excommunié ni exclu de l’Église. Il le sera seulement au moment où il extériorisera cette hérésie.
C’est une thèse adoptée par les théologiens que non seulement par des paroles mais aussi par des gestes, des attitudes, des signes des omissions, il est possible d’extérioriser une hérésie, en encourant ainsi les peines canoniques. Une telle affirmation des théologiens se base sur un argument évident et très simple: devient hérétique, au sens canonique, celui qui manifeste extérieurement son hérésie intérieure; ce n’est pas seulement par des paroles que peuvent se manifester les pensées mais par des gestes, des attitudes, des signes.
En effet un simple signe de tête, un geste de la main ou une expression de physionomie peuvent indiquer de manière non-équivoque une pensée. Dans un domaine plus large, une prise de position politique, le silence d’une autorité ou une attitude publique peuvent exprimer, conformément aux circonstances, que celui qui agit ainsi a telle ou telle idée.
PERSONNE NE CONTESTE QUE L’ON PEUT TOMBER DANS L’HÉRÉSIE PAR LES ACTES.
Avant d’examiner quelques problèmes annexes – bien que d’importance fondamentale – que cette thèse soulève, nous désirons montrer qu’il n’y a rien de nouveau ni d’original dans ce que nous venons d’affirmer. Au contraire, comme nous l’avons déjà dit, il s’agit d’un point adopté par les théologiens. Comme cependant le préjugé que seul est hérétique celui qui énonce une hérésie par ses paroles ou ses écrits est très ancré, nous désirons nous étendre un peu sur les références de théologiens réputés:
• “Selon la règle générale, il est nécessaire et suffisant, pour constituer l’hérésie externe et encourir la censure, que l’hérésie interne se manifeste à travers quelques signes extérieurs. On classe d’habitude ces signes en deux catégories: paroles et actes. Parmi les « paroles » on inclue les signes de tête, de main, ou d’autre partie du corps, et pour cette raison, est suffisante la manière de communiquer par laquelle certains se comprennent en formant des signes par des mouvements de doigts. Parmi les « actes » doivent être inclus les omissions de quelque action extérieure, car l’omission d’un acte ne manifeste quelquefois pas moins l’hérésie interne qu’un acte positif; raison pour laquelle les hérétiques sont fréquemment découverts par le propre fait qu’ils ne pratiquent pas les actions des catholiques.” (De Lugo, disp. XXIII, sect. II, n. II)
• “L’hérésie externe est celle qui se manifeste par des signes extérieurs (paroles, signes, actes, omissions d’actes).” (Merkelbach, p. 570)
• “L’hérésie externe est une erreur contre la foi, manifestée par une parole ou par un autre signe extérieur.” (Prümmer, p. 565)
• “Pour encourir une telle excommunication latæ sententiæ, spécialement réservée au Souverain Pontife, il est nécessaire que l’hérésie, après avoir été conçue intérieurement, se manifeste extérieurement par une parole, un écrit ou un acte.” (Tanquerey, Syn. Theol. Mor. et Past., p. 475)
• “ L’hérésie externe ajoute à l’hérésie interne une manifestation extérieure suffisante, exprimée par des paroles, des signaux ou des actions qui soient concluants. (Wernz-Vidal, p. 44-4)
• “L’hérésie peut se manifester extérieurement de n’importe quelle manière à travers des signaux, des écrits, des paroles ou des actions, dès qu’il devient suffisamment clair qu’il s’agit d’une adhésion véritable et caractérisée et en plus de cela pleinement délibérée, c’est-à-dire, formelle.” (De Bruyne, col. 490)
• « Pour encourir l’excommunication il est nécessaire que l’hérésie conçue intérieurement se manifeste extérieurement par quelque signe – parole, acte ou écrit – même quand personne n’est présent ni n’entend.” (Noldin, vol. I, Compl.de Poenis Eccl. , p. 48)
• « Peu importe <pour que quelqu’un encoure l’excommunication> qu’il manifeste l’hérésie seul ou devant d’autres; qu’il le fasse par une parole un écrit ou un acte, pourvu qu’il ait compris que l’hérésie est implicite dans l’acte.” (Génicot, p. 647)
• « L’hérésie interne est celle qui est seulement conçue mentalement, ne se manifestant par aucun signe extérieur. L’externe est celle qui est déclarée par des signes extérieurs: paroles, écrits, actes, négations, etc...) (Peinador, p. 103)
• « L’hérésie extérieure se manifeste par des omissions, des paroles, ou autre signe perceptible.” (Zalba, p. 28)
• « Encourent l’excommunication les hérétiques, c’est-à-dire, les chrétiens qui avec pertinacité, nient ou mettent en doute non seulement intérieurement, non plus que seulement extérieurement, mais à la fois intérieurement et extérieurement , à travers quelque signe – parole, acte ou écrit – des vérités de foi proposées par l’Église... » (Iorio, p. 258)
• « Pour qu’il y ait délit il faut que l’apostasie, l’hérésie ou le schisme se manifeste extérieurement au moyen d’actes ou de paroles. » (Miguelez-Alonso-Cabreroa, p. 845)
On trouve aussi la même thèse chez les auteurs suivants: Suarez, disp. xix, sect. iv, n,4-5; disp.xxi, sect, ii, n.8; Reiffenstuel, n. 26; Schmalz-Grüber, ii.98; d’Annibale, In constitutionem..., ii, 31; Lehmkühl, p. 656; Coronata, p. 280; Cappello, p. 5; Ferreres, p. 743; Wernz-Vidal, pp. 445, 449-50; Michel, col. 2242-2243 ; Noldin, vol. II, p. 26, BRYS, p. 502 ; Arregui, p. 78 ; Peinador, p. 74 ; Sipos, p. 608.

GRANDES DIFFICULTÉS
Comme nous l’avons déjà dit en passant, grandes sont les difficultés que présentent la thèse selon laquelle quelqu’un peut devenir hérétique par la pratique de certains actes. Examinons-en quelques unes.
UN ACTE PEUT-IL AVOIR UN SENS NON-ÉQUIVOQUE ?
Un acte, une attitude, un geste ou une omission peuvent toujours avoir plus d’une signification. De plus ils peuvent résulter d’une contrainte, d’une diminution des facultés mentales, etc... Ne court-on pas le risque de commettre de graves injustices en admettant que quelqu’un commet le délit d’hérésie et par conséquent est excommunié et exclu de l’Église, par le fait d’agir d’une façon déterminée?
La réponse saute aux yeux. Il est évident qu’il y a des actes ambigus, susceptibles de plus d’une interprétation. Celui qui pratique de tels actes ne deviendra pas hérétique; suivant les circonstances, il peut devenir suspect d’hérésie. Mais il est également établi qu’il y a des actes ou des ensembles d’actes qui sont non-équivoques, c’est-à-dire, auxquels on ne peut donner plus d’une interprétation. Quant à la possibilité de contrainte, il est clair qu’elle existe, mais elle existe autant dans les actes que dans les paroles orales ou écrites. Pour éviter des jugements inexacts concernant des actions motivées par la contrainte, la peur, l’ignorance, l’erreur, etc.., le Droit a élaboré tout au long des siècles des règles minutieuses et savantes. De telles précautions sont de rigueur aussi dans le Droit Canon. Dans le cas que nous examinons de l’hérésie par actes, on distinguera le délit canonique seulement quand il sera sûr qu’il y a pleine connaissance de cause de la part de celui qui le commet, pertinacité dans l’attitude condamnable, animus hérétique, etc...
On ne doit donc pas faire de jugements téméraires sur des actions qui par leur nature indiquent un esprit hérétique; mais on ne peut nier qu’en beaucoup de cas, les idées se manifestent de manière non-équivoque à travers les actes. Une observation importante s’impose ici: par le fait de dire que nous ne devons pas faire de jugements téméraires sur des actes ambigus, affirmons-nous qu’un catholique ne doit jamais soupçonner le prochain? Que tout soupçon est un jugement téméraire?
Évidemment non. (…) Des indices insuffisants pour faire un jugement défavorable sur quelqu’un, peuvent cependant suffire pour créer le soupçon. Et le créer est fréquemment un devoir. Le directeur d’une firme a une véritable obligation morale, envers ses associés, de soupçonner l’employé chez qui il a remarqué une conduite étrange. Le père a l’obligation de se méfier de son fils qui présente des signes d’une crise spirituelle grave car c’est seulement ainsi qu’il pourra accomplir ses devoirs de père.
Plus encore: un jugement favorable peut être infondé, et par conséquent téméraire, jusqu’à léser gravement les intérêts d’un tiers. Le directeur d’entreprise qui sans raison a fait confiance à l’employé ou le père qui, par complaisance exagérée, s’est fait de son fils une idée meilleure que ce qu’il méritait, ont fait des jugements téméraires favorables et pour cette raison n’ont pas accompli convenablement leur devoir.
En appliquant ces considérations à notre sujet, nous devons affirmer qu’il n’y a rien de téméraire à considérer suspect d’hérésie celui qui en a donné l’occasion. Au contraire, il y aurait témérité à ne pas le considérer ainsi. Et surtout, il serait téméraire de soutenir que, par principe, on ne doit jamais créer un soupçon d’hérésie: on favoriserait ainsi l’invasion de la bergerie par les loups vêtus de peau de brebis.

LA PERTINAÇITE PEUT-ELLE SE MANIFESTER PAR DES ACTES ?
Comment prouver la pertinacité chez celui qui ne dit rien d’opposé à la foi? La pertinacité n’exige-t-elle pas une obstination qui peut seulement être manifestée par de paroles?
Encore une fois nous devons répondre à cette objection que les paroles comme les actes sont aptes à caractériser d’une manière non-équivoque un esprit pertinace. Ainsi, de même que la bienveillance, l’enthousiasme, la haine, l’orgueil peuvent s’imprimer sur une physionomie et être exprimés par un geste ou une succession de gestes, de même la pertinacité le peut aussi.
De plus, il faut noter que le mot « pertinacité » a, dans la définition de l’hérésie, un sens différent du langage courant. Dans le sens usuel du dictionnaire « pertinace » signifie très tenace, obstiné, sournois, persistant, qui dure longtemps, persévérant. C’est aussi le sens de ce mot en latin.
Si la pertinacité ainsi comprise était essentielle au péché d’hérésie, celui-ci existerait seulement dans les cas de malice intrinsèque, peut-être fréquente, mais difficile à prouver; il pourrait seulement être déterminé après une longue période d’observation; il ne serait jamais commis dans un moment de faiblesse, par exemple de colère.
Or les moralistes et canonistes sont unanimes à affirmer que le Code de Droit Canonique (Can. 1325,§2) n’emploie pas le terme dans ce sens. Comme l’enseigne Tanquerey, « pertinax » est celui qui nie ou met en doute une vérité de foi « scienter et volenter », c’est-à-dire avec pleine connaissance de ce que cette vérité est un dogme, et avec pleine adhésion de la volonté. « Pour qu’il y ait pertinacité – ajoute-t-il – il n’est pas nécessaire que la personne soit admonestée plusieurs fois et persévère longtemps dans son obstination, mais il suffit que consciemment et volontairement (sciens et volens) elle refuse une vérité proposée de façon suffisante, soit qu’elle le fasse par orgueil, soit par goût de contredire, soit pour une autre cause. » (Tanqueray, Syn. Th. Mor. et Past., p. 473) Même s’il le nie « brevi mora », c’est-à-dire pendant un instant, un moment très bref, (Tanqueray, Brevior. Syn. Th. Mor., p. 95), car la pertinacité, dans ce cas, « ne signifie pas durée dans le temps, mais perversité de la raison » (Zalba, p. 28). Il peut y avoir pertinacité dans un péché d’hérésie commis par simple faiblesse (cf. Cajetan in Summa Theologiæ II-II, 11, 2).
Sur le sens canonique de « pertinacité » dans la définition de l’hérésie voir aussi: St. Thomas Summa Theologiæ, II-II, II. 2, 3; Super Ep. ad Titum, Lect., n. 102; Wernz-Vidal., pp. 449-450; Merkelbach, p. 569; Prümmer, p. 364; Noldin, vol. II, p. 25; Davis, p. 292; Peinador, p. 99; Regatillo, p. 142; Journet, p. 709.
L’ADMONITION EST-ELLE NÉCESSAIRE POUR L’HÉRÉSIE PAR LES ACTES ?
St. Paul demande que l’hérétique soit repris une ou deux fois avant d’être évité (cf. Tite III,10). Comment ose-t-on prétendre alors que quelqu’un devient hérétique par le simple fait de pratiquer certaines actions? Quand les canonistes affirment qu’on peut tomber dans le péché d’hérésie par la pratique d’actions, ils ne disent pas ou n’insinuent pas que les autres conditions exigées dans le cas de l’hérésie par parole cessent d’être valables. Par conséquent l’avertissement est nécessaire en principe dans une hypothèse comme dans l’autre.
Nous disons “en principe” parce que la règle énoncée par St. Paul admet une exception importante. Les auteurs de traités enseignent que l’avertissement exigé par l’Apôtre des Gentils leur sert a mettre en évidence le pécheur qui nie une vérité de foi, une vérité qui ne peut être niée sous aucun prétexte. L’Église a toujours l’extrême préoccupation d’éviter toute équivoque en dénonçant l’animus hérétique.
Or, il y a des cas où il ne peut y avoir une telle équivoque. Il y a des cas où l’hérétique, de tout évidence, sait que la vérité qu’il nie ou celle dont il doute est de foi. On ne peut admettre par exemple qu’un docteur en Théologie ignore que la Virginité de Notre Dame est un dogme.
D’un autre côté, dans une conversation ou dans une conférence, même un docteur en Théologie peut laisser échapper par inadvertance une expression impropre, qui de soit constituerait une hérésie. De même dans un livre qu’il a écrit et sur lequel il a réfléchi attentivement, on peut admettre que se soit glissée une erreur sans qu’il s’en aperçoive. Mais si la thèse centrale du livre est manifestement hérétique il n’est plus possible d’admettre une erreur, une inadvertance ou une négligence. La monition serait superflue.
De Lugo, citant les grands auteurs de son temps, expose ainsi cette importante question: « ... On n’exige pas non plus toujours au for externe l’avertissement et la réprimande prévue pour que quelqu’un soit châtié comme hérétique et pertinace, et une telle exigence n’est pas toujours admise dans la pratique par le Saint Office. Car s’il pouvait établir d’une autre manière, étant donné la notoriété de la doctrine, la qualité de la personne et les autres circonstances, que l’accusé ne pouvait ignorer l’opposition de sa thèse à l’Église, de ce fait il serait considéré comme hérétique (...). La raison de cela est claire, car la monition extérieure peut seulement servir à ce que celui qui a erré comprenne l’opposition qui existe entre son erreur et la doctrine de l’Église. S’il connaît tout le sujet par les livres et les définitions conciliaires beaucoup mieux que ce qu’il ne pourrait le connaître par les déclarations de celui qui l’admoneste, il n’y a pas de raison pour qu’on exige une autre monition pour qu’il devienne pertinace contre l’Église. » (De Lugo, disp. XX, sect, IV, n.157-158. Voir aussi, Diana, Resol. 36; Vermeersch, p. 245; Noldin, vol. I, Compl. de Pœnis Eccl., p. 21; Regatillo, p. 508.
Une telle doctrine, pourrait objecter quelqu’un, se trouve dans les traités, mais n’a pas été retenue par le Code de Droit Canon, qui dans le canon 2233§2 établit de façon précise que l’accusé doit être repris et averti avant l’imposition de la censure.
L’objection ne tient pas car ce canon s’applique seulement aux censures ferendæ sententiæ, c’est-à-dire celles qui sont infligées par le supérieur ou par le juge ecclésiastique. Quand la censure est latæ sententiæ, c’est-à-dire quand l’accusé l’encoure automatiquement par le fait d’avoir commis un certain délit, la monition n’est pas nécessaire. Dans ce cas, comme dit une belle formule juridique, Lex interpellat pro homine, la loi interpelle à la place de l’homme (cf. Palazzini, col. 1298).
Or l’excommunication qui pèse sur l’hérétique est latæ sententiæ. (Canon 2314§1) Il devient clair par conséquent que le Code de Droit Canon a accepté aussi le principe de ce que la monition n’est pas toujours nécessaire pour que soit révélée la pertinacité.
ACTES QUI CANONIQUEMENT SONT SUSPECTS D’HÉRÉSIE
L’étude de l’hérésie exige une analyse de l’aspect juridique du soupçon d’hérésie.
En effet le Code de Droit Canon énumère de nombreux actes qui, par nature, font soupçonner que celui qui les pratique est hérétique. Ce ne sont pas, par conséquent, des actes non-équivoques. Normalement seul l’hérétique les pratique, mais en réalité ils peuvent être expliqués par d’autres causes que l’hérésie.
Avant de voir comment procède l’Église dans de tels cas, afin d’éclaircir s’il s’agit d’un hérétique ou non, analysons les délits qui, selon le droit canon, créent un soupçon d’hérésie.
• Se marier avec un pacte explicite ou implicite que tous les enfants ou quelques-uns seront éduqués en dehors de l’Église Catholique (Can. 239§2). La raison est évidente. Si dans un mariage mixte le conjoint catholique est d’accord pour que les enfants soient éduqués par exemple dans la religion protestante, c’est probablement qu’il juge que le protestantisme permet de louer Dieu validement.
Et c’est une hérésie de croire que la Religion Catholique n’est pas la seule vraie.
• Livrer les enfants consciemment à des ministres acatholiques pour qu’il les baptise (Canon 2319§3).
• Livrer consciemment les enfants ou ceux dont on a la garde à l’éducation ou l’instruction d’une religion acatholique.
• Jeter les espèces consacrées, comme les jeter ou les porter avec soi dans une mauvaise intention (Canon 2320). Car on peut bien soupçonner que celui qui commet de tels crimes ne croit pas à la présence réelle ou que, par la haine qu’il porte aux espèces sacrées, il nie d’autres dogmes.
• Rester obstinément frappé d’excommunication pendant un an (Canon 2340§1). Car celui qui agit ainsi ne croit pas au pouvoir juridique des autorités ecclésiastiques, ou nie d’autres dogmes.
• Par simonie et consciemment conférer ou recevoir les ordres sacrés. Selon le Droit Canon, le soupçon d’hérésie, dans cette hypothèse, peut retomber aussi sur une personne élevée à la condition épiscopale. (Canon 2371). La commercialisation des sacrements révèle un tel mépris pour tout ce qu’il y a de plus sacré dans la Sainte Église qu’on doit conclure que celui qui la pratique ne croit à aucun dogme.
• Spontanément et consciemment aider de quelque manière à la propagation de l’hérésie (Canon 2316).
• Assister activement à des fonctions sacrées d’acatholiques ou y prendre part sans être obligé à une simple présence passive en raison d’une charge civile ou d’une nécessité sociale, par motif grave et pourvu qu’il n’y ait pas risque de scandale (Canon 2316). (…)
• En appeler à un Concile universel des lois, décrets ou ordres du Souverain Pontife, quelque soit l’état de l’appelant, son grade ou sa condition, fût-elle royale, épiscopale ou cardinalice (Canon 2332). Celui qui en appelle à un Concile d’une décision papale admettrait implicitement la supériorité du Concile sur le Pontife Romain, ce qui est une thèse hérétique.
Sur les cas canoniques de soupçons d’hérésie on peut consulter: Wernz-Vidal., pp. 451-452 ; Tanquerey Brevior. Syn. Th. Mor., p. 386; Vermeersch, p. 316; Capello, pp. 552 et seqq ; Ferreres, p. 743; Sipos, p. 609; Regatillo, p. 573; Iorio, pp. 253 et seqq., 260 et seqq.
MESURES CANONIQUES CONTRE LE SUSPECT D’HÉRÉSIE
Comment procède l’Église pour vérifier si le suspect d’hérésie est réellement hérétique?
Le Canon 2315 exige que “le suspect d’hérésie qui, admonesté, ne fait pas disparaître la cause du soupçon soit écarté des actes légitimes <dénomination donnée par le canon 2256§2 à certains actes juridiques: être parrain de baptême ou de confirmation, voter dans des élections ecclésiastiques, administrer des biens ecclésiastiques, etc...> et, s’il est clerc, une fois répétée inutilement la monition, qu’il soit aussi suspens à divinis <c’est-à-dire interdit de célébrer la Sainte Messe et d’exercer les autres actes de culte propres aux clercs>; et si le suspect d’hérésie ne s’amende pas dans l’espace de six mois complets a compter du moment où il a encouru la peine, qu’il soit considéré comme hérétique, sujet aux peines des hérétiques. » Notons par conséquent comme l’Église est prudente et patiente en ce qui concerne de telles personnes. En plus de l’avertissement qui doit être réitéré dans le cas d’un clerc, elle donne six mois pour la rétractation ou pour d’éventuels éclaircissements, avant d’appliquer les peines propres aux hérétiques. Ces peines ne sont pas automatiques mais elles doivent être appliquées par l’évêque qui peut éventuellement avoir des raisons pour ne pas les rendre effectives.
En plus de patiente et prudente, l’Église est juste et la justice exige l’énergie. Passées certaines limites, il faut couper de l’organisme le membre gangrené qui s’est lui-même excommunie et en plus de cela, constitue une menace pour la foi des autres.
Selon l’esprit de l’Église les censures doivent être imposées avec mesure et circonspection, mais il doit y avoir aussi sévérité et rigueur, si c’est nécessaire: cf. Canons 2214§2, 2241§2; Wernz-Vidal, pp. 180 et seqq; Vermeersch, pp. 236-237, 259; Regatillo pp. 500-501, 523.
Les cas de soupçon d’hérésie énumérés plus haut sont ceux que prévoit le Code de Droit Canon. Cependant, comme l’observent les théologiens, il y a aussi des cas non canoniques de soupçons d’hérésie : il y a soupçon d’hérésie, dit Wernz-Vidal, dans l’exercice de la magie, de sortilèges, de divination, dans les abus très graves des sacrements, comme par exemple dans le délit de sollicitation en confession, dans la violation du secret sacramentel, dans la confection frauduleuse des sacrements par une personne qui n’a pas reçu l’ordination sacerdotale. Dans les délits contre l’autorité ecclésiastique qui font soupçonner à bon droit que l’accusé à des idées erronées, non sur la personne qui l’exerce mais sur l’autorité en tant que telle, comme cela arrive chez ceux qui donnent leur nom à des sectes qui, clairement ou de façon occulte ourdissent des machinations contre l’Église ou la société civile.(...) Ces cas qui, dans le droit antérieur (c’est-à-dire dans le Droit Canonique antérieur au Code actuel, promulgué en 1917) étaient par les docteurs, continuent par leur nature (ex natura rei) fondement au soupçon d’hérésie mais le soupçon juridique n’existe que dans les neuf cas spécifies dans le Droit Canon, et que nous venons d’énumérer. Dans le même sens voir d’Annibale, In Constitutionem, n. 31.
Nous attirons l’attention du lecteur, d’une façon particulière, sur cette distinction entre les cas canoniques et non canoniques de soupçon d’hérésie. En ce qui concerne les premiers le Code prévoit l’hypothèse, la définit et la sanctionne. En ce qui concerne les seconds, il n’y a pas de référence directe dans les lois ecclésiastiques, mais la nature même de l’acte fait soupçonner que son auteur est, au fond de l’âme, hérétique. Celui qui exerce la magie, par exemple, nie probablement un dogme, même si le Code garde le silence à cet égard.
Nous sommes amenés à nous demander: « Les nombreux actes qui de leur propre nature créent le soupçon d’hérésie, mais ne sont pas prévus dans le Droit Canonique actuel, restent-ils pour cela impunis? » L’importance de cette question est capitale. Et elle l’est d’autant plus que beaucoup d’auteurs traitant du délit canonique de soupçon d’hérésie pensent que cette clause juridique inclue seulement les cas expressément prévus par la loi (Cappello, p. 553; Vermeersch, p. 316; Brys, p. 504; Zalba, p. 30; Iorio, p. 260).
Il faudra soutenir peut-être que l’Église, mère bonne et indulgente, ne punit que les neuf cas cités, laissant pour le reste, le champ libre à ses mauvais fils?
AUTRES ACTES ENTACHES D’HÉRÉSIE ET NON PRÉVUS DANS LE CODE DE DROIT CANON
Avant de répondre à cette question, complétons le cadre dans lequel elle doit être analysée. En effet, il y a d’autres catégories d’actes liés à l’hérésie qui étaient punis par le Droit primitif et qui ne figurent pas, du moins explicitement, dans le Code. Ces actes sont: croire en un hérétique, le favoriser, le recevoir et le défendre .
Sur ces délits voir: Suarez, disp. XXIV, sect. I ; De Lugo, disp. XXV sect. I; Schmalzgrüber, nn.91 et seqq.; D’Annibale, Summula..., p. 8; Wernz-Vidal, pp. 450 et seqq.; Michel, col. 2244.
LES CROYANTS : CEUX QUI CROIENT OU SE DISPOSENT À CROIRE À UN HÉRÉTIQUE
Les “croyants”, c’est-à-dire ceux qui croient en un hérétique, qui lui accordent du crédit, sont “ceux qui, de mauvaise foi, acceptent par un jugement de l’intelligence au moins une doctrine hérétique proposée par un hérétique, même s’ils n’adhèrent pas à une secte déterminée.” Ce délit présente peu d’intérêt pour notre étude, vu que “les croyants” ne différent pas essentiellement des hérétiques et pour cette raison sont inclus dans les délits d’hérésie si d’autres conditions ne font pas défaut.” (Wernz-Vidal, p. 450) En effet celui qui accepte une doctrine hérétique est hérétique. Cette distinction entre les “croyants” et les hérétiques affiliés à une secte quelconque ne doit nous servir que pour établir clairement que les uns et les autres sont excommuniés même si les seconds encourent des peines particulières prévues par le Canon 2314, §I, 3°.
Cependant, comme l’observe Suarez, le terme de “croyant” doit s’étendre également à “ceux qui, sans donner leur assentiment aux erreurs, vont néanmoins écouter les hérétiques dans une disposition d’esprit telle qu’ils se rangeraient facilement à leur avis si les arguments et les raisons alléguées leur convenaient.” (Suarez, disp. XXIV, sect. I, n. 3). La même doctrine est encore exposée, entre autre, par De Lugo (disp. XXV, sect. I, n.3) et Schmalzgrüber (n. 92).
Ensuite Suarez ajoute que les personnes qui auraient assisté plusieurs fois, régulièrement, aux réunions de sectes hérétiques, doivent être considérées comme “croyants”. Voici donc un cas très claire de délit proche de l’hérésie commis non par parole mais en acte.
LES FAUTEURS D’HÉRÉSIE
Les fauteurs d’hérésie “sont ceux qui par la pratique ou l’omission d’un acte quelconque accordent aux hérétiques un avantage qui favorise le développement de la doctrine hérétique (Wernz-Vidal, p. 450). Remarquons que pour se rendre coupable de favoriser l’hérésie il faut avoir rendu service à un hérétique en tant que tel. Il est évident que si un médecin, par exemple, secourt un protestant malade il n’est pas pour cela fauteur d’hérésie. La même observation mutatis mutandis, vaut pour ceux qui défendent et reçoivent des hérétiques, comme nous en parlerons plus loin.
Sur la façon de favoriser l’hérésie par omission, De Lugo écrit: “favorisent l’hérétique par omission ceux qui, tenus par leur charge de prendre, châtier et expulser un hérétique, négligent pourtant ces devoirs. Par exemple: les magistrats auxquels recourent l’évêque ou les inquisiteurs, ou à qui ils confient l’hérétique pour être châtié. Et aussi les inquisiteurs et prélats ecclésiastiques, eux-mêmes (s’ils négligent une partie des obligations de leur charge, favorisant ainsi l’hérésie. Il faut dire la même chose des autres ministres du Saint Office et aussi des personnes privées à qui cette charge est confiée par ceux qui ont le pouvoir de la leur imposer; et aussi des témoins qui, obliges de dire la vérité lors d’un interrogatoire légitime, la cachent pour favoriser l’hérétique.” (De Lugo, disp. XXV. sect. I, n. 6). Et dans le même sens on peut lire Suarez, De Fide, dist. XXIV, sect. I, n. 6; Schmalzgrüber, n. 94.
CEUX QUI REÇOIVENT LES HÉRÉTIQUES
Ce sont « ceux qui cachent ou reçoivent des hérétiques dans leur domicile ou un autre endroit afin que ces derniers puissent échapper à une enquête juridique et aux peines qu’ils mériteraient », (Wernz-Vidal, p. 450-451). De Lugo remarque que, pour qu’il y ait délit caractérisé, il suffit, comme l’affirment tous les auteurs, de recevoir les hérétiques une seule fois, ainsi que ceux qui se présentent comme défenseurs ou alliés des hérétiques... Cette censure atteint non seulement ceux qui reçoivent et cachent un hérétique mais encore les magistrats et les autorités qui les reçoivent dans leurs villes ou leurs provinces, de telle manière que sous leur protection ils soient libres et puissent demeurer dans la secte à laquelle ils appartiennent ( De Lugo, disp. XXV, sect. I, n. 4).
LES DÉFENSEURS DES HÉRÉTIQUES
Les « défenseurs” sont ceux qui n’adhèrent pas intérieurement à la doctrine hérétique et pourtant la défendent par la parole ou les écrits contre ceux qui la combattent. Ce sont aussi ceux qui protègent, par la force ou par d’autres moyens injustes la personne des hérétiques contre une poursuite légitime, conséquence de cette hérésie”. (Wernz-Vidal, p. 451)
TEXTES ANACHRONIQUES
Certains des textes que nous venons de citer concernant les “croyants, fauteurs, receveurs et défenseurs” des hérétiques peuvent paraître entièrement anachroniques et surannés dans la pratique moderne de l’Église. Nous les citons cependant pour deux raisons.
D’abord ils établissent clairement que, même de nos jours, nombreux sont les catholiques qui tombent dans de tels péchés liés à l’hérésie. En effet, aujourd’hui comme autrefois, il existe ceux qui écoutent les hérétiques, l’esprit bien disposé à leur égard, ceux qui leur accordent des avantages qui favorisent la propagation de l’hérésie, ceux qui, obligés par leur fonction à châtier les hérétiques, négligent de le faire, etc.
Ensuite, une étude théorique sur l’hérésie ne peut se limiter à l’analyse de la situation moderne. La malice de nos temps a amené l’Église à tolérer dans sa législation des procédés qui ne correspondent pas à l’ordre idéal auquel elle-même et ses enfants aspirent, et pour lequel ils luttent. Les textes cités plus haut indiquent au moins par la propre nature des choses, l’obligation de poursuivre les hérétiques dans une société entièrement catholique. Tels étaient les principes en vigueur au Moyen-âge dont Léon XIII dit dans l’Encyclique Immortale Dei: « Il y eut un temps durant lequel la philosophie de l’Évangile gouvernait les États. A cette époque l’influence de la sagesse chrétienne et sa vertu divine pénétrait les lois, les institutions, les coutumes des peuples, toutes les catégories et toutes les relations de la société civile. Alors, la Religion instituée par Jésus-Christ, solidement établie dans le degré de dignité qui lui est dû, était partout florissante grâce au soutien des Princes et à la protection légitime des Magistrats. Alors, le Sacerdoce et l’Empire étaient liés dans une heureuse harmonie et l’échange courtois de bons services. Ainsi organisée, la société civile produisit des fruits dépassant toute espérance, fruits dont la mémoire subsiste et subsistera, enregistrée qu’elle est dans de multiples documents que nul artifice de l’ennemi ne pourra corrompre ou obscurcir.” (p. 15)
IMPUNITÉ CANONIQUE POUR TANT DE PÉCHÉS LIÉS À L’HÉRÉSIE
Parvenus à ce point de notre étude, nous pouvons répéter la question que nous nous sommes posée : les nombreux péchés liés à l’hérésie mais non prévus par le Droit Canon demeurent-ils impunis dans le Droit Canon actuel?
La réponse doit être: dans l’absolu, pas.
A priori en effet nous pourrions affirmer que des pratiques aussi nuisibles à la foi ne peuvent rester impunies. Laisser l’autorité ecclésiastique désarmée devant elles serait permettre l’installation du loup dans la bergerie du Christ.
Il est bien connu que, tant dans l’ordre civil que dans l’ordre ecclésiastique, le Droit positif ne doit ni ne peut punir tous les actes condamnables. En voulant réprimer par la loi tout ce qu’ils jugent mal, les socialistes par exemple finissent par instaurer un régime juridique totalement antinaturel et surtout incomparablement plus injuste que les injustices qu’ils prétendaient – ou disaient prétendre – éliminer.
Il y a certains crimes, cependant, que le Droit ne peut laisser impunis, parce qu’ils sont fondamentalement contraires à l’ordre social. De tels crimes, impunis, s’étendraient, mettant en jeu l’existence même de la société. Ainsi, dans le domaine civil, les lois ne peuvent laisser impunis l’homicide, la tentative d’homicide, les attaques à l’intégrité corporelle d’un tiers, etc.
De la même manière, les délits proches de l’hérésie analysés plus haut, sont tels que le Droit Canon ne peut cesser de les punir d’une façon ou d’une autre.
Comment imaginer que des suspects d’hérésie puissent répandre leur venin dans les esprits des fidèles par leurs actes scandaleux sans que l’autorité ecclésiastique dispose d’un moyen de les atteindre? Comment imaginer que les fauteurs d’hérésie aient plein droit de cité dans la Sainte Église? Ils pourraient inoculer un virus mortel dans le Corps Mystique du Christ sans moyen de défense contre eux.
A priori – nous le répétons- on pourrait déjà assurer que le Droit Canon sanctionne les actes délictueux proches de l’hérésie. Et en fait, on rencontre dans le Code divers moyens légaux punissant de tels actes. Sans vouloir épuiser la question, nous indiquerons quelques-uns de ces moyens.
Beaucoup des actes cités plus haut tombent sans aucun doute, sous le Canon 2316 selon lequel “est suspect d’hérésie celui qui spontanément et consciemment aide de quelque manière à la propagation de l’hérésie”. Ainsi la personne qui commet un acte délictueux est traitée comme tout suspect d’hérésie selon le Canon 2315 que nous avons analysé.
Certains auteurs jugent que telle est la situation de tous les receveurs, défenseurs et fauteurs d’hérésie dans le Code actuel. ( cf. Michel, col. 2244). En ce qui concerne les “croyants” ou bien ils rentrent dans cette catégorie ou bien ils sont directement hérétiques comme nous l’avons vu.
La question passerait pour résolue sans les deux aspects suivants: certains canonistes excluent du Canon 2316 les délits par omissions (Vermeersch, p. 317) et d’autres affirment que “receveurs, défenseurs et fauteurs d’hérésie” ne tombent pas, en règle générale, sous cette sanction, même s’ils tombent sous d’autres canons.
Ainsi Sipos (p. 603) les considère comme tombant sous le canon 2209, §7, qui punit la louange du délit commis, la participation à ses fruits, la dissimulation du coupable, etc. ...; il réserve pour le canon 2316 à peine l’hypothèse d’une aide pour la propagation de l’hérésie.
Wernz-Vidal (p. 451) les place sous les divers paragraphes du canon 2209 et à peine sous le 7e. Les autres paragraphes considèrent les notions de complicité, d’incitation au délit, de coopération pour son accomplissement, de collaboration par négligence dans l’exercice de la charge propre, etc.
D’un autre côté, divers auteurs laissent ouverte la possibilité d’inclure tous les délits proches de l’hérésie dans le Canon 2315, qui punit le soupçon d’hérésie. En effet, ces canonistes jugent que le délit spécifique de soupçon se commet non seulement dans les neuf cas prévus par la loi, mais encore dans tous les cas qui révèlent par leur nature propre que le fautif nie quelque dogme. (Cf. Sipos, p. 609; Regatillo, p. 573). N’admettent pas cette possibilité: Vermeersch, p. 316; Cappello, p. 553; Brys, p. 504; Zalba, p. 30; Iorio, p. 260.
Finalement nous devons observer que jusque dans l’hypothèse absurde selon laquelle aucune loi ne punirait les délits proches de l’hérésie, demeure ouverte une voie canonique permettant cette sanction : la propre figure juridique de l’hérésie.
En effet, le Canon 2314, §I, déclare que les hérétiques encourent ipso facto l’excommunication. Comme nous l’avons vu, il est possible de tomber dans l’hérésie tant par des paroles ou des écrits que par des actes. Ainsi par la propre nature des choses et non simplement par une disposition canonique, celui qui commet un délit proche de l’hérésie, devient suspect d’hérésie.
Et aussi, par la propre nature des choses, un suspect doit être traité comme suspect.
Que se passerait-il alors si aucune loi ne punissait les délits cités? Devant un cas de soupçon d’hérésie, l’évêque, le supérieur ou même quelque ami zélé pourrait convoquer le suspect – selon le cas devrait le convoquer – en lui demandant de supprimer la cause du soupçon. Si c’était nécessaire il faudrait recourir à un second avertissement selon le précepte de St. Paul. On pourrait même donner un certain temps pour la rétractation si les circonstances le demandaient. Enfin, si tout se révélait inutile l’hérétique serait caractérisé selon le Canon 2314, §1.
Nous répétons donc qu’il serait absurde d’imaginer un Droit Canonique dans lequel les péchés proches de l’hérésie demeureraient totalement impunis, ouvrant ainsi les portes de la bergerie pour les loups les plus voraces qui se présentent toujours déguisés en brebis. Quant à savoir si de tels péchés entrent dans tel ou tel canon, la divergence entre les auteurs existe pour nous montrer qu’il y a plus d’une voie juridique pour punir un délit quelconque proche de l’hérésie. Ainsi les lois ne manquent pas, mais au contraire demeurent de telle façon qu’elles arrivent à créer une certaine perplexité parmi les canonistes.
HÉRÉSIES DIFFUSES
Dans une récente Lettre Pastorale, Mgr. A. de Castro Mayer met en garde ses diocésains contre “l’hérésie diffuse” qui, sans se concrétiser dans des propositions explicites, est sous-jacente et opérante dans la manière d’être du commun des hommes d’aujourd’hui et, au travers de la société, s’infiltre dans les milieux catholiques”. (Considérations, p. 20)
Déjà auparavant, Mgr. G. de Proença Sigaud avait alerté ses fidèles contre le communisme diffus, qui « est certainement un danger beaucoup plus grave que le communisme direct ». (p. 123)
A notre époque truffée d’hérésies déclarées, ce sont cependant les hérésies déguisées et diffuses qui constituent les menaces les plus graves pour la foi de chaque catholique et la civilisation chrétienne. Nous espérons contribuer à les combattre en montrant que, non seulement par des paroles mais aussi par des gestes, des actes, des signes, des attitudes, des omissions, il est possible de tomber dans l’hérésie externe.

Cet article fut publié en portugais dans le No 204 (décembre 1967) dans la revue Catolicismo, Campos, Brésil.

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