Lire l'Apocalypse de saint Jean

Le Forum Catholique

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Jean Ferrand -  2014-07-04 09:38:33

Lire l'Apocalypse de saint Jean

Je viens de recevoir le livre d'Henry de Villefranche : Lire l'Apocalypse de saint Jean, et je l'ai feuilleté rapidement. Hélas, impression défavorable. Exégèse et théologie médiocres. Certes on doit accepter son propos quand, en tant que prêtre et enseignant catholique, il nous recommande la lecture fréquente et en Église de l'Apocalypse. C'est bien le moins. Mais il n'en facilite guère la lecture, contrairement à son intention affichée.

A mon avis il n'a pas dépassé le stade de feu le Père Boismard, traducteur justement du livre de l'Apocalypse dans la Bible de Jérusalem. Il en est resté à la théorie d'une double rédaction de l'Apocalypse, une partie sous Néron, une partie sous Domitien. Théorie non démontrée et indémontrable qui, à mon avis, rend incompréhensible le livre de l'Apocalypse.

L'auteur a une exégèse très floue et très faible. Il ne tranche pas les questions primordiales auxquelles le lecteur primaire cherche d'abord une réponse. Quel est l'auteur de l'Apocalypse ? Est-ce ou n'est-ce pas l'évangéliste et apôtre saint Jean. Quand exactement a été rédigée l'Apocalypse ? Sous Néron ? Ou sous Domitien ? Ou plus tard encore ?

D'après lui l'intelligence de l'Apocalypse serait une clef de la Bible entière puisqu'elle en est la conclusion. Mais cela serait vrai si l'on comprenait d'abord l'Apocalypse elle-même. Or sa lecture reste incertaine ou approximative, pour ne pas dire plus. Donc la Bible elle-même serait incompréhensible ? C'est la conclusion qu'on serait tenté de tirer.

Dès l'entrée l'auteur semble avoir une mauvaise intelligence du titre. L'Apocalypse serait d'abord une révélation (passive) de la personne de Jésus-Christ. Or ce n'est pas ainsi qu'il faut l'entendre. Certes l'Apocalypse, comme tout le Nouveau Testament, nous parle de la personne de Jésus-Christ et nous révèle une part de son mystère. Mais elle est d'abord une révélation active de Jésus-Christ lui-même. C'est-à-dire qu'il nous délivre par ses intermédiaires, l'ange et Jean, un message prophétique sur le présent et l'avenir du monde : « Écris donc ce que tu as vu, ce qui est, ce qui va ensuite advenir. » (Ap 1, 19). Il est évident que par là il se révèle lui-même. Mais il le fait en tant que prophète.

Il manque à l'auteur une vision historique de l'Apocalypse. Le message ici délivré est une intervention directe de Dieu dans l'histoire du monde. Cette vision implique donc, sous les symboles, une appréciation éminemment temporelle de l’Église, dans le passé, le présent et l'avenir. L’Église, comme Jésus-Christ, est incarnée. Donc elle vit et réside dans le déroulement temporel de l'histoire. Elle a vécu, elle est et elle sera.

Le présent, justement, est représenté par l'état des sept Églises, qui symbolisent toutes les Églises du monde, déjà du temps de Néron. L'auteur semble s'étonner de ces messages épistolaires aux sept Églises car ils ne font pas partie, dit-il, du genre apocalyptique. Mais justement, ils sont une révélation importante de Jésus-Christ sur l'état de l’Église qu'il a fondée, quelque trente ans à peine après qu'il l'a lancée dans le monde. Et cet état est contrasté. On y discerne des fidélités héroïques, mais aussi, hélas, des tiédeurs et des relâchements.

Je n'aime pas que l'auteur transcrive littéralement le tétragramme : YHWH, comme le fait la bible de Chouraqui. Et d'abord on ne sait pas comment le prononcer. On est bien obligé de dire Yahvé, comme le propose la Bible de Jérusalem. Et alors pourquoi ne pas l'écrire ainsi ? On sait que l'interdiction faite aux juifs de le prononcer ne remonte pas à l'antiquité judaïque. Au Ier siècle elle connaissait encore des exceptions. Elle n'est pas valable pour les chrétiens. Et d'ailleurs les nombreux noms théophores l'utilisent sans problème, même en hébreu. A commencer par le nom de Jésus, Yeshoua.

Et d'abord une erreur historique qui explique bien des approximations : les persécutions auraient repris, plus meurtrières, sous Domitien. Ce n'est pas acquis. La persécution de Domitien n'est pas prouvée historiquement. Elle n'est attestée que par l'Apocalypse à condition qu'on place la rédaction de l'Apocalypse sous Domitien. Cercle vicieux. En réalité l'Apocalypse a été écrite entièrement sous Néron et expédiée aux sept Églises avant même la chute de ce dernier, chute à laquelle elle ne fait aucune allusion.

Pages 61 à 63, l'auteur propose un plan. Mais est-ce bien cohérent avec le fait que l'Apocalypse ait été composée à deux époques différentes et peut-être par deux auteurs distincts ? En supposant sans doute un troisième auteur pour recoudre vaille que vaille les deux morceaux ? De plus ce plan ne s'impose pas et il n'éclaire guère le propos du compilateur final. Il comporte des lacunes inexpliquées. Rien de 17, 1 à 18, 1, de 18, 1 à 18, 21 et de 18, 21 à 19, 10. Or une lecture primaire, ou première, de l'Apocalypse doit être faite sans omissions, en continu parfait. On ne peut sauter à pieds joints des passages entiers, qui sont en plus des passages clefs. 19, 1-10, par exemple, c'est le triomphe au ciel après la chute de Rome, le septième et dernier tableau sur le châtiment de la nouvelle Babylone.

L'auteur avoue n'avoir rien compris à l'Apocalypse : « Cette succession de visions n'offre pas de lien de continuité qui en ferait une narration cohérente. » (page 61). L’Apocalypse étant incohérente, il est difficile dans ce cas de figure de lui attribuer un plan concerté. Alors que cet ensemble de cycles (mais notre auteur a-t-il vu des cycles ?) obéit à une logique interne et à une progression implacable. Mais l'auteur ne l'a pas vu, ne le sent pas. Les lettres, c'est le présent des Églises. Les sceaux c'est le passé éloignée de l'humanité. Les trompettes, c'est le passé immédiat. La Femme et le dragon, c'est le présent de l'humanité contemporain de Jean. Les fléaux c'est le futur proche de l'empire romain, avant sa perte annoncée (17, 1 à 19, 10). La suite c'est le futur de l'humanité jusqu'à la parousie, la parousie comprise. Mais notre auteur n'en est pas conscient. Il ne voit pas la perspective historique. Il en resté sans le dire (comme Prigent) aux 'récapitulations', c'est-à-dire aux répétitions, aux ressassements du vieux Tyconius, ancêtre des commentateurs maladroits de l'Apocalypse.

L'auteur serait assez favorable au fait que l'apôtre et évangéliste Jean soit l'auteur de l'Apocalypse car il discerne, avec raison, une multitude de ressemblances entre le quatrième évangile et l'Apocalypse. Mais la méthode de composition qu'il envisage est peu crédible : trois étapes au moins, sous Néron, sous Vespasien, puis sous Domitien. Mais, si l'auteur est le même, il y a une différence considérable de style entre l'Apocalypse, archaïque, à la grécité maladroite, farcie de réminiscences bibliques, et l'évangile comme les épîtres, beaucoup plus fluides, littéraires, récents en un mot. Cela impose une différence d'époque. L'Apocalypse fut écrite et expédiée du vivant de Néron, et l'évangile publié sous Trajan, 30 ans après. Le plan septénaire qu'on décèle sans parti pris dans l'Apocalypse impose une unité de composition dans le temps. Un propos suivi. Le message pour temps d'épreuve, à répandre sous le manteau, ésotérique, allusif, n'attendait pas. C'était une lettre circulaire – une encyclique déjà – à diffuser sans retard aux sept Églises d'Asie, et peut-être à d'autres.

L'auteur ne comprend pas que saint Jean ne fut pas déporté à Patmos par les autorités. Dans ce cas-là il eût été interné. Ce qui ne fut pas le cas. Il était exilé volontaire pour fuir la persécution qui sévissait à Éphèse. Il était en touriste, en quelque sorte, et se promenait dans l'île.

L'auteur imagine que saint Jean aurait été influencé par la liturgie païenne pratiquée à Patmos. Mais il la connaissait déjà à Éphèse où le même culte d'Artémis était pratiqué et avec quelle ampleur. Cependant Jean, en bon juif, avait horreur du syncrétisme. Il n'avait que faire de cette quincaillerie païenne.

L'auteur sépare indûment les chapitres 4 et 5 du septénaire des sceaux. Or manifestement ils n'en sont que l'introduction grandiose. « J'ai vu, dans la main droite de celui qui siège sur le Trône, un livre en forme de rouleau, écrit au-dedans et à l'extérieur, scellé de sept sceaux. » (Ap 5, 1). Ce livre contient l'avenir et la destinée du monde. Mais seul l'Agneau est digne et capable de l'ouvrir. Car lui-même est Dieu. Selon un plan correct, les chapitres 4 et 5 sont la vision liminaire du septénaire des sceaux. Ils sont essentiels à son intelligence. Certes la liturgie céleste est grandiose. Mais c'est tout l'apparat, toute la mise en scène de l'Apocalypse qui est ici à l’œuvre. Ces chapitres sont primordiaux. Ils ne seront guère égalés que par la vision de la Jérusalem céleste. Ici, avec Jean, nous entrons dans le mystère de Dieu même. Ce mystère est déjà trinitaire. Le Trône, c'est le Père, l'Agneau qui s'avance vers lui c'est le Fils et la mer transparente c'est le Saint-Esprit. Les quatre vivants sont des anges primordiaux qui président aux destinées du cosmos, spirituel aussi bien que matériel. Les 24 vieillards sont des anges qui veillent sur les douze tribus de l’Israël ancien et sur les douze tribus de l'Israël nouveau, l’Église. Mais cela, l'auteur ne le comprend guère. Pour lui ce sont les 24 classes sacerdotales du Temple de Jérusalem. Mais ce Temple terrestre n'était qu'une pâle figure de celui du ciel.

L'auteur identifie le grand Livre remis à l'Agneau comme étant le livre de la Loi, la Torah des juifs. Cette identification peut s'admettre à condition de préciser que ce Livre, avant la venue de l'Agneau, c'est-à-dire Jésus-Christ, était complètement scellé et que seul Jésus-Christ, principalement dans le Nouveau Testament en apportera l'interprétation véritable. Le Livre est écrit au-dedans et au-dehors, c'est-à-dire qu'il avait un sens littéral, accessible à tous, même au profane, et un sens spirituel qui ne sera dévoilé que par Jésus-Christ.

Celui qui siège sur le Trône n'a pas d'appellation propre, il est désigné comme quelqu'un, c'est-à-dire un inconnu. C'est que son nom ne sera connu qu'en référence au Fils et par le Fils. Il sera alors le Père.

Le septénaire des sceaux ne se comprend que par référence à la scène qui le précède, sa vision liminaire (4 et 5). C'est l'Agneau qui vient défaire progressivement, un à un, les sept sceaux qui fermait le Livre.

Il est évident que dans chacun des septénaires de l'Apocalypse, le septième élément, le dernier, emboîte sur le septénaire suivant. Car ce sont autant de cycles qui s'enchaînent les uns dans les autres. Il n'empêche que chacun des septénaires, en y incluant ses visions liminaires ou intermédiaires, doit être pris comme une unité, selon les intentions claires de l'hagiographe. On ne saurait donc impunément les disjoindre. Ce que je reproche plusieurs fois à notre auteur. Le septénaire, pris globalement, doit introduire à l'intelligence des sections qui le composent.

Ici le septénaire des sceaux se terminera (8, 1) par un silence d'une demi-heure qui introduira à l'audition des sept trompettes. Ce silence d'une demi-heure est donc une césure très nette qui sépare le septénaire des sceaux (4, 1 -8, 1) de celui des trompettes (8, 2-11, 19). La division classique, en chapitres numérotés, et versets, ne doit pas induire en erreur, car elle n'est pas primitive, encore moins inspirée. Quand on lit l'Apocalypse en continu, on devrait observer un silence d'une demi-heure après le verset 8, 1 pour bien marquer la pause.

L'auteur a tendance à voir dans les quatre cavaliers de l'Apocalypse, montés sur des chevaux tour à tour blanc, rouge feu, noir et verdâtre, des puissances maléfiques. En vérité ce sont des anges qui exécutent les châtiments de Dieu, et le premier d'entre eux, monté sur un cheval blanc, a toutes les apparences d'être le Fils de l'homme lui-même puisqu'on le retrouvera au verset 19, 13 identifié au Verbe de Dieu. L'auteur s'en scandalise presque, mais c'est mal connaître la Bible. Quand David avait recensé le peuple, le Seigneur envoya son ange pour exterminer le peuple par la peste. Mais le Seigneur dit à l'ange : « Assez ! Maintenant, retire ta main. » (2 S 24, 16). Qu'on se rappelle aussi les plaies d’Égypte. Les anges, et le Fils de l'homme, ne font qu'exécuter les ordres de Dieu. Les cataclysmes même, les guerres, sont des châtiments divins qui peuvent être abrégés ou atténués par les prières. Ils ont une valeur purificatrice. Au verset 7, 2 il nous est confirmé que ces cavaliers étaient « quatre anges qui avaient reçu le pouvoir de faire du mal à la terre et à la mer. » Il n'est pas dit là que c'étaient des anges mauvais. Ce sont les exécuteurs des œuvres de Dieu.

L'auteur propose de lire ensemble les chapitres 8 à 11. Il y est bien contraint, car effectivement ce sont les éléments du troisième septénaire (à partir du verset 8, 2), celui des trompettes, avec sa vision liminaire et ses excursus. Mais cela il ne l'a pas indiqué clairement dans son plan, et c'est une lacune. Un plan, pour ne pas être fantaisiste, doit suivre avant tout, mécaniquement si j'ose dire, matériellement, les indications de l'auteur. Pour le cas, elles sont très nettes.

Qu'il y ait des parallèles entre le vision de l'ouverture des sept sceaux et l'audition des sept trompettes, c'est évident, et c'est intentionnellement voulu par l'hagiographe. Ce sont des cycles à déroulements concentriques. Cela n'empêche pas qu'il n'y a aucune répétition, mais bien progrès dans le temps, et dans l'histoire des hommes. On se rapproche du centre de l'ouvrage, qui sera (mathématiquement) le quatrième septénaire sur sept, celui de la Femme et du dragon, et qui décrira le présent, du temps de Jean, de l'histoire humaine, celui de la domination de l'empire romain et plus précisément de la persécution de Néron. Mais cela, notre auteur ne le voit guère, ne le signale pas. Pour l'heure, dans l'audition des sept trompettes, 8,2 à 11, 19, on en est au passé récent, celui qui a immédiatement précédé le présent de Jean, en gros le milieu du premier siècle. Autrefois c'était le quart (cf. 6, 8) de la terre qui pâtissait. Maintenant c'est le tiers (cf. 8, 7). Il y a progrès dans le malheur. L'Apocalypse ne fait pas allusion à l'histoire d'Israël menacé par l'orient, mais bien à la situation de l'empire romain menacé explicitement sur l'Euphrate par les Parthes, du temps de Néron et de Corbulon. Dans l'imaginaire populaire on se les représentait envahissant l'empire comme des sauterelles gigantesques. L'hagiographe se sent comme citoyen de l'empire romain, et solidaire de lui, et non pas d'Israël comme le pense l'auteur. L'histoire d'Israël, c'est du passé révolu.

L'ange tient dans sa main un petit livre ouvert (cf. 10, 2). Ce petit livre ne peut pas être le grand livre qui fut ouvert dans la section des sceaux (4, 1 à 8, 1), contrairement à ce que pense l'auteur. Ici, ce ne peut être que l'évangile, un petit livre par la taille, non encore rédigé puisque l'ange demande de ne pas encore l'écrire. Comme tout livre de la révélation, il aura le goût du fiel et la douceur du miel, par les malédictions, ou les bénédictions qu'il apportera, selon les destinataires, selon les récepteurs. On a déjà le plan esquissé de ce petit ouvrage. Il sera en sept parties (comme l'Apocalypse d’ailleurs). Chacune des révélations qu'il contiendra est symbolisé par la voix du tonnerre. Et l'on a ici un nouveau septénaire de tonnerres.

Puis, toujours à l'intérieur du septénaire des trompettes, on a les deux témoins. Dans ce temps tout proche du présent, et à Rome, ce ne peut être que les deux grands coryphées de l’Église, Pierre et Paul, qui viennent d'être mis à mort, avec beaucoup de romains, dès le déclenchement de la première persécution à l'échelle de l'empire. Ils ont prêché à Rome pendant trois ans et demi. Puis ils ont été mis à mort publiquement par la bête surgie de l'abîme, l'empereur Néron. Notre auteur a bien du mal à identifier ces deux hérauts de la foi, ces deux oliviers, ces deux chandeliers. Il y voit Moïse et Éli. Mais Moïse et Éli appartiennent à un passé lointain. Ils n'ont pas prêché ensemble dans la même ville. Ils n'ont pas été mis à mort ensemble par le même tyran. Enfin ils ne sont pas montés ensemble au paradis sous les yeux des foules médusées.

Entre les deux septénaires des trompettes (8, 2-11, 19) et des sept coupes (15 et 16), il est bien normal de chercher un autre septénaire pour les visions centrales. Il s’obtient très facilement : 1. Vision de la femme. 2. Vision du dragon. 3. Vision de la bête. 4. Vision de l'autre bête. 5. Vision de l'Agneau. 6. Vision des trois anges. 7. Vision du Fils de l'homme et de la moisson finale. Mais l'auteur ironise sur la manie des septénaires, alors que l'Apocalypse est visiblement, et volontairement, construite sur la rythmique des septénaires, comme un leitmotiv.

Contrairement à ce que dit l'auteur le grand signe de 15, 1 n'appartient pas au septénaire de la Femme et du dragon, mais déjà au septénaire suivant : celui des sept coupes. Il en est l'introduction, ou la vision liminaire.

L'auteur se trompe absolument sur l'identification, pourtant primordiale, de la Femme du chapitre 12. Il l'identifie à Eve, la mère de l'humanité. Mais l'enfant mâle que le dragon s'apprête à dévorer dès sa naissance ne peut être que le Messie, Jésus : « un fils, un enfant mâle, celui qui sera le berger de toutes les nations, les conduisant avec un sceptre de fer. » (Ap 12, 5). Et par conséquent sa mère ne peut être que Marie, la mère du Christ, que Jean lui-même, d'après l'évangile, avait recueillie dans son foyer. Cet enfant ne peut être ni Caïn, ni Abel, ni Seth. D'ailleurs on voit mal Eve dans le ciel et couronnée d'étoiles. Ce ne peut être que Marie dans son assomption. Non seulement la liturgie catholique l'admet, ou le suggère, mais encore le Catéchisme de l’Église catholique (N° 1138) et donc la foi au moins ordinaire de l’Église. Lex orandi et Lex credendi se rejoignent.

L'auteur n'identifie pas clairement les deux bêtes du chapitre 13, alors que le texte de l'Apocalypse le demande expressément. Ce ne peut être, vu le contexte, que Rome elle-même ou l'empire romain en général et son locum tenens actuel, à savoir Néron, le César en place. « Il est donc inutile [dit-il] de trop vouloir préciser la signification de 666 comme si elle était unique. » (page 132). Mais justement si, elle est unique, puisque c'est un chiffre d'homme, et donc d'un homme bien précis. Cela fonctionne pour Néron et cela ne fonctionne pas, ou est invraisemblable, pour les autres. Les sept têtes du dragon font manifestement allusion aux sept collines de Rome. Tous les commentateurs l'ont senti. On ne voit pas d'autre allégation intelligible. Dans une autre hypothèse alors, pourquoi pas 20 têtes, ou 40 têtes de la Bête ?

L'auteur unit les chapitres 14 et 15. Mais ils appartiennent manifestement à deux septénaires différents, celui de la Femme et du dragon d'une part (12 à 14) et celui des sept coupes d'autre part (15 et 16).

L'auteur a une tendance prégnante et insistante à identifier le Temple du ciel où l'on entr'aperçoit toutes les visions avec le Temple de Jérusalem. Mais ce Temple matériel n'était qu'une pâle figure de celui d'en-haut. Et le texte de l'Ancien Testament, alliance périmée et qui ne fut jamais que provisoire, sert seulement à nous procurer un vocabulaire et des images pour décrire les réalités célestes.

Le septénaire des coupes commence au chapitre 15, qui est sa vision liminaire. La découpe de notre auteur, et son plan de l'Apocalypse, sont donc fantaisistes et ne répondent pas aux intentions de l'hagiographe (l'auteur sacré). Certes les coupes décrivent des fléaux, comme le septénaire des trompettes, avec lequel elles ont un certain parallélisme. Mais elles sont situées très différemment dans le temps, ce que notre auteur ne saisit pas. Elles viennent après la lutte de la Femme et du dragon, qui représente le présent pour Jean : le temps de la persécution de Néron. Tandis que les trompettes venaient avant. Elles appartenaient au passé récent de l'humanité et de l'empire romain, tandis que les fléaux des sept coupes désignent les châtiments futurs, dans un avenir proche, qui vont s'abattre sur l'empire païen en punition de ses crimes, en attendant, dans le septénaire suivant, sa chute définitive. Mais l'auteur n'est pas conscient de cette perspective historique. Il ne la perçoit pas. Il ne la sent pas. Pas étonnant dans ces conditions que l'Apocalypse lui apparaisse comme une succession, ou une accumulation, incohérente de cataclysmes, d'ailleurs pour lui purement symboliques, ou spirituels. Mais symboliques de quoi ? L'auteur serait bien en peine de le dire. Notre auteur n'y voit pas autre chose qu'une dramaturgie renouvelée de la Passion du Christ, une nouvelle mise en scène. Mais pour cela il suffirait de relire les évangiles. Ils sont suffisamment parlant par eux-mêmes, d'autant plus qu'ils sont quatre (je parle des canoniques). Non ici il s'agit de la passion de l'humanité dans la suite des âges, et spécialement de la Rome persécutrice. C'est la Passion du Christ mystique dans l'univers, et dans l'histoire, après la Passion du Golgotha.

Pour lui Armageddon n'est qu'un 'remake' du Golgotha. Mais pourquoi lui donner ce nom-là ? Mystère. Alors qu'Armageddon préfigure une défaite sanglante de l'empire romain en rase campagne comme celle qu'avait subie autrefois Josias. Future du temps de Jean. Passée par rapport à nous car elle se situe avant la chute de l'empire romain. Mais ledit empire romain a subi bien des Armageddons, principalement en Orient, avant de sombrer. Ne rappelons que pour mémoire la défaite de Valérien devant les Perses en 259 de notre ère.

Notre auteur ne reconnaît pas Rome dans la Babylone de l'Apocalypse. Ce qui pour lui la rend tout-à-fait énigmatique. De son temps Babylone est morte depuis longtemps, tandis que la Rome impériale qu'il a sous les yeux est bien vivante. Le septénaire sur le châtiment de Rome (17, 1 – 19, 10) prévoit sa chute dans le futur (par rapport à Jean). Mais l'auteur ne le conçoit pas ainsi, ne le voit pas. On se demande bien pour lui de quoi l'Apocalypse est prophétique : ce qui doit arriver plus tard, qui est un des leitmotivs de notre texte. La Grande Ville de l'Apocalypse, et la Bête qui la porte, sont pourtant décrites en termes on ne peut plus précis et intelligibles. « Les sept têtes sont sept collines sur lesquelles réside la femme ; elles sont aussi sept rois : cinq sont tombés, un est là maintenant, et l'autre n'est pas encore venu. » (Ap 17, 9-10). Tout le monde (sauf notre auteur) a reconnu les sept collines traditionnelles de Rome. Les cinq basileis, ou Césars, qui sont tombés sont dans l'ordre : César, Auguste, Tibère, Caligula et Claude. Celui qui est là maintenant, et bien là, c'est Néron. Le septième est son successeur futur, encore inconnu.

Dans l'antiquité, confer par exemple Suétone et sa Vie des douze Césars, on faisait commencer l'empire avec Jules César, qui fut effectivement le premier imperator, d'où le mot d’empire. Auguste, fils adoptif de César, s'est toujours considéré lui-même comme l'héritier et le successeur de César. Faire commencer l'empire en – 27, avec l'attribution du titre d'Auguste après la victoire d'Actium, est une conception moderne des historiens, assez arbitraire. Les historiens anciens, par exemple Eusèbe de Césarée (cf. H.E. I, V, 2), faisait commencer le règne d'Auguste à son deuxième triumvirat, c'est-à-dire en novembre – 43. Jésus est né l'an 42 d'Auguste, donc en – 2.

Notre auteur confond en une seule toutes les femmes de l'Apocalypse, aussi bien la Femme du chapitre 12, la mère de l'enfant mâle poursuivie par Satan, que la grande prostituée qui incarne Babylone. « La femme, comme nous l'avons vu en 12, représente l'ensemble de l'humanité. » (Page 150). Ce qui est un paradoxe insoutenable. Presque un scandale.

Pour lui tous les personnages sont indistincts. « L'identification résiste à une interprétation purement personnelle. » (id.). Ce qui est avouer, une fois de plus, ne rien comprendre à l'Apocalypse. Tous les acteurs du drame sont susceptibles d'une identification individuelle très univoque. Jean n'aura pas laissé volontairement son lecteur, ou son auditeur, dans un brouillard complet. Il appelle plusieurs fois à l'intelligence pour une authentification certaine des intervenants, quand il ne les désigne pas lui-même en clair. Ainsi le dragon est certainement Satan. Les emprunts faits par Jean à l'Ancien Testament ne doivent pas nous induire en erreur. Ce ne sont que des images, ou des symboles, destinés à camper des êtres tout-à-fait actuels. L'Apocalypse est très moderne dans sa dramaturgie. Elle est bien de son temps, à moins qu'elle ne soit déjà futuriste.

Chapitres 19 et 20 : La victoire définitive de l'Agneau. Attention l'auteur va un peu vite et court-circuite le texte. Il oublie le temps intermédiaire entre la chute de Rome et la fin des temps : rien que ça ! Ce qui, une fois de plus, est avouer n'avoir pas une lecture correcte, conforme à l'intention de l'hagiographe, de ce dernier texte biblique, au moins pour la place qu'il occupe, même s'il ne fut pas, loin de là, l'écrit le plus récent dans le temps. Le quatrième évangile est certainement postérieur. Il est même prophétisé comme nous l'avons dit au chapitre 10, avec l'histoire du petit livre.
De 19, 11 à 20, 10 c'est ce qui se passe avant la parousie, mais après la chute de Rome. Autrement dit le temps où nous sommes. Le règne de mille ans, le millénium, est compris dans cet intervalle. Personnellement j'y reconnais le temps de la chrétienté, à partir de la conversion de Constantin. Qui effectivement a duré quelque mille ans approximatifs, ou un peu plus. En tout cas pas 2000 ans.

Évidemment l'auteur ne comprend rien au millénium, comme ou reste. Pour lui, ce sont les mille ans qui courent de Salomon à la ruine du Temple en 70 de notre ère. Car l'auteur fait une fixation sur le Temple de Jérusalem. Paradoxe insoutenable. Personne ne l'a jamais compris ainsi. Saint Augustin, sans être millénariste, y voyait un symbole du temps intermédiaire entre le Christ et les prodromes de la parousie, autrement dit entre les deux avènements du Christ. Pierre Prigent reculait un peu plus loin que notre auteur : il y voyait un symbole ou un rappel de la durée approximative de la vie de notre premier père, Adam. Mais venant après la chute de Rome et de son empire, c'est vraiment un contresens pur et simple. De même pour l'interprétation de notre auteur, Henry de Villefranche rappelons-le. Il a beau être catholique son exégèse n'est guère meilleure que celle du protestant Prigent.

« Le moment où le diable est relâché concerne l'affrontement avec Jésus. » (Page 164). Mais non car, une fois de plus, nous sommes après la chute de l'empire romain et dans l'attente de la parousie. C'est l'affrontement avec le Jésus corps mystique, c'est-à-dire avec l’Église. Et nous entrons dans l'ultime combat de Gog et Magog dont la durée est indéterminée. C'est l'épisode où nous nous situons. Mais après l'ultime affrontement et avant le triomphe définitif de l'Agneau, il ne faut pas omettre le temps de la parousie et du jugement dernier (Ap 20, 11-15) où sera lu définitivement le grand livre de la vie qui contient le détail des destinées du monde. C'est là, en réalité, que s’achèvera l'ouverture des sept sceaux, qui était anticipatrice de ce jugement. La lecture de ce septénaire était suivi d'un silence d'une demi-heure (cf. Ap 8, 1) qui contenait en substance toute la suite des temps, ou qui l'annonçait, comme une silence musical fait pressentir la finale du morceau. Cela l'auteur n'en parle même pas, ne le mentionne même pas.

Dans la Jérusalem nouvelle qui descend du ciel l'auteur ne semble pas reconnaître l’Église de Jésus. C'est pourtant sa signification obvie et primordiale. Cette Jérusalem est bien distincte de la synagogue qui n'en était qu'une préfiguration. Bien différente aussi du Temple matériel de Jérusalem, qui était pourtant bâti d'avance sur son modèle. Elle est formellement construite sur les douze apôtres de l'Agneau, ce qui ne laisse place à aucune ambiguïté. Cependant les anciens israélites de bonne foi (les 144.000), ainsi que les païens de bonne volonté n'en seront pas exclus, puisque ses portes seront ouvertes à tous. Mais ils y viendront un peu comme des étrangers de passage, comme des touristes. L’Église du Christ est celle des baptisés, des baptisés du baptême trinitaire. Eux seuls font partie, en titre, du Royaume de Dieu. Même Jean-Baptiste le plus grand des prophètes ne l'a contemplé que de l'extérieur, ou par avance.

La finale de l'Apocalypse (22, 6-21) consiste en un dialogue éminemment liturgique puisque précisément la Jérusalem nouvelle dans laquelle nous résidons désormais est l’Église de Dieu et du Christ. « L'Esprit et l’Épouse disent : Viens! » (Ap 22, 17). Nous n'attendons plus aujourd'hui que le dernier avènement du Christ qui nous est signifié par anticipation.

On a souligné les lacunes et les partis pris évidents de l'auteur. Paradoxale est la position d'un auteur (mais il n'est pas le seul!) qui prétend enseigner aux autres la signification de l'Apocalypse et qui n'y a lui-même rien compris, souvent de son propre aveu. J'accorde cependant un bon point à notre auteur, et je terminerai par là. Il souligne souvent, et avec raison, les rencontres de style et la ressemblance des thèmes (le logos, l'Agneau de Dieu, le témoignage, etc …) entre l'Apocalypse et le quatrième évangile, suggérant ainsi l'unité d'auteur. Il a seulement le tort, sur cet aspect des choses, de ne pas se prononcer assez clairement. Il ne voit pas non plus que si l'Apocalypse et l'évangile ont le même auteur, ils ont cependant été composés à des dates bien différentes du premier siècle. L'Apocalypse, évidemment d'époque néronienne, est de beaucoup antérieure, ne serait-ce qu'à cause du style, en considérant le style, au quatrième évangile canonique.
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