La vie privée de Charlemagne: ne pas perdre de vue le contexte

Le Forum Catholique

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baudelairec2000 -  2014-02-08 00:10:44

La vie privée de Charlemagne: ne pas perdre de vue le contexte


quelques mots sur la vie privée de Charlemagne, plus exactement sur sa vie matrimoniale; on dispose de peu de sources, Eginhard est le seul à nous renseigner en ce domaine. Tout le reste relève de la littérature et serait sponsorisé par Meetic...

Récit d’Eginhard dans la Vita Caroli.

Les paragraphes 18-32 retracent la vie privée de Charlemagne, ils sont d’une inestimable valeur. L’auteur a en effet vécu plus de vingt ans dans l’intimité du roi des Francs, puis empereur à partir de Noël 800. Louis le Pieux lui confiera l’éducation de son fils aîné.

« Quand, après la mort de son père (Pépin), il eut partagé le royaume avec son frère (Carloman), il supporta la jalousie et l’inimitié cachée de celui-ci avec une telle patience que c’était pour tous un sujet d’étonnement qu’il ne laissât paraître aucun ressentiment. Après avoir ensuite, à la sollicitation de sa mère, épousé la fille de Didier, roi des Lombards, il la répudia, on ne sait pour quel motif, au bout d’un an, et s’unit à Hildegarde, femme d’une des plus nobles familles de la nation des Suèves. Elle lui donna trois fils, Charles, Pépin et Louis, et autant de filles, Rotrude , Berthe et Gisèle ; il eut encore trois autres filles , Thédrade, Hildrude et Rothaïde, deux de Fastrade, sa troisième femme, qui appartenait à la nation des Francs orientaux, c’est-à-dire des Germains ; et l’autre, la troisième, d’une concubine dont le nom m’échappe pour le moment. Ayant perdu Fastrade, il épousa Luitgarde, Allemande de naissance, dont il n’eut pas d’enfants. Après la mort de cette dernière, il eut quatre concubines : Mathalgarde, qui lui donna une fille nommée Rothilde ; Gersuinthe, saxonne, de qui lui naquit une autre fille, Adelrude ; Régina, qui mit au jour Drogon et Hugues ; et Adalinde , dont lui vint Théodoric. Sa mère Bertrade vieilli auprès de lui comblée d’honneurs ; il lui témoignait en effet le plus grand respect, et jamais il ne s’éleva entre eux le moindre nuage, si ce n’est une seule fois à l’occasion du divorce de Charles avec la fille de Didier que Bertrade lui avait fait épouser. Cette princesse suivit de près Hildegarde au tombeau, après avoir vu trois petits-fils et autant de petites-filles dans la maison de son fils. Celui-ci la fit enterrer avec les plus grands honneurs dans la basilique de Saint-Denis, où reposait déjà Pépin, son père. Charles n’avait qu’une sœur nommée Gisèle, vouée dès sa plus tendre enfance à la vie monastique, et qu’il aima et vénéra toujours autant que sa mère. Elle mourut quelques années avant lui dans le monastère où elle avait pris l’habit religieux. »

Un peu plus loin, l’auteur précise : « Il avait eu d’une de ses concubines un fils nommé Pépin, beau de visage, mais bossu, dont je n’ai pas fait mention en parlant de ses autres enfants. Dans le temps de la guerre contre les Huns, et pendant un hiver que le roi passait en Bavière, ce jeune homme feignit une maladie, s’unit à quelques grands d’entre les Francs qui l’avaient séduit du vain espoir de le mettre sur le trône, et conspira contre son père [en 793]. Après la découverte du crime et la condamnation des coupables, Pépin fut rasé, sollicita et obtint la permission d’embrasser la vie monastique dans le couvent de Prüm. »

Nous connaissons le nom de cette concubine, Himiltrude, une franque.

Récapitulons :

- d’abord, Himiltrude, une Friedelfrau. Le biographe se montre réticent devant cette liaison, il ne s’agirait pas d’un mariage contracté en public ; Pépin la Bref avait débuté sa vie matrimoniale de la même façon, mais avait fini par régulariser sa situation par une cérémonie publique. En clair, Charles serait né hors mariage, c’était un bâtard, tout comme son grand-père, Charles Martel. Le pape Etienne aurait cependant évoqué l’ union de Charles avec Himiltrude comme une « alliance officielle » ; quand Himiltrude, vers 770, donna un fils à Charles, on remarquera que celui-ci reçut à son baptême le prénom de son grand-père, Pépin. Ce qui montre que Charles le considérait comme son héritier. N’oublions pas que le fondateur de la famille s’appelait aussi Pépin ; aussi lorsque naquit Pépin le Bossu, le frère et rival de Charles, Carloman, avait déjà un fils appelé Pépin. On comprend que Charles ait voulu brûler les étapes afin de s’assurer un héritier, un bâtard certes, mais qui, à la suite d’un mariage officiel, aurait vu sa situation se régulariser…


- Désirée, la fille du roi des Lombards : c’est Berthe qui oblige son fils Charles à sacrifier sa concubine sur l’autel de la diplomatie. Renversement des alliances oblige. Voilà Charles contraint d’épouser celle qui fut appelée Désirée, prénom qu’on lui prête à la suite d’une confusion avec le nom de son père Didier. Le mariage, comme on pouvait s’y attendre, fut de courte durée, à peine plus d’un an.


- Hildegarde : Le roi des Francs entend consolider sa descendance et épouse une princesse alamanne du nom d’Hildegarde. Celle-ci lui donna quatre garçons (Charles, Carloman, deux prénoms courants dans la famille, Louis et Lothaire, des prénoms qui rattachaient une partie de la progéniture aux Mérovingiens) et cinq filles. Hildegarde, qui mourra en 783, à l’âge de 25 ans, après 12 ans de mariage, passe pour un modèle de vertu.


- Fastrade : Charles ne tarde pas à se remarier avec une franque, Fastrade, connue pour sa cruauté et sa propension à ourdir des complots. Elle meurt en 794. Le roi avait un peu plus de 50 ans. On dit que, durant ce mariage, il avait une concubine déclarée.


- Liutgarde : à la mort de Fastrade, il épouse une alamanne, Liutgarde, qui mourut avant le couronnement impérial de l’an 800.


- Les concubines : Charles décide alors de ne plus se remarier, peut-être pour éviter qu’un nouveau fils ne surgisse et vienne compliquer une situation relativement simple, vu que ses fils aînés sont devenus adultes et ont déjà reçu implicitement leur part d’héritage. Situation que son fils Louis ne parviendra pas quelques années après à renouveler.

Charles se contente donc d’avoir des maîtresses. L’un de ses bâtards, Drogon, deviendra plus tard évêque de Metz, titulaire d’un siège important aux yeux de la famille des Pippinides. Quant à Thierry, le dernier des enfants naturels, il fut à son tour tonsuré, il deviendra abbé de plusieurs monastères prestigieux : Saint-Bertin, Saint-Quentin. On le voit, Charles sans être le paillard et l’obsédé sexuel qu’imagine l’auteur de l’article auquel nous renvoie l’ami Parfu, n’en a pas moins laissé une image de « sensualité robuste et d’amour du plaisir physique » ; une tendance que se gardent bien de lui reprocher les clercs qui l’ont approché ; sur la vie sexuelle de l’empereur, sur des débordements répréhensibles, Alcuin ne dit rien…

Quelques remarques sur le mariage au temps de Charlemagne, des remarques empruntées à Alessandro Barbero (Charlemagne, Payot) :

L’institution du mariage [au temps de Charles] était quelque chose de complètement différent du mariage chrétien tel qu’il était en train de prendre forme à la même époque dans les réflexions des évêques les plus évolués (tel que l’appréhendera quelques décennies plus tard Hincmar de Reims, lors du Divorce de Lothaire II).


Un roi se mariait pour avoir des enfants qui garantissaient sa succession, car il n’y avait pas de pire malheur pour un peuple que de voir mourir son souverain sans héritier. Il en découle qu’une épouse incapable de donner des enfants à un homme pouvait et devait même être répudiée (difficile, dans le cas de Charles, de mettre en cause la stérilité du mari). Certes, l’Eglise tentait de convaincre les Chrétiens d’avoir une seule épouse et de ne pas se remarier même en cas de veuvage.

Pour un roi, le mariage était aussi le moyen de conclure des alliances politiques et il n’est pas dit que son épouse fût toujours une personne de son goût. A bien y regarder, c’était d’ailleurs le cas de tout un chacun, car lorsqu’ils prenaient femme un dignitaire ou un paysan devaient faire passer eux aussi les intérêts de leur famille avant leurs inclinations personnelles. A côté du mariage véritable, conclu avec un contrat public, les coutumes germaniques prévoyaient don un mariage en quelque sorte provisoire, ou privé. C’était la « Friedelehe », un terme ambigu que l’on aimerait traduire par « mariage d’amour ». On comprend mieux pourquoi l’esprit courtois au XII e siècle, dans les romans de Chrétien de Troyes notamment, dévalorise le mariage et prône l’amour dans la seule union adultère, car il ne peut y avoir, pour les auteurs courtois,d’amour dans le mariage.

Autre éclairage sur le mariage au temps de Charles : L’Eglise n’avait pas encore défini le mariage comme un sacrement, la réflexion sur sa nature étant à peine ébauchée.
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