Dans quel roman contemporain (bon, d'accord, ça date déjà un peu), un chapitre s’intitule-t-il « Ecône » ?
Je suis tombé sur ce livre par hasard et je l’ai feuilleté rapidement tout autant par hasard.
Et j’ai alors remarqué qu’un chapitre s’intitulait « Ecône ».
Et quelle ne fut pas ma surprise de constater qu’il s’agissait de celui auquel nous pensons tous.
Le résumé de l’histoire sur la jaquette est le suivant :
« C’est au pied de la vieille cité de Carcassonne que démarre le Soleil-Oblique. Là vit une famille communiste depuis trois générations, les Bourrel. Une famille que l’aîné, Marceau, ne tarde pas à quitter pour un long et tumultueux voyage.
Que cherche Marceau en gagnant l’Orient ? Une double mission le guide : retrouver Augusta son amie mystérieusement disparue, et aller soumettre à Enver Hodja, le dirigeant actuel de l’Albanie, les projets d’une mystérieuse société saint-simonienne qui étend sa puissance sur les rives de la Méditerranée. Un étonnant périple va mener Marceau jusqu’aux rivages de Troie, pour la fondation de la nouvelle Phrygie. Chemin faisant, nous frémissons avec Marceau sur la piste de l’insaisissable Augusta, pour les douceurs de Margot, pour les caresses de Manuela, ou pour le défi superbe de Myrto, la porteuse d’eau. Nous croiserons des personnages comme Monseigneur Lefèvre (sic), dans son séminaire d’Ecône. Enver Hodja qui gouverne une Albanie qui n’a pas renié Staline ou Santiago Carilho menant le deuil en Occitanie. Quoi de plus existant pour l’esprit qu’un roman d’aventures héroïque et galant, pétri de chairs féminines et de folie masculine ? ».
Au grand dam de l’éditeur, cette mise en bouche prometteuse n’a pas fonctionné : je me suis contenté de lisuré le chapitre-qui-va-bien, le treizième.
On s’y traine durant quelques pages, le temps que les protagonistes concernés arrivent en Suisse puis à Ecône :
« Il fallut ensuite tourner à gauche et la communauté d’Ecône apparut au bout d’une allée, bâtie au pied de la paroi sombre. (…) On avait du mal, d’abord, à démêler les bâtiments du séminaire d’une usine hydro-électrique voisine qui avait l’air d’une annexe. C’est à cause de celle-ci qu’une conduite forcée, captant là-haut l’eau des glaciers, descendait presque à pic des cimes sur ces constructions menacées. Mais on ne pouvait s’empêcher de penser qu’il s’agissait d’une espèce de dispositif divin assurant le renfort du Saint-Esprit sur cette modeste entreprise agricole transformée en antivatican. D’autant qu’un fait divers, rappelée par Hélène, s’était récemment produit où semblait s’être manifestée la connexion entre le séminaire et les forces célestes. Lors d’un gros orage de la fin d’été, un catéchumène courant sous l’averse avait été frappé par la foudre et était tombé les bras en croix sur le parvis, le lendemain de son ordination. Il semblait que désormais la modeste retraite d’Ecöne ait été reconnue par le doigt de Dieu.
Après cette première impression de terreur sacrée, due à la proximité de l’électricité et de la menace de la foudre, on pénétrait dans un climat doucereux d’ancien pensionnat chantée par Francis Jammes. Les dépendances agricoles, malgré leur nouvelle destination, gardaient la forme d’une cave ou d’un grenier. Quelques séminaristes vendangeaient. D’autres cueillaient des poires dans le verger planté au chevet de l’exploitation. Le presbytère où résidait l’archevêque se présentait, avec son perron formant escalier, comme la modeste maison du métayer au milieu de ses granges. Aucun portail, aucun interdit n’empêchaient de se promener dans les cours de l’ancienne ferme ou sur ses terrasses. Peu de choses avaient changé depuis que la grâce s’était abattue sur l’exploitation agricole : une grotte de Lourdes en galets du Rhône, à gauche en entrant, fleurie de fleurs des Alpes, et une statue blafarde de saint Pie X au milieu des rosiers. Mais si l’on poussait la porte de cette remise au-dessus du cellier on se trouvait soudain dans la chapelle et l’on était frappé, à gauche de l’autel, par la cathèdre surélevée d’où le pasteur rebelle assistait à la messe pontificale célébrée en latin. Plus loin, vers le potager, passé Pie X qu’on prenait pour un jardinier au milieu de ses roses, une aile moderne, bâtie en maison de verre, laissait voir une vaste bibliothèque où des religieux et des religieuses étaient plongés dans de vieux livres.
(…)
(un personnage parle)
le compromis historique avec une Eglise affadie, méconnaissable, déjà fondue dans la grisaille, ne servirait à rien. Il ne peut pas y avoir de compromis avec une Eglise compromise. C’est pourquoi la rébellion d’Ecône me parait capitale.
Le jour convenu, Augusta se fit porter seule à la grand-messe. Il est vrai que des automobiles immatriculées dans le monde entier étaient garées à la queue leu leu sur la petite route menant droit à Ecône. L’assistance débordait dans les jardins ? Augusta trouva place sur une marche d’escalier. Le choeur grave des séminaristes et le chœur aigu de la congrégation se gargarisaient de latin. Un instant on aperçut l’archevêque qui regagnait son presbytère de curé de campagne. C’était un homme doux, souriant à ses ouailles en les bénissant. En vérité celui qui, le premier depuis la Réforme, faisait trembler l’Eglise sur ses fondations, apparaissait comme un enfant de chœur tout rose d’émotion.
(…)
(c’est Mère Stéphanie, « l’abbesse » qui parle) Savez-vous que nous sommes débordés ? commença-t-elle avec un sourire désarmé. Vous êtes la cinquantième postulante ce mois-ci. Quant à Monseigneur, si les locaux le permettaient, il aurait déjà plus de séminaristes que tous les séminaires de France réunis. Avouez que c’est amusant.
(ensuite l’action délire grave et vire au mauvais roman de gare, puis un autre personnage arrive)
Le séminaire des traditionalistes lui fit une forte impression. Il s’attendait à du luxe, ou peut-être à des barbelés. Il fut surpris par la bonhommie des lieux. Il en retint surtout qu’un acte de foi était toujours possible et que ces vendanges en Valais, par la seule force d’un sermon, défiaient le monde. « Chapeau ! pensa-t-il tout bas. Même si un jour nous devons en découdre, c’est tout de même autre chose que le panurgisme ».
D’une façon générale, ce roman donne l’impression de relever de la collection Harlequin tout en étant agrémenté de références savantes pour faire intello et de lieux d’action attrape-nigaud : probablement parce que c’est vendeur.
Source : Gaston BONHEUR, Le soleil oblique, Julliard ou France loisirs, 1978.
Quelqu’un a lu la prose de ce bonhomme ?