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Vers le schisme de la Petite-Eglise : controverses réfractaires
par Peregrinus 2015-11-19 20:02:32
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Si les divisions provoquées dans l'Eglise de France par le serment constitutionnel de novembre 1790, dont la condamnation par le pape Pie VI est rendue publique en mars 1791, sont relativement bien connues, les controverses qui ont agité le clergé réfractaire à partir de l'automne 1792 à l'occasion des nouveaux serments exigés par les autorités civiles sont le plus souvent ignorées.
L'exemple du diocèse d'Angoulême montre à quel point ces controverses préparent une nouvelle division, celle de la Petite-Eglise hostile au Concordat de 1801 et soutenue par les évêques émigrés non démissionnaires, parmi lesquels Mgr d'Albignac, évêque d'Angoulême.

L'abbé J.-P.-G. Blanchet reproduit dans son ouvrage (Le clergé charentais pendant la Révolution, Imprimerie Despujols, 1898 - c'est de cet ouvrage que sont extraites toutes les citations) des extraits d'une très intéressante correspondance qui éclaire les racines de la résistance au Concordat.

Afin de bien comprendre les lettres citées, il convient de présenter brièvement leur contexte : en 1792, après la chute de la monarchie, un nouveau serment est demandé au clergé français, serment dit de liberté-égalité, de contenu uniquement politique. Ce serment n'a jamais fait l'objet d'une condamnation par le pape Pie VI. Sous le Directoire se sont par la suite succédé plusieurs serments, des promesses de soumission aux lois au serment de haine à la royauté et à l'anarchie ; serments qui n'ont eux non plus jamais été condamnés par le pape en raison de leur contenu exclusivement politique et non spirituel.
A son départ d'Angoulême, Mgr d'Albignac confie l'administration de son diocèse à trois de ses vicaires généraux, l'abbé Vigneron, chanoine de la cathédrale, investi de pouvoirs extraordinaires, l'abbé de Lafaux de Chabrignac, doyen du chapitre, tout en entretenant une correspondance avec un quatrième grand vicaire, l'abbé de Lafitte.

Les positions du prélat et de ses vicaires généraux illustrent les divisions du clergé réfractaire : tandis que les abbés Vigneron et Lambert acceptent le serment de liberté-égalité, l'abbé de Chabrignac refuse de le prêter, sans pour autant condamner ouvertement l'attitude de ses confrères, tandis que l'abbé de Lafitte, soutenu par son évêque, encourage les prêtres dits rigoristes qui dénoncent l'attitude des soumissionnaires (jamais condamnés par l'Eglise) et interdisent aux fidèles d'assister à leur messe.

1° Lettre de l'abbé Vigneron à l'abbé de Chabrignac (3 janvier 1800)

Je me suis tenu tranquille dans ma petite chaumière. Cependant, comme on peut exiger de tous les fonctionnaires publics une soumission à la constitution, je désirerais beaucoup, quoiqu’elle me paraisse due, suivant tous les auteurs que j’ai vus, notamment la théologie de Poitiers, Traité des obligations, art. 2, de pouvoir aller à Angoulême m’entretenir avec vous sur cette affaire, comme j’ai fait jusqu’ici sur toutes les autres de ce genre ; mais ma santé ne me le permet pas pour le moment. Je suis, comme vous, mortifié de ne point recevoir de nouvelles de celui qui devrait diriger notre marche. […] Si M. d’Albignac juge à propos de nous laisser tout ignorer, nous devons, connaissant son zèle pour le salut des âmes confiées à ses soins et son amour pour le bon ordre, croire que dans le cas où il n’approuve pas tout ce qui s’est passé dans son diocèse pendant son absence, il ne le désapprouve pas non plus et qu’il se repose en tout sur notre zèle et nos soins. Je ne vois pas qu’on puisse interpréter autrement son silence. Qui tacet consentire videtur. Aussi suis-je fort tranquille. (op. cit., pp. 311-312)



A cette date, l'abbé Vigneron, qui n'a pas réussi à reprendre contact avec son évêque émigré, ignore tout des positions adoptées en exil par Mgr d'Albignac. L'abbé de Lafitte, qui demeure hors du diocèse, transmet cependant à l'abbé de Chabrignac un billet de l'évêque qu'il doit communiquer à l'abbé Vigneron.

2° Billet de Mgr d'Albignac à l'abbé Vigneron (30 novembre 1799)

Agir en maître absolu et ne jamais me rendre aucun compte ni me demander mon avis en tout temps, c’est un crime pour un délégué, mais de ce moment-ci il est encore plus énorme parce qu’il a des suites plus fâcheuses. Vous avez été un serviteur infidèle. La faiblesse vous a perdu pour conserver une vigne, un enclos. Tout le monde n’est pas doué de la même force pour résister, alors il fallait fuir et faire comme tant d’autres. […] Je suis obligé de vous ôter ma confiance et de vous défendre de rien faire qui y soit relatif sous les plus grandes peines. Si votre conscience est pure, en attendant que je puisse le savoir, vous regarderez cela comme une humiliation que vous avez méritée, et qui vous engagera à revenir à vous, à faire pénitence d’une aussi grande faute le reste de vos jours.



L'abbé de Chabrignac, qui estime que l'abbé Vigneron n'a "péché que très matériellement" (ibid., pp. 317-318), ne transmet pas ce billet, désigné par l'abbé Blanchet comme dur et violent, mais signifie le 23 janvier 1800 à l'abbé Vigneron que tous ses pouvoirs lui sont retirés.
L'abbé Vigneron lui adresse alors une longue et très intéressante lettre où il évoque la conduite des "rigoristes".

3° Lettre de l'abbé Vigneron à l'abbé de Chabrignac (janvier ou février 1800)

[Je m’étonne] que monseigneur notre évêque […] ait choisi pour nous le faire dire [qu’il a à se plaindre de la conduite de ses vicaires généraux] et y remédier, précisément le plus jeune des grands vicaires, qui n’a jamais mis les pieds dans le diocèse depuis plus de dix ans, sachant que vous ni moi n’en sommes sortis et devons naturellement mieux connaître les maux et leurs circonstances. [...]
Jéroboam était un usurpateur ; son pouvoir n’en venait pas moins de Dieu, et les dix tribus soumises à sa puissance ne lui en devaient pas moins la fidélité, le respect, l’obéissance et le tribut. [...]
[Un prêtre rigoriste] a autorisé une jeune personne à désobéir à sa mère qui voulait la mener, avec ses autres enfants, à cette église [Saint-André, réconciliée et desservie par des prêtres réfractaires ayant fait leur soumission aux lois], y remplir ses devoirs de religion, refus qui a occasionné du trouble et de la froideur dans une famille honnête ou régnaient la paix et l’union. [...]
Ils [les rigoristes] se permettent de dispenser de la messe, de la confession annuelle, de la communion pascale les fidèles qui, à raison de leur éloignement, ne peuvent s’adresser à eux que difficilement ou sans les compromettre, quoiqu’ils aient à leur portée des ministres autorisés des deux puissances. […] Ces rigoristes élèvent autel contre autel, séparent les brebis de leurs pasteurs et les pasteurs du troupeau, portent le trouble dans les consciences et la division dans les esprits. (ibid., pp. 562-578)

     

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