Dans la controverse avec les Donatistes saint Augustin réponds à l'objection qui consiste a invoquer l'apostasie général pour justifier la réduction de l’Église a un petit reste des purs.
La réponse du saint docteur reste d'une grande actualité :
« Ils disent encore qu'il s'agit de «l'apostasie de l'univers » dans ces paroles du Sauveur :
« Quand le Fils de l'homme viendra, pensez-vous qu'il trouve encore de la foi sur la terre ? » (Luc. 18;8)
Selon nous, Jésus-Christ a voulu parler
- ou bien de la perfection même de la foi, si difficile aux hommes, que les saints les plus admirables, Moïse lui-même (Deut. XXXII, 51), ont parfois hésité ou ont pu hésiter;
- ou bien il a voulu parler de la multitude des impies et du petit nombre des justes.
C'est pourquoi le Seigneur semble exprimer quelque doute. Il ne dit pas en effet :
Quand le Fils de l'homme viendra, il ne trouvera plus de foi sur la terre; mais :
« Pensez-vous qu'il trouve encore de la foi ? »
Lui qui sait tout et prévoit tout ne pouvait douter de rien ; cette manière de dire se rapporte à nos propres doutes; à la vue des scandales qui se multiplieront à la fin des siècles, la faiblesse humaine tiendra ce langage.
Aussi lisons-nous dans les psaumes :
« Mon âme s'est endormie à cause de l'ennui; fortifiez-moi par vos paroles (Ps. CXVIII, 28) ».
Pourquoi : « Mon âme s'est endormie à cause de l'ennui », sinon parce que le Seigneur a dit : « L'iniquité s'est multipliée, c'est pourquoi la charité d'un grand nombre se refroidira ? »
Et pourquoi encore :
« Fortifiez-moi par vos paroles », sinon à cause de la sentence prononcée par le Seigneur : « Celui qui aura persévéré jusqu'à la fin sera sauvé (Matt. XXIV,12, 13)? »
L'iniquité, en se multipliant, refroidira donc la charité dans bien des cœurs; comme aussi, dans le monde entier, il s'en trouvera qui, en persévérant jusqu'à la fin, seront sauvés.
« Car », dit le Seigneur, « laissez croître l'un et l'autre jusqu'à la moisson » ; et encore : « La moisson est la fin des siècles, et le champ est le monde (Id. XIII, 30, 39, 38) ».
Écoutez encore la voix de la faiblesse humaine :
« Sauvez-moi, Seigneur, parce qu'il n'y a plus de sainteté et que la vérité a diminué parmi les hommes ».
Mais pourtant, au milieu d'eux il y a les fidèles, qui ne forment qu'un cœur et qu'une âme, et qui s'écrient : « Sauvez-moi, Seigneur (Ps. XI, 2, 6, 8) »
L'homme, en effet, qui pousse ce cri :
« Sauvez-moi, Seigneur », se compose de plusieurs; c'est pourquoi il est dit peu après :
« A cause de la misère des indigents et des gémissements des pauvres, je me lèverai maintenant, dit le Seigneur ».
Un peu plus loin encore il est dit au pluriel :
« Vous nous sauverez et vous nous protégerez éternellement contre cette génération (Gen. V, 24) ».
De quelle génération s'agit-il, sinon de celle dont il est question plus haut:
« Il n'y a plus de sainteté, et la vérité est diminuée parmi les hommes?»
Les deux générations doivent exister ensemble dans le monde entier jusqu'à la fin :
« Car », dit le Seigneur, « laissez l'un et l'autre croître jusqu'à la moisson »; et encore : « Le champ est le monde; la moisson est la fin des siècles ».
Cet homme unique, qui est le corps du Christ, composé d'un grand nombre d'hommes, sera transporté au ciel, comme Enoch, qui plut au Seigneur (Gen. V, 24); il sera délivré, comme Loth, de l'embrasement de Sodome (Id. XIX, 12), et comme Noé, du déluge (Id. VII, 1).
Il éprouve la misère des indigents et gémit de sa pauvreté, parce que l'ennui accable pour ainsi dire son âme de sommeil, lorsqu'il demande à Dieu de le fortifier par sa parole.
Or, il fait connaître dans ce psaume la cause de son ennui :
« L'ennui», dit-il, s'est emparé de moi, parce que les pécheurs ont abandonné ta loi (Ps. CXVIII, 53) ».
L'ennui lui serre le cœur, et il pousse des cris.
Mais où est-ce qu'il crie?
« Des extrémités de, la terre », dit-il, «j'ai crié vers toi, tandis que mon cœur était dans l'angoisse (Id. LX, 3) ».
Ce n'est pas seulement quand il endure des tourments corporels qu'il souffre persécution pour la justice ; il n'est pas toujours affligé dans son corps ; mais un tourment qu'il ne cessera d'endurer tant que l'iniquité n'aura point disparu, c'est le tourment du cœur, c'est cet ennui que lui causent les pécheurs en s'écartant de la loi divine.
Loth, en effet, n'était pas exempt de persécutions dans Sodome, où cependant personne ne lui faisait souffrir de mauvais traitements dans son corps ; mais les actes que commettaient sous ses yeux, les paroles que proféraient à ses oreilles les nombreux partisans de l'iniquité, tourmentaient cet homme juste (II Pierre, II, 7).
C'est de lui que l'Apôtre a dit :
« Tous ceux qui veulent vivre avec piété dans le Christ souffriront persécution».
Quel est le langage de l'Apôtre au sujet de ceux qui abandonnent la loi de Dieu ?
Et c'est d'eux que dit le corps de Jésus-Christ :
« J'ai vu les insensés, et je suis tombé en langueur (Ps. CXVIII, 158) ».
« Les méchants », dit-il, « les criminels iront de pire en pire, ils s'égareront et entraîneront les autres dans leur erreur (II Tim. III, 12, 13 ) ».
Mais ces deux générations se perpétueront jusqu'à la fin :
« Car », dit Jésus-Christ, « laissez-les croître l'une et l'autre jusqu'à la moisson; or, le champ est le monde, et la moisson la fin des siècles ».