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Le tome II du Jésus de Nazareth, de Joseph Ratzinger (Benoît XVI), paru le 10 mars dernier : lecture pour les vacances ?
par Diafoirus 2011-06-30 16:35:34
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Mgr André Vingt-Trois : “Le livre du pape nous aide à approfondir ce que nous savons de la vie de Jésus”

Quatre ans après le premier volume, le tome II du Jésus de Nazareth, de Joseph Ratzinger (Benoît XVI), paru le 10 mars dernier, est déjà un best-seller international. Ce second volume jette une nouvelle lumière sur l’événement qui fonde le christianisme : la Passion de Jésus à Jérusalem, depuis son entrée triomphale (le « dimanche des Rameaux ») jusqu’à la crucifixion et aux témoignages de la Résurrection, sans lesquels le fait chrétien (deux milliards de fidèles en 2011) ne s’expliquerait pas. Le cardinal archevêque de Paris et président des évêques de France commente pour nous cette étude magistrale.


La foi catholique est devenue la grande inconnue dans l’Europe actuelle : par rapport à cette situation, comment situer le livre du pape ?

Ce livre propose une réflexion théologique : l’ouvrage n’est ni une catéchèse, ni une œuvre de vulgarisation, mais il est abordable par tout lecteur moyennement cultivé. La clarté du raisonnement et du vocabulaire porte la marque pédagogique de Joseph Ratzinger. C’est un livre qui n’est pas écrit spécialement pour l’Europe ! Ceci dit, il est vrai que beaucoup d’Européens connaissent peu ou mal le contenu de la foi chrétienne. Beaucoup de chrétiens – et de non-chrétiens, a fortiori – se font une idée fausse de la foi : ils sont sincèrement persuadés de ce qu’ils pensent, mais se trompent souvent. De même, presque tout le monde se fait une idée de la personne de Jésus : mais ce sont des idées très variables et qui cachent beaucoup d’ignorances… Ainsi, de nombreux passages de l’Evangile sont bien connus – en tant que textes ou comme sources de formules célèbres – mais ne sont pas forcément compris, assumés et appliqués !

Le livre du pape ouvre des pistes qui étonneront les gens. Pensez-vous qu’il va au-devant de questions que l’on se pose déjà ?

Cela dépend du degré de curiosité à l’égard de la personne du Christ. Là où elle est nulle, le livre n’intéressera pas. Mais beaucoup de personnes de bonne volonté s’interrogent. En effet, la mondialisation crée aujourd’hui un brassage spirituel inédit : les religions asiatiques ont atteint le public occidental, l’islam se diffuse hors de son espace géographique traditionnel… Si l’individu s’intéresse à ces religions, il cherchera à savoir sur quoi elles se fondent, et il ne sera pas sans remarquer la présence de deux milliards de chrétiens sur la planète, dont plus d’un milliard de catholiques. Or, chacun peut constater que ce fait a un point de départ très concret que l’on peut sonder et étudier.

Le livre du pape aidera donc à approfondir ce que nous savons déjà de la vie de Jésus. Voyez par exemple le premier chapitre, sur l’entrée de Jésus à Jérusalem… Les catholiques fêtent traditionnellement cette entrée solennelle de Jésus lors du « dimanche des Rameaux », mais sont-ils conscients de toutes ses implications ? Savent-ils tout le sens de cette scène et à quels événements elle fait référence ? Entre l’idée qu’ils se font de la fête des Rameaux, et la véritable portée de l’événement présenté par les Evangiles, il y a une marge ! C’est ainsi que le livre du pape éclaire des éléments finalement peu connus du grand public.

Benoît XVI y met en œuvre une méthode théologique précise et exigeante : il considère les quatre Evangiles (dont celui de saint Jean, qui se singularise par son projet et ses références) ; il souligne les variations de l’un à l’autre et pose la question du sens de ces variations. Ainsi, par exemple, il reprend le problème de la dernière Cène : chez Matthieu, Marc et Luc, c’est le repas rituel de la Pâque, tandis que chez Jean, c’est autre chose. Que signifie cet écart et comment aide-t-il à cerner le message essentiel ? Le pape montre comment on peut travailler sur les textes en mettant en regard les différentes approches et leurs racines dans l’Ancien Testament.

Des émissions de télévision et des best-sellers ont persuadé beaucoup de Français que Jésus n’a rien institué, et que l’Eglise a été fabriquée longtemps après. Cette idée s’appuierait sur « les recherches des spécialistes »… Or le livre du pape change la perspective sur ces recherches. Va-t-il modifier le climat ?

Des questions aussi complexes ne sont pas réglées par quelques émissions : le virtuel ne maîtrise pas la réalité ! D’autant moins que ces émissions n’ont fait que reprendre et vulgariser des thèses datant du XIXe siècle tirées de ce qu’on appelait « l’exégèse libérale ». Ces thèses reposaient globalement sur deux axiomes : a) « on ne peut pas savoir ce qui s’est vraiment passé au temps de Jésus, la réalité de ces événements nous échappe et seuls les éléments scientifiques et rationnels peuvent être sûrs » ; b) « d’ailleurs, ça n’a pas d’importance : la foi étant une chose irrationnelle, il est inutile de chercher ses fondements. »

Mais ces deux axiomes manquent de sérieux. En effet, les textes bibliques sont, d’une part, beaucoup mieux attestés que tous les autres textes de l’Antiquité qui nous sont parvenus. Et d’autre part, l’accusation d’irrationnel est un prétexte pour écarter a priori les données textuelles, au lieu de les étudier. Que Jésus ait réellement existé, que les disciples aient témoigné l’avoir vu ressuscité, sont des faits, qui méritent mieux que d’être niés d’emblée. D’ailleurs, cette négation est loin d’être moderne ! Elle n’est pas une découverte du XXIe siècle, ni même du XIXe ou du XXe : elle était déjà formulée au IIe siècle ! C’était la vulgate de la polémique païenne contre le christianisme.

Cela dit, il ne faut pas « se tromper de porte ». Le travail théologique ne consiste pas à polémiquer. Il consiste à travailler sur les faits, sur les textes en eux-mêmes et non sur des arguments et des hypothèses fabriqués autour des textes. Tout catholique doit être en mesure de répondre à la question clé : « tout ceci est-il vrai, ou n’est-ce que des histoires ? » C’est le propos de Benoît XVI. Il évite le terrain des polémiques et s’engage sur les faits. Savoir si Jésus est réellement mort en croix un certain jour à Jérusalem, n’est pas indifférent ! On voit ici à l’œuvre la logique catholique du rapport entre la foi et la raison : la foi a besoin de la coopération de la raison, l’intelligence doit s’appuyer sur des faits. Et Benoît XVI souligne que l’on a accès à ces faits grâce à la critique textuelle (l’étude rigoureuse des textes) menée sous différentes formes depuis deux mille ans, de la Haute Antiquité à l’exégèse historico-critique moderne. Mais il montre aussi comment ces faits prennent sens dans la cohérence de la tradition biblique.

La critique textuelle ne « déconstruit »-elle pas la foi chrétienne ?

Au contraire ! L’investissement universitaire dans les domaines de l’archéologie, de la confrontation des manuscrits les plus anciens, de l’exégèse, etc. va dans le sens de la vérification. Le livre de Benoît XVI éclaire l’articulation entre cette recherche et la foi, qui est cependant d’un autre ordre.

Le chapitre montrant Jésus face à Pilate est l’occasion, pour le pape, de poser un problème actuel : y a-t-il une place pour « la vérité » dans la société ? Le pape ajoute que les chrétiens ont à rendre la vérité « accessible »

Le mot « vérité » ouvre sur plusieurs compréhensions. Il peut s’agir, par exemple, d’une connaissance tout abstraite, ou bien de la réflexion issue de travaux scientifiques aux résultats toujours provisoires et forcément orientés vers ce que l’on veut démontrer. Mais quels paramètres pourraient permettre de tester la vérité ? Quelles références étalonnées pourraient mesurer avec certitude la vérité de l’intelligence ? Et le type de vérités ainsi établies suffit-il à l’homme ? Quand Laplace dit que l’hypothèse de Dieu ne lui est pas nécessaire, ou quand Hawking dit que son approche de l’univers se passe de Créateur, en réalité, ils laissent la question ouverte : Dieu ne se trouve pas sous le microscope ou devant le télescope, mais ça ne fait pas disparaître pour autant la question de Dieu.

Il y a une autre dimension du mot « vérité », quand Jésus dit qu’il est lui-même le chemin, la vérité, la vie. Ici, la vérité devient une personne, non le produit du travail de notre intelligence. Et la recherche de la vérité passe alors par une rencontre et une relation ! Cette expérience personnelle est impossible à introduire dans le réseau des méthodes scientifiques ou à réduire au format d’investigation de laboratoire ! C’est la même chose pour l’amour humain que l’on ne peut ramener à des causes physiologiques glandulaires…

« Rendre la vérité accessible » n’est donc pas faire une démonstration scientifique : c’est ouvrir l’accès à un autre ordre de l’existence. Si la vérité est la personne de Jésus, le simple raisonnement ne suffira pas à la rendre accessible au non-croyant : il faudra le témoignage du croyant, à travers toute sa manière de vivre. L’accès à la personne de Jésus ne sera jamais seulement le fruit de l’accumulation des informations existant sur lui : en dernière instance, ce sera une adhésion intime, suscitée par un témoignage de foi.

Quand Pilate dit : « Qu’est-ce que la vérité ? », Jésus ne répond pas. Est-ce que le dialogue entre la société et la foi religieuse est impossible dans certains cas – comme on en a parfois l’impression ?

La présence de Pilate dans l’Evangile nous pousse à une saisie plus fine de la réalité qui nous entoure aujourd’hui. Pilate est un fonctionnaire d’autorité : son métier est de maîtriser les problèmes, en l’occurrence d’empêcher des émeutes pendant les fêtes de la Pâque. Pilate est aussi l’un des rares personnages évangéliques à représenter le monde romain : face à Jésus, il est la figure du paganisme impérial, qui penchait plutôt vers le scepticisme que vers une recherche philosophique passionnée. Comment ce paganisme romain, si peu métaphysique, réagit-il à la personne de Jésus et à l’événement qu’il incarne ? C’est toute la portée de la présence de Pilate dans l’Evangile.

Or la même situation se retrouve dans notre environnement social actuel : nous voyons, nous aussi, un face-à-face du politique et du religieux, une incompréhension des incroyants, et aussi un paganisme fruste confronté à la foi chrétienne… Dans cette perspective, le récit évangélique nous aide à nous situer. Jésus ne se laisse pas entraîner à un débat avec Pilate (pas plus qu’il ne se laissait piéger par les débats rabbiniques qu’il « retournait » en quelques mots)… La Révélation incarnée en Jésus n’est pas là pour apporter des réponses aux problèmes politico- administratifs romains. Le Royaume de Dieu n’est « pas de ce monde », c’est-à-dire qu’il déborde le système où Pilate est enfermé. Nous ne devons donc pas nous y enfermer avec lui. Il ne faut pas forcément répondre à la question de Pilate ! Quant à dialoguer avec la société, la condition du dialogue, c’est d’être deux. C’est une chose facile entre deux personnes, mais plus aléatoire s’il s’agit de la société ou des institutions. Aujourd’hui, quelle institution serait l’équivalent du paganisme fruste de Pilate jugeant Jésus ?

Encore à propos de Pilate, le pape dit qu’on se trompe quand on croit établir la paix en écartant la question de la vérité. Mais notre société pense qu’il faut écarter toutes les convictions. C’est le fameux « relativisme ».

Notre société n’a pas de conviction et n’est pas homogène. Elle vise à obtenir une cohésion en cachant les questions qui pourraient diviser. Mais peut-on toujours cacher ce qui divise ? Tout le monde veut la tolérance, c’est normal ; mais le mot « tolérance » ne veut pas dire la même chose pour tout le monde. S’agit-il de respecter les convictions différentes et d’assumer les différences ? Ou s’agit-il de faire le vide barométrique en évacuant les convictions ? Penser construire la paix en marginalisant ou en occultant les convictions, c’est penser que l’intelligence humaine n’est pas capable de chercher la vérité.

Au début de son chapitre sur la Passion de Jésus, le pape évoque la victoire du « sens » sur « les puissances de la destruction et du mal ». Cette idée peut-elle être partagée par les non-croyants ?

La caractéristique de l’intelligence humaine, c’est de vouloir que les choses aient un sens, une signification… Mais la foi chrétienne ne se réduit pas à combler un manque de sens. Les faits qui la fondent existent réellement, en dépit d’ailleurs de ceux qui ne sentiraient pas le besoin d’un sens ! Qu’il y ait des athées heureux et déclarant « je n’ai pas besoin de religion pour expliquer les choses », n’empêche pas que Jésus soit ressuscité. La réalité fonde le sens, et non l’inverse. Quant au sens lié à la Passion de Jésus, c’est différent. Son agonie à Gethsémani, sa mort au Golgotha dans l’abjection et la désolation n’ont pas de sens humain évident. Le sens de ce supplice n’est pas le produit de son horreur matérielle. Il tient à tout autre chose : à l’offrande d’une volonté, d’une liberté, d’un amour, seule lumière pouvant éclairer des événements par eux-mêmes privés de sens ! Ces événements reçoivent un sens par l’offrande de cette vie, à travers la liberté humaine.

Le chapitre sur la Résurrection ouvre des perspectives sur l’au-delà. Beaucoup de lecteurs auront l’impression d’une découverte. Est-ce parce que les catholiques ont peu parlé de ce sujet au cours des dernières années ?

La mort est la question universelle radicale. Mais elle est aujourd’hui cachée et camouflée sous les illusions technologiques. Et ce déni collectif fait perdre du crédit à l’espérance chrétienne. L’espérance chrétienne est également étouffée par le discours libéral : si toute religion est irrationnelle et subjective, la foi en la résurrection n’est plus qu’une fable ; et alors les chrétiens, intimidés, n’osent plus affirmer leur foi en la vie éternelle. Pourtant, cette foi ne repose pas sur une croyance subjective : elle repose sur le fait attesté de la résurrection de Jésus.

A lire Jésus de Nazareth. De l’entrée à Jérusalem à la Résurrection de Joseph Ratzinger (Benoît XVI), Editions du Rocher, 448 pages, 22 €.

http://www.lespectacledumonde.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=451:cdc578&catid=36:coupdecoeur&Itemid=66
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