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les obligations morales de l'État et des chefs politiques chrétiens ?
par Presbu 2011-05-11 11:46:58
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Sandro MAGISTER sur son site <chiesa> donne deux textes qui prennent la défense de SS Benoît XVI contre les critiques de De MATTEI et de Mgr GHERARDINI. Le plus intéressant me semble celui du P. RHONHEIMER, dont citation presque intégrale ci-après.
Ce que l'auteur n'étudie pas, c'est si la Tradition comprend oui ou non la seule morale des personnes physiques, mais aussi la morale des chefs politiques en tant que tels, et principalement la morale des États, comme éducateurs, facilitateurs du Bien et combattants contre le Mal. Notamment les pouvoirs publics ont-ils une obligation de refuser le prétendu droit à répandre l'erreur?

Qui trahit la tradition? Le grand débat

En quel sens Benoît XVI, dans son discours du 22 décembre 2005, parlait-il d’une discontinuité seulement “apparente” ? Réécoutons-le :

“Le concile Vatican II, avec la nouvelle définition du rapport entre la foi de l’Église et certains éléments essentiels de la pensée moderne, a revu ou même corrigé certaines décisions historiques mais, dans cette apparente discontinuité, il a au contraire maintenu et approfondi sa nature intime et sa véritable identité. L’Église est, autant avant qu’après le concile, la même Église, une, sainte, catholique et apostolique en marche à travers les temps".

La discontinuité seulement “apparente” dont parle le pape se réfère précisément à la “nature intime” de l’Église et à “sa véritable identité”, qui sont restées intactes en dépit des corrections que Vatican II a apportées à “certaines décisions historiques” liées à la pensée moderne.

Mais en même temps – ajoute Benoît XVI – à côté de cette discontinuité seulement "apparente" il existe une véritable discontinuité. Le pape l’affirme quand il explique que Vatican II s’était proposé de “définir d’une nouvelle manière le rapport entre l’Église et l’État moderne, qui accordait de la place à des citoyens de diverses religions et idéologies, en se comportant vis-à-vis de ces religions de manière impartiale…”. Et il ajoute que c’est précisément en cela – non pas à propos de la nature et de l’identité de l’Église, mais à propos de la conception de l’État et des rapports entre l’Église et l’État – que “pouvait apparaître une certaine forme de discontinuité et que, en un certain sens, s’était effectivement manifestée une discontinuité”.

Pour le pape Benoît XVI, il y a donc à la fois dans le concile une véritable discontinuité par rapport à des conceptions passées de l’État et une continuité elle aussi véritable – malgré les apparences contraires – du sujet Église. Cela parce que Vatican II, "en reconnaissant et en faisant sien, à travers le décret relatif à la liberté religieuse, un principe essentiel de l’État moderne, a repris à nouveau le patrimoine le plus profond de l’Église".

En conséquence, la véritable herméneutique du concile n’est pas une “herméneutique de la discontinuité”, qui présupposerait une rupture et un nouveau début pour l’Église. Et elle n’est pas non plus une simple “herméneutique de la continuité”, comme Introvigne le reconnaît lui aussi : parce qu’il n’existe pas une pleine harmonie entre ce qu’enseignaient à ce sujet les papes du XIXe siècle et ce qu’enseigne Vatican II.

La véritable herméneutique est assurément une “herméneutique de la réforme”. La réforme – je cite encore le pape qui, ici, contredit clairement Introvigne – est caractérisée par le fait qu’elle est un “ensemble de continuité et de discontinuité”, mais cela “à des niveaux différents”. Les deux niveaux sont dans ce cas, comme j’ai essayé de l’expliquer dans mon article, d’une part le niveau des principes (où il y a continuité), c’est-à-dire la nature et l’identité de l’Église, ainsi que l’unicité et la plénitude de sa vérité ; et d’autre part les applications historiques de ces principes (où il y a discontinuité par rapport au précédent refus de la liberté religieuse en tant que liberté de conscience et de culte comme droits civiques, un refus que présupposait l’idée “traditionnelle” selon laquelle l’État était le bras séculier de l’Eglise et avait le devoir de faire valoir sa vérité salvatrice dans la société humaine).

Il est donc erroné de suggérer – ce que fait Introvigne et qui est également caractéristique d’autres personnes qui défendent Vatican II contre les traditionalistes – que Benoît XVI ne parle pas également de vraie discontinuité. À mon avis, l’audace, la sincérité pastorale et l’honnêteté intellectuelle du pape Benoît XVI l’ont amené à découvrir - et en même temps à neutraliser dogmatiquement de manière théologiquement correcte - le point qui sert de prétexte aux progressistes pour affirmer qu’il y a une “rupture” et qui constitue au contraire pour les traditionalistes la pierre de scandale. C’est-à-dire qu’il s’agit de reconnaître qu’il existe un niveau, non essentiel pour l’auto-compréhension de l’Église et pour son identité dogmatique, dans lequel il peut y avoir – et en fait il y a - une discontinuité et une incompatibilité entre le magistère des papes du XIXe siècle et celui de Vatican II. Mais, en même temps, le pape a dit clairement que ce dont les progressistes comme les traditionalistes affirment l’existence, avec des appréciations opposées - une rupture dans ce qui est constitutif de l’Église, c’est-à-dire son dogme et son identité comme “une, sainte, catholique et apostolique” - n’existe pas.

La raison la plus profonde en faveur de cette “nouveauté dans la continuité” – une autre formule utilisée par Benoît XVI – est que le développement doctrinal du Magistère de l’Église en matière de liberté religieuse, qui est également un véritable tournant, n’est pas un exemple de développement du dogme. Le développement du dogme catholique doit toujours être homogène et par conséquent il doit se dérouler en pleine continuité, comme simple explication et approfondissement de ce qui existe déjà dans les formulations préexistantes ; c’est-à-dire qu’au niveau du dogme, il ne peut pas y avoir de réforme, mais seulement un développement homogène et donc une continuité. En tout cas ce qu’affirme le concile à propos de la liberté religieuse ne constitue pas un développement du dogme, parce qu’il ne s’agit pas du tout d’une question qui touche au dogme. Ici le développement concerne la compréhension de ce qui, dans le passé, était perçu comme appartenant au dogme, parce qu’on le considérait comme essentiel pour résister au relativisme et à l’indifférentisme religieux de l’époque moderne, alors qu’en réalité cela ne faisait pas partie du dogme – autrement dit ce n’était pas nécessaire pour garantir le refus du relativisme et de l’indifférentisme religieux – et par conséquent cela pouvait être abandonné.

Pour être précis, il s’agit d’un cas d’abandon d’une conception donnée de l’État – du pouvoir temporel –, conception dont Vatican II a implicitement dit qu’elle appartenait au monde du passé et, par conséquent, qu’elle était à jeter comme fardeau historique. Cette vieille conception de l’État et de son rapport avec l’Église ne faisait pas partie du patrimoine du "depositum fidei". Par conséquent son abandon ne représente pas une discontinuité dogmatique. Une telle discontinuité dogmatique – portant sur la nature et sur l’identité même de l’Église – est, comme le dit le pape, seulement “apparente”. Ce qui se produit vraiment, en effet, c’est autre chose : une fois que le fardeau historique a été jeté, le noyau vraiment traditionnel de la doctrine de l’Église en matière de liberté religieuse resplendit de nouveau dans toute sa pureté, en ce qui est essentiel du point de vue dogmatique et en ce qui appartient au droit naturel ; c’est-à-dire la doctrine selon laquelle, en matière de religion et toujours dans le respect du juste ordre public, aucun pouvoir humain ne peut limiter la liberté d’adhérer, y compris publiquement et de manière communautaire, à la religion que chacun considère en conscience comme la vraie et de la propager. C’est ce que demandaient les premiers chrétiens et c’est ce que Benoît XVI affirme avec clarté, quand il dit que, avec sa doctrine en matière de liberté religieuse, Vatican II “a repris à nouveau le patrimoine le plus profond de l’Église” et se trouve “en pleine harmonie avec l'enseignement de Jésus lui-même (cf. Mt 22, 21) ainsi qu’avec l’Église des martyrs, avec les martyrs de tous les temps.”

On est surpris que des auteurs comme Massimo Introvigne et d’autres, y compris des théologiens, qui ne sont en aucune manière “traditionalistes” mais qui cherchent à être fidèles au magistère de Vatican II, aient tant de difficultés à accepter l’existence de cette discontinuité réelle, et pas seulement apparente, qui a été explicitement affirmée par Benoît XVI dans son discours du 22 décembre 2005. Ils nient ce qui pourrait être, ils le craignent, un scandale – une certaine discontinuité dans le magistère ordinaire de l’Église – parce qu’ils pensent qu’en agissant ainsi on peut mieux défendre l’infaillibilité de l’Église et amener les traditionalistes à une acceptation de Vatican II.

Je pense, au contraire, que la démarche qui a été lancée par Benoît XVI et qui consiste à ne pas opposer à “l’herméneutique de la discontinuité” simplement une “herméneutique de la continuité”, mais une “herméneutique de la réforme” plus différenciée, sera plus féconde, en particulier parce que c’est une démarche plus sincère. Seules la sincérité et la fidélité aux faits historiques peuvent constituer, dans ce cas aussi, une démarche féconde. Elles pourraient également aider à faire voir où se trouve le véritable point faible des “traditionalistes”.

À vrai dire, en ce qui concerne la liberté religieuse, ce n’est pas tellement la nature de l’Église et son identité que les traditionalistes défendent ; au fond ils ne défendent même pas le "depositum fidei" et le dogme de l’Église ; par conséquent ils ne défendent même pas vraiment la Tradition. En réalité ce que les traditionalistes défendent ici, c’est une conception déterminée de l’ordre temporel, de l’État et de ses rapports avec l’Église ; c’est-à-dire un modèle d’État confessionnel du passé, qui d’ailleurs est également typique d’un grand nombre d’États protestants de l’époque moderne (et en ce sens, à la fois “traditionnel” et moderne), mais qui, comme Vatican II l’a montré, n’appartient ni explicitement ni implicitement au patrimoine du "depositum fidei", et donc pas non plus à la Tradition en tant que dogmatiquement normative.

Je suis convaincu que la compréhension de ces distinctions aidera les “traditionalistes” réellement désireux d’être fidèles à l’Église catholique et aux vérités qu’elle transmet à se rendre compte que l’acceptation de la doctrine de Vatican II en matière de liberté religieuse n’est une trahison ni de l’Église ni de ces vérités, mais que – comme Benoît XVI le dit avec insistance –“l’Église est, aussi bien avant qu’après le concile, la même Église, une, sainte, catholique et apostolique en marche à travers les temps”.

     

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