La confusion sur les propos du St Père vient surtout de ce qu’on a traduit ce qu’il a dit par : le pape accepte l’utilisation du préservatif dans certains cas. Or ce n’est pas ça qu’il a dit. Car « acceptable » signifie « moralement acceptable ». Il a dit que dans certains cas l’utilisation du préservatif pouvait être un premier pas vers une sexualité humaine (c’est-à-dire morale) ; on peut donc dire : c’est un premier pas vers un comportement acceptable. Un premier pas parce que se soucier de ne pas donner la mort, lors d’un comportement globalement non moral, traduit tout de même un premier sentiment moral.
Cette problématique, du cheminement progressif vers un comportement moral est ce qu’on appelle, surtout depuis humanae vitae, la question de la gradualité. La gradualité ne dit pas que pour telles personnes ou dans telles circonstances serait moral ce qui ne l’est pas en soi ; mais elle est la constatation que, bien souvent, ce n'est pas immédiatement que l’homme pécheur et faible accède à un comportement authentiquement moral, mais par une voie progressive. Autrement dit la loi, quand il s’agit de comportements intrinsèquement bons ou mauvais n’est pas graduelle, elle ne fait pas des dérogations selon la situation des personnes, mais souvent le cheminement est graduel.
A côté de la perspective et de la catégorie du moralement licite ou illicite, il y a celle plus phénoménologique de la gradualité. Il ne faut pas les confondre. Il y a une autre perspective différente de celle de la gradualité et à laquelle se réfèrent aussi les paroles de Benoit XVI, c'est celle du moindre mal.
Ce sur quoi porte l’enseignement moral de l’Eglise c’est bien sûr en premier lieu ce qui est moral ou ne l’est pas, mais elle peut aussi reconnaître en toute vérité, qu’un comportement tout en n’étant pas moral constitue un pas positif.
Il faudrait aider les journalistes, ceux qui sont de bonne volonté, à ne pas faire ces confusions, et ne pas ramener à la question de l’acceptable ce qui ne relève pas de cette question ; mais au vu du vent de panique qui s’est emparé de beaucoup de fidèles on voit qu’il n’y a pas que les journalistes qui ne comprennent pas et doivent être éclairés …
Le passage dans les textes du magistère qui traite le plus explicitement de la gradualité est « familiaris consortio » :
« 34. Il est toujours d'une grande importance d'avoir une conception droite de l'ordre moral, de ses valeurs et de ses normes; et cela d'autant plus que les difficultés à les respecter deviennent plus nombreuses et plus graves...
Mais l'homme, appelé à vivre de façon responsable ce dessein de Dieu empreint de sagesse et d'amour, est un être situé dans l'histoire. Jour après jour, il se construit par ses choix nombreux et libres. Ainsi il connaît, aime et accomplit le bien moral en suivant les étapes d'une croissance.
Les époux, dans la sphère de leur vie morale, sont eux aussi appelés à cheminer sans se lasser, soutenus par le désir sincère et agissant de mieux connaître les valeurs garanties et promues par la loi divine, avec la volonté de les incarner de façon droite et généreuse dans leurs choix concrets. Ils ne peuvent toutefois considérer la loi comme un simple idéal à atteindre dans le futur, mais ils doivent la regarder comme un commandement du Christ Seigneur leur enjoignant de surmonter sérieusement les obstacles... «C'est pourquoi ce qu'on appelle la "loi de gradualité" ou voie graduelle ne peut s'identifier à la "gradualité de la loi», comme s'il y avait, dans la loi divine, des degrés et des formes de préceptes différents selon les personnes et les situations diverses. » (j’ai souligné, ce qui a trait à la gradualité).